1. Le Carnet

60 3 6
                                    


12 juin 2012

'Cher Carnet',

Ouais je sais d'habitude les journaux intimes c'est pour les filles mais ça c'est ce qu'ils disent, moi je suis convaincu qu'un garçon peut tout à fait prendre la plume et écrire pour lui ce qu'il veut. Tu seras donc mon compagnon, Petit Carnet !

Ah, ce que j'adore les carnets ! Surtout quand je dois en choisir un : je prends mon temps, j'ausculte la couverture au millimètre, j'inspecte la matière de chaque page, je passe à la loupe la reliure et je décrypte le prix. En général, j'ai un faible pour les carnets comme toi, à la couverture marron et souple. Y'a pas à dire, ma sœur me connaît bien – du moins, sur ce point-là. C'est elle qui t'a offert à moi pour mon anniversaire.

Je vais donc te raconter tous les épisodes marquants de mon quotidien et te faire partager mes ressentis, mes avis, mes souvenirs. J'ai toujours vu en l'écriture un bon moyen d'exorciser ses démons et de sublimer des pensées pas toujours bien intentionnées. Et peut-être que ça m'aidera aussi à me défaire de lui. Je me dis que ce sera un truc qu'entre nous deux et qu'il ne pourra pas s'inviter.

Tant que je suis en vie, je veux écrire tout ce que je comprends de mon être. 


10 juillet 2012

Cher Carnet,

La Terminale est enfin finie et avec elle, les années lycée ! Maintenant, c'est le saut dans la « vraie vie » comme se plaît à le dire Papa. J'ai hâte et en même temps je t'avoue que ça me fait un peu peur... Mais bon, en attendant concentrons-nous sur le présent : je pars dans trois jours chez mes grands-parents en bord de mer, dans cette maison bleue où j'ai passé tant de bons moments ! Ça va être une vraie retraite spirituelle et intellectuelle comme je les aime avant d'attaquer une nouvelle vie ! 

15 juillet 2012

Cher Carnet,

Il faut absolument que je te raconte cette arrivée magique chez Pépé et Mémée ! Je vais essayer de te la faire de façon assez narrative pour que ça ne soit pas trop ennuyeux, d'acc ? Alors, imagine : je viens de sortir du train, accueilli par mon grand-père. Nous montons dans sa voiture, une Jetta bleue, qui s'engage alors sur la route et quitte le parking. La gare disparaît peu à peu. Pépé veut passer chez notre boucher bien-aimé. Quelques minutes pendant lesquelles se manifeste un silence bienveillant, puis arrêt. Autre parking, autre ville.

« Alors, tu reconnais ? » me demande Pépé.

J'opine du chef. Tout est resté intact. Comme dans mes souvenirs. Le bateau de pirates inhabité sur l'eau, pourvu de projecteurs sur ses côtés pour l'illuminer la nuit, le petit pont qui enjambe cette mince étendue d'eau et la façade rouge du boucher-charcutier. Parmi les entrecôtes, travers de porc et viande hachée, le choix de Pépé se limite à quatre saucisses et deux rôtis de porc. Je sens que je vais, encore cette année, faire bonne chère.

« Portail ! »

Enfin arrivés. J'ouvre la portière à ma droite, descends et pousse les larges battants qui mènent à la résidence bleue Pasiphaé. Après le passage de la voiture et la fermeture du portail, je cours et ôte du coffre ma valise. Mais avant, un coup d'œil à la devanture. Les murs d'un blanc immaculé et les volets d'un bleu azur, les deux couleurs dominantes de la maison. Le jardin sablé et son petit palmier, les bois alentour et les pins imposants, le tronc dressé vers le ciel, l'ombre étendue sur le sol. Net regain de forme subitement. J'embrasse Mémée, défais ma valise et organise mon coin bureau, réservé chaque année, juste à côté de la porte d'entrée. Une table et une chaise en plastique blancs suffisent à me réjouir. J'y dépose ma pile de romans, mes carnets, ouvre et ferme les boîtes qui se trouvent déjà là. Je trouve des crayons de couleur dans l'une, des pastilles de Vichy dans l'autre, délicate attention de Mémée à mon égard. Elle observe mon manège depuis son fauteuil, souffre en silence mais sourit malgré tout. J'ai tout vidé et je contemple le résultat. Sur la table, Kerouac côtoie Stephen King et Teulé ; Nietzsche, Aristote et autres philosophes cachent à demi le visage de Di Caprio, en couverture d'un magazine de cinéma ; et deux sets de table rassemblent des olives avec des violettes. Tout est là.

« Qu'est-ce que tu peux être organisé ! » Mémée soupire d'admiration. Je rougis un peu du compliment et Mémée continue :

« Quand j'y repense, qu'est-ce que j'aimais voyager en train ! Oh si seulement je pouvais... Pff de toute façon, j'suis foutue alors...

- Arrête Mémée.

- Mais je le sais bien mais ça me bouffe quand je repense à tout ce que je peux plus faire : aller à la mer, voyager en train... Oh j'arrête parce que je me fais du mal. »

Je ne peux rien répondre à cela. Je sais bien hélas ! qu'elle n'aura jamais la chance de revivre tout ce dont elle me parle. Alors elle s'empresse de passer à un autre sujet et la conversation va bon train. Vient le repas, un régal. C'est Pépé qui cuisine, comme toujours depuis deux ans. Mémée souffre trop pour faire quoi que ce soit. La fatigue se manifeste petit à petit et, après un brossage de dents énergique, un baiser aux grands-parents, au lit !

Le lendemain matin, lever à ... onze heures! On ne pourra pas dire qu'ici on manque de sommeil ! J'ouvre la porte de la chambre et vois, comme chaque matin des années précédentes et des jours à venir, une nappe recouverte de bocaux de confiture, de tupperwares contenant galettes de riz ou biscottes. A ma place, un bol sur lequel est écrit mon prénom surmonte une petite assiette ronde aux motifs floraux. Pépé me salue d'un ton enjoué : « Ah le p'tit coco est levé ! Dis donc, tu tarderas pas trop, faut qu'on aille au U faire des courses parce que sinon, t'auras pas grand-chose à manger le matin. » Mémée le rabroue gentiment avec un « Oh mais le presse pas Pierre, Bon Diou ! » énergique. Pour moi, c'est douche, habillage et en route !

Même cérémonie qu'hier avec le portail, embarquement immédiat à bord du véhicule bleu et en route !

Le trajet est court et nous trouvons sans peine une place sur le parking. S'ensuit un passage dans chaque rayon : Pépé se la joue œnologue et parvient sans peine à convaincre, là où, à sa suite, je m'empresse de prendre « encore des cochonneries » (comprends un pack de bouteilles aromatisées à la fraise). Puis, suivant les demandes inscrites par Mémée sur la liste de courses, nous ajoutons des pots de confiture dans le chariot, attrapons au passage deux plaques de chocolat et un paquet de céréales. Et tout cela en douceur, sans précipitation aucune. Nous quittons le supermarché une heure plus tard - comme chaque année.

Voilà le récit de ma première journée ! J'ai essayé de rendre mon récit vivant et je t'avoue que je ne suis pas mécontent de ce petit paragraphe !

Collapse (Titre Provisoire)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant