Chapitre 3 : Dévoré.

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Vraiment, je déteste les chiots. Je le sais, je suis un ours et, en règle générale, je devrais aimer ce qui est adorable, mais un chiot n'entrait pas précisément dans ma liste des « petites choses douces à aimer ».

Son nom : Kingstone.

Sa race : aucunement amicale.

Son objectif : un ours en peluche sans défense.

C'était un cadeau pour le dixième anniversaire de ma petite Allie. Son lit était à côté du nôtre – le mien et celui d'Allie –, ses affaires étaient dans un de nos tiroirs et son cul puant constamment assis en face de la porte de notre chambre. De temps en temps, ce détestable canin insolent osait dormir avec ma petite Allie, m'écartant brusquement d'elle avec sa patte sale.

Et pour comble, je devais supporter qu'elle jouât avec lui la journée, l'après-midi et le soir, qu'il l'obligeât à le sortir promener et qu'il la harcelât de léchouilles pendant qu'elle lui rendait ses caresses comme si Kingstone était sa Moitié.

C'était moi sa Moitié, pas ce maudit chien démoniaque ! Pourquoi fallait-il qu'elle joue de cette manière avec lui ? C'était répugnant de les voir rire ensemble, un déséquilibre naturel complet.

Ce n'est pas que je fusse jaloux, j'étais seulement embêté par toutes ces démonstrations d'affection inutiles. Comment un ours si beau et intelligent que moi pourrait-il ressentir de la jalousie envers un cabot exaspérant comme lui ! En plus, j'avais beaucoup plus de tendresse à offrir à ma petite Allie que n'importe qui d'autre.

Bon, résumons :

Un chien, un ours, un final tragique.

Moi, qui étais si tranquille, assis sur l'oreiller du lit de la petite Allie, à profiter d'une bonne dose de pensées philosophiques – certes bizarres pour des ours courants –, que j'étais habitué à avoir quand elle n'était pas avec moi.

Soudain, quelque chose perturba ma tranquillité. Quelque chose qui portait le nom de Kingstone et qui avait la force de millions de peluches comme moi. Il commença à me regarder fixement, avec un air malveillant et je commençai à me sentir gêné.

« Chien idiot – lui dis-je – qu'est-ce que tu regardes ? » Mais il ne bougea pas. Sa petite queue fit un mouvement presque imperceptible et ses yeux s'assombrirent soudain, menaçants, pleins de convoitise justifiée.

« Trouve-toi quelqu'un d'autre – pensai-je –, je ne suis pas d'humeur à jouer avec un cabot puant comme toi ».

Il grogna, de telle façon que mes poils d'ours en peluche se hérissèrent et je sentis comme un frison parcourir tout mon corps. Et puis, il aboya après moi.

« Va-t'en, le chien – demandai-je –, j'ai pleins d'étreintes chargées de haine que je n'hésiterai pas à utiliser ».

J'étais mort de peur, je l'admets. Mais j'étais un ours guerrier, fort, combattant et affectueux, et je ne me rendrais pas si facilement, pas sans lutter. Alors, il recommença à aboyer, en me montrant ses dents brillantes et aiguisées qui me firent ravaler ma salive imaginaire d'ours.

« La petite Allie est mienne, fils de pute ! », lui criai-je.

En à peine deux secondes, il se précipita jusqu'à moi et m'attrapa par l'oreille, déchirant tout mon faible corps. Bien que je ne ressentisse pas la douleur, je sentais comme une ombre m'emporter vers un lieu froid, sombre et sans vie. Mais, surtout, dans un lieu loin de ma petite Allie.

J'étais en train de mourir, je voyais tout mon coton de peluche voler d'un endroit à l'autre, accroché aux crocs de Kingstone, et j'étais en train de demander miséricorde et d'appeler la petite Allie à grands cris. Et soudain, mon petit ange répondit à mon appel. Sa voix était brisée, mais même ainsi ses mots m'aidèrent à lutter pour ma vie :

— Doudou ! Lâche-le, chien stupide !

Le chien lui obéit, bien qu'il sortit victorieux de la pièce, avec mon oreille droite dans son gosier en guise de trophée. Allie m'enlaça en sanglotant.

— Mon Dieu, mon Doudou...

Elle courut jusqu'à la boîte à couture qu'elle avait sur sa commode, la même avec laquelle elle était habituée à coudre les vêtements de ses poupées, et elle revint s'assoir sur le lit avec mon corps décharné contre sa poitrine.

— Maudit chien – marmonna-t-elle.

Avec ses petites mains, elle introduisit le fil dans la partie supérieure d'une aiguille et, de ma place, j'observai comment elle me cousait lentement et doucement, reflété dans le miroir de la porte de son armoire.

Pendant un moment, j'avais l'impression d'entendre ma Mamie, je savourai l'odeur de soufre de l'usine et je sentis comment la pluie tombait de nouveau sur mon thorax. C'étaient les larmes de ma petite Allie, qui me cousait avec tant de dévouement que lorsqu'elle termina son travail, je revis mon image dans le miroir et j'avais à peine quelques cicatrices sur mon corps poilu et rondouillard. Il manquait seulement mon oreille droite, ce qui brisa le cœur de ma petite Allie.

— Je suis tellement désolée, Doudou – elle murmura en me serrant dans ses bras –. Nous serons amis pour toujours, je le promets.

Et elle pleurait et pleurait, pendant qu'elle jurait loyauté éternelle à l'ours stupide que j'étais. Et moi, je promettais un amour éternel à la grande fille qu'elle était en train de devenir.

« Ne pleure pas, ma petite – pensai-je –, je serai toujours ton ami ». Elle venait de me sauver la vie pour la seconde fois. Idiot, idiot, idiot, pourquoi fallait-il que je la fasse souffrir ? Courageuse merde d'ours en peluche que j'étais...

« Toujours ensemble, Allie ».

— Toujours ensemble, Doudou.

Mémoires d'un OursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant