Chapitre 6 :

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Quelques heures plus tard, Louis s'éveilla d'un sommeil profond et dénué de tout cauchemar. En ouvrant ses paupières lourdes, il fut d'abord troublé par la sensation des draps de satin sur sa peau et par les ombres qui envahissaient la vaste pièce.
Il n'avait pas coutume de se réveiller dans un lieu inconnu. Certainement pas dans des draps de satin, ni dans une chambre aussi vaste que la cathédrale Saint-Paul.
Toutefois, c'était toujours mieux que le matelas défoncé et la puanteur qui l'avaient accueillie à son dernier réveil. Sans parler des deux bras virils délicieux qui étaient enroulés autour de lui.
Ce n'était pas un réveil si désagréable..
Enfin, si ces souvenirs immondes de démons, de sorcières et cette invasion de son corps par un esprit puissant ne revenaient pas à la charge.
Louis grimaça et roula sur le côté pour observer l'homme allongé près de lui.
Pas un homme, se rappela-t-il brutalement. Un vampire.
En scrutant ses traits d'une perfection diabolique, dans la pénombre, il se demandait comment il n'avait pas deviné la vérité plus tôt. Harry incarnait le fantasme de tout homme ou femme. La vie avait apprit à Louis qu'il devait y avoir une entourloupe quelque part.
Il pinça les lèvres. Toutes les femmes ou hommes savaient qu'un homme capable de voler leur cœur en un regard ne pouvait être gay (pour les femmes), psychopathe ou marié. Il n'avait plus qu'à ajouter "vampire" à sa liste.
Sans vraiment s'en rendre compte, Louis souleva discrètement la couette pour dévoiler le corps mince et musclé. Malheureusement, il avait gardé son jean, mais il avait retiré sa chemise en soie, révélant ainsi un torse tout aussi mortellement beau qu'il l'avait imaginé dans ses rêves passionnés. Large, lisse, suffisamment musclé pour satisfaire même les plus exigent(e)s. Seigneur, il semblait appeler les caresses...
Par chance, il était dénué des bosses et autres écailles qui affligeaient d'autres démons. Pas même un tatouage ne venait maculer sa peau d'albâtre.
- Bonjour, mon amour, dit une voix rauque, rompant le silence.
Il se redressa vivement la tête et croisa la lueur argentée qui scintillait sous ses longs cils noirs.
Voilà qui était gênant.
C'était une chose de marcher dans la rue avec du papier toilettes collé à sa chaussure, ou d'avoir cassé un vase Ming hors de prix.
Mais être surpris à mater ouvertement un homme à demi nu pendant son sommeil...
C'était carrément lubrique.
Il lâcha la couette comme si il s'était brûlé les doigts.
-Je... J'ignorais que tu étais réveillé, parvint-il à dire.
-Je suis peut-être mort, mais même moi je n'arrive pas à dormir sous le regard intense d'un bel homme, répondit-il avec un sourire sardonique. Dis-moi, mon doux, qu'est-ce que tu cherchais ? Des cornes et une queue ?
Le fait qu'il avait effectivement ressenti le besoin furtif de vérifier qu'il n'avait pas de bizarreries le mît aussitôt sur la défensive.
-Non, bien sûr que non !
-Ah bon ? Tu comptais donc profitais de la situation pendant que je dormais ? C'est tordu, mais ça me plaît.
- Non...Je...
Il plissait le nez, acceptant qu'il avait bel et bien été pris sur le fait. Que faire, sinon admettre la vérité ?
- J'étais curieux, je suppose. Tu sembles tellement...normal.
Il se crispa face à cet aveu.
-Tu veux dire humain ?
- Oui.
- Tu es soulagé ou déçu ?
- Après Halford et les chiens de l'enfer, je dois admettre que je suis soulagé.
Sans prévenir, il le fit rouler sur le dos et se pencha sur lui, les mains posées de chaque côté de sa tête.
- Je ne possède peut-être pas trois yeux et je ne bave pas de l'acide, dit-il, la mine grave, mais ne commets jamais l'erreur de me croire humain. Je suis un vampire, Louis, pas un homme.
Le cœur du jeune homme s'emballa tandis qu'il dévisageait le guerrier redoutable penché au-dessus de lui. Soudain, il n'eut plus rien d'humain. Il était la mort élégante et retenue, et il tenait sa vie entre ses mains.
-Qu'est-ce que tu dis ? murmura-t-il. Que je ne peux pas te faire confiance ?
Harry fronça les sourcils.
- Bien sûr que tu peux me faire confiance ! Je préfèrerais mourir plutôt que permettre à quiconque de te faire le moindre mal.
- Alors quoi ?
- Je ne veux pas que tu fasses comme si j'étais quelque chose que je ne suis pas, c'est tout, répondit-il en rivant ses yeux métalliques sur les siens. Cela se révélerait douloureux pour nous deux.
Faire comme s'il n'était pas un vampire ? Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Il pouvait se persuader qu'une glace au coulis de caramel constituait un repas équilibré, tant qu'il y avait de la crème chantilly et des éclats de cacahuètes sur le dessus. Ou que Johnny Depp était l'homme de sa vie, mais qu'il n'avait jamais pris le temps d'apprendre à le connaitre.
Mais se persuader que cet homme n'était pas un vampire ?
Huh !
Étrangement, toutefois, tandis qu'il ouvrait la bouche pour l'informer qu'il avait perdu la raison, il se ravisa.
Zut. Pouvait-il honnêtement dire qu'il n'avait pas, par moments, au cour des dernières heures, tenté d'oublier la vérité à son sujet ? Comme dans la salle de bains, lorsqu'il s'était occupé de lui avec tendresse. Ou encore quand il s'était accroché à lui, dans le noir, comme s'il était son ange gardien ?
C'était assurément son genre de fermer les yeux sur ce qu'il n'avait pas envie de voir.
Baissant les yeux, il s'efforça de ne pas rougir.
- Nous devrions nous lever.
- Louis, je t'en prie, ne me rejette pas, dit-il d'une voix douce qui lui donna des frissons. Je ne voulais pas te faire peur. C'est juste que...
Contre son gré, il leva les yeux pour croiser son regard argenté.
- Que quoi ?
- Je veux que tu saches ce que je suis, et non que tu m'idéalises comme un fantasme.
- Je t'ai vu combattre ce démon, Harry. Je sais ce que tu es.
Étonnamment, il grimaça dans la pénombre.
- Non, c'est faux. Mais tu le découvriras avant la fin de toute cette histoire. Et c'est ce que je redoute.
Soudain, Louis comprit. Il ne s'agissait pas que de son opinion mitigée sur les vampires. Mais de foi. De confiance. Qu'il lui accordait à lui.
- Nous savons tous les deux que je serais déjà mort si tu étais humain. Il serait hypocrite de ma part de souhaiter que tu sois autre chose que ce que tu es, reconnut-il en souriant à contrecœur. De plus, mon expérience des hommes humains me donne pas vraiment envie d'en avoir un à mes basques pour l'éternité.
Face à cet aveu contrit, les traits d'Harry s'adoucirent :
- Pas de prince charmant ?
- Un prince ? Des ratés, oui.
- Des ratés ?
- Mon dernier petit ami en date m'a largué pour partir avec le facteur. Oui, je dis bien le facteur. Et le précédent est resté juste assez longtemps pour me piquer mon code de Carte bleue et vider mon compte en banque.
- Quelle vermine, commenta Harry, la mine renfrognée.
- Le plus incroyable, c'est qu'ils étaient quand même mieux que mon premier petit ami, qui réglait toutes les disputes à coups de poings.
Un silence pesant s'installa, durant lequel il le dévisagea longuement.
- Il te frappait ?
- Ce n'est arrivé qu'une fois. Au moins, je sais tirer les leçons de mes bêtises.
- Tu veux que je le tue ?
Louis tiqua, car il n'était pas certain qu'il plaisantait .
- Euh... Ta proposition est tentante, bien sûr, mais je vais la décliner.
- Si tu changes d'avis, l'offre tient toujours, dit-il en haussant les épaules.
- En fait, je préfère les oublier, déclara-t-il.
-C'est une solution comme une autre, reconnut-il en posant les yeux sur ses lèvres sensuelles. Mais crois-tu que ce soit raisonnable ?
Louis fronça les sourcils. Ce vampire à moitié nu penché sur lui n'allait tout de même pas lui donner des conseils sur sa vie sentimentale ! Un vampire terriblement sexy, de surcroît...
- En tout cas, c'est plus raisonnable que de les faire dévorer, murmura-t-il.
- Je me demande simplement si tu as vraiment tiré les leçons de tes erreurs.
- Je sais que je suis incapable de juger un homme.
- Ou que tu ne choisis que ceux qui ont forcément te décevoir, pour ne pas avoir à t'engager sur le plan sentimentale.
- Seigneur, tu ne vas pas virer psy de bazar, quand même, gémit-il. (Il n'était pas d'humeur à réfléchir sur le fait qu'il avait peut-être raison.) Me faire psychanalyser par un vampire est la dernière chose dont j'ai besoin.
- C'est ma qualité de vampire qui me donne cette perspicacité, lui assura-t-il en arquant les sourcils. On ne vit pas parmi les humains pendant quatre siècles sans apprendre à connaître leurs petites habitudes.
- Tu ne sais rien de moi.
- Ah non ? demanda-t-il avec un rictus. Je sais que tu détestes les oignons et le thon, que tu consommes ton poids en chocolat chaque jour sans jamais prendre un gramme et que tu as besoin d'une recette pour faire bouillir de l'eau. Je sais que tu fais semblant d'aimer la musique classique que tu changes de station de radio pour écouter du punk rock quand tu penses que personne ne te voit. Et je sais aussi que tu te coupes du restes du monde, que tu es un solitaire. Tu l'as toujours été.
Louis fit de son mieux pour respirer. Hélas, ses poumons refusaient de coopérer.
Qu'il aille se faire voir. C'était une chose qu'il ait passé les trois derniers mois à l'observer avec fascination. Après tout, il n'avait rien découvert de plus intime que sa beauté ravageuse et son incroyable talent de pianiste. Mais s'apercevoir qu'il avait si facilement lu en lui, malgré les barrières qu'il avait soigneusement érigées autour de lui, était complétement déstabilisant.
- Très bien, maugréa-t-il, j'ai un problème avec l'intimité. Tout ça, tout ça. On peut se lever ?
Harry sourit de plus belle.
- Rien ne presse. Le soleil commence à se coucher.
- Un peu de soleil te ferait du bien, dit-il sèchement. Tu es très pâle.
- Tu voudrais que je me transforme en tas de cendre, hein ? (Ses yeux d'argent s'embrasèrent soudain.) Mais comment pourrais-je te protéger si...?
Fasciné par sa voix douce comme le miel et par la promesse qui adoucissait ses traits, Louis faillit ne pas remarquer l'omble qui se dressait peu à peu derrière la chevelure noir de jais. Mais quand l'intrus bougea et se rapprocha, Louis écarquilla les yeux et poussa un cri :

Les Gardiens De L'éternitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant