7. Plaisir et souffrance

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15 janvier 2013

Cher Carnet,

J'ai décidé de ne jamais, au grand jamais, retirer ne serait-ce qu'une seule latte sur un joint. Si l'effet planant du début était juste magique, la suite ne m'a pas plu du tout. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que je ne me vois plus quand je fume.

Je suis autre, ailleurs, je n'existe plus. Comment puis-je offrir aux autres la vue d'un spectre ? Étrange... Quand je ne me vois plus, je m'oublie, il m'efface et c'est terrifiant. Et en même temps... j'avoue qu'il y a quelque chose d'hypnotisant là-dedans... comme si l'âme quittait le corps, voyait du dessus et assistait à ce spectacle de pantins du haut de son observatoire. Et dans ces moments-là, plus grand-chose n'a d'importance.

20 janvier 2013

Cher Carnet,

J'entame un jeu qui me plaît beaucoup, celui de la séduction et du teasing. Je me plais à chauffer des mecs que je ne connais pas, je leur fais miroiter ce qu'ils n'auront jamais de moi. C'est la seule part de vice que je m'autorise. Exciter, tenter, attiser. L'autre soir, je brûlais tellement, seul sous les draps, que c'en est presque devenu un réflexe. Il fallait qu'ils aient envie de moi, que je les fasse bander, fantasmer. Et moi je jubilais.

Tu sais, ça devient une obsession. Je pense au sexe tous les jours, à la saccade d'un va-et-vient brut, aux membres gonflés d'orgueil et de jouissance qui n'attendent que d'être soulagés. Aux lèvres qui s'entrouvrent et vous laissent passer. Aux caresses moites sur un corps fébrile et en attente. Aux torses qui s'enchaînent, aux jambes qui s'enchevêtrent, aux pieds qui s'accrochent et aux corps nus qui cabrent comme des étalons enragés.

Alors hier je me suis ramené chez ce type à peine rencontré. À peine salués, pas d'échange de prénoms. Mes mains froides ont trouvé naturellement à se réchauffer autour de son sexe dur. Ma bouche ne demandait qu'à l'engouffrer. J'y allais tellement fort que je me serais presque étouffé. Et puis il m'a retourné sur son canapé, s'est délecté de mes fesses bombées et est entré. Je me souviens de son ordre « Mets-toi à quatre pattes » et combien j'y ai répondu avec diligence en lui soufflant que j'étais tout à lui.

L'affaire finie, j'ai rassemblé mes vêtements en silence, me suis habillé prestement et ai quitté ce lieu de débauche, mutique.

20 janvier 2013 (le soir)

Ai-je été à ce point proche de ma famille ?

Je semble m'en détacher sensiblement et dangereusement. Car oui, ce que je recherche, c'est lui : le danger. Je veux ressentir la peur, lui faire face, l'affronter comme jamais et enfin sortir de mon petit nid douillet, de ce cocon si vide rempli de facilités. Comment ai-je pu à ce point être naïf ? À m'empêcher d'essayer tellement de choses...

Maintenant, il est temps de me sonder en profondeur et de voir jusqu'où il me faut aller pour l'éliminer définitivement.

23 janvier 2013

Cher Carnet,

On a bien parlé avec Ellen hier.

Je me sens constamment comme un acteur qui travaille un rôle. À chaque situation je cherche à avoir la réaction la plus adaptée, le ton le plus juste et les mots les plus appropriés pour mes réponses. Mais ça devient n'importe quoi ! Je ne sais plus quoi penser, j'endosse des milliers de costumes, je me fantasme dans plein d'endroits différents, à travers les âges, les années, toujours dans plein de rôles variés. Quelle absurdité. Où est-ce que c'est une façon de vivre dis-moi ?

J'ai tout essayé : pratique spirituelle, gestion des émotions, identification des douleurs du corps en relation à mon histoire personnelle, à mon vécu. Aujourd'hui je ne crois plus en rien et je prends la décision d'effacer tout ce que je pensais être, tout ce que je croyais savoir.

Je recommence à zéro, comme ça. L'image la plus parlante qui me vient à chaque fois est celle d'une boule de papier qu'on chiffonne et qu'on jette à la poubelle presto, un brouillon dont on n'est pas satisfait. Alors on le reprend depuis le début. Page vierge. Sinon comment évoluer ? Je ne veux pas être à vingt ans comme mon père ou ma mère, avec tout l'amour que j'ai pour eux.

Mais je vis trop de leur conditionnement et il est hors de question de tomber là-dedans.

Si je n'ai plus de cœur sauvage, alors autant mourir maintenant.

Ellen me voit comme un volcan prêt à entrer en éruption. Si je perds ça, hors de question de continuer. Non, ça finira bien par éclater. Mais chaque chose en son temps, pas vrai ? Ellen sème avec sagesse ses conseils avisés et je dois dire que ça m'aide à avancer. On se complète beaucoup et on se retrouve sur bon nombre de sujets. Elle m'a encore avoué que, des fois, elle prenait peur pour moi. Parce qu'elle me trouve imprévisible, elle craint que je ne me mette dans des situations impossibles. Si elle savait tout...

Il y a quelque chose que je ne t'ai pas encore avoué mon Carnet et que, je pense, je ne pourrais jamais dire à quelqu'un. Reçois donc cet aveu en ton sein et ne le révèle jamais.

Tu te souviens de l'histoire que j'ai racontée le 20 janvier ? Eh bien il y en a eu une autre qui a suivi le soir même. C'est ce soir-là que j'ai commencé à... Que j'ai commencé à éprouver un désir qui prenait tellement feu dans tout mon corps et toute ma tête que c'en était insupportable. Alors j'ai décidé de tenter le coup...

J'ai erré près d'un arrêt de bus, où je me suis assis sur un banc, les jambes écartées, l'air lubrique. Et là une voiture s'est arrêtée. J'essayais de dissimuler ma peur sous de la crânerie effrontée et, à ma plus grande surprise, je me suis levé et dirigé à la fenêtre du véhicule noir d'un pas franc. Là dessus, le conducteur a baissé sa vitre : la cinquantaine, les cheveux poivre et sel, un peu d'embonpoint. Pas trop dégueu. Une question sur mon prix – que j'improvisais - et en silence je suis monté à son bord.

Les phares s'éteignirent dans la nuit. Pas de klaxon, pas de sifflements.

Juste le bruit grave du moteur qui se tait.

25 janvier 2013

Cher Carnet,

Mon dos et mes épaules se bloquent légèrement ces temps-ci. Ils souffrent de nuits d'insomnie entre rêves à demi-conscients et réalités troublantes, voire destructrices. Je me noie dans la folie parfois. Je le laisse tout balayer, je l'autorise à goûter de ma chair, à la déchirer s'il lui en convient.

Mon enveloppe corporelle semble comme détachée de mon unité spirituelle. Terrifiant. Je travaille à rattacher les deux ensemble, à obliger les mouvements de mon âme à répondre à ceux de mon corps.

Je travaille sur la conscience. Celle du moment présent, celle des actions au quotidien. Pour le moment, il convient de ne rien commencer de neuf. Continuer à faire le tri, avancer sans courber une seule fois l'échine et attendre. Grâce au temps que je passe avec Ellen et les autres, j'arrive à ne pas trop penser par lui et à être conscient de la tempête qui peut parfois avoir lieu sous mon crâne. Non ce qui me fait toujours peur, c'est de rentrer chez moi le soir et de devoir rester seul avec moi-même et cet hôte que je ne comprends pas. Et qui ne m'aide guère à vrai dire.

Lors de la révision de nos partiels début janvier, j'ai dû lutter un nombre incalculable de fois pour apprendre et rester concentré sur ce que je lisais, sur ce qu'il fallait retenir parce qu'il s'invitait, venait me perturber et hanter mes nuits de ses visions macabres.

C'est pour ça que quand l'envie me prend d'ouvrir grand la fenêtre et de sauter, je me raccroche à tout ce qui me fait vibrer, à Ellen, à ce qu'il me reste encore à découvrir, à ceux et celles qui me donnent envie de vivre. Ça marche presque à chaque fois. Je me sens néanmoins de plus en plus attiré par le vide...

Qu'est-ce qui m'y attend ? J'aimerais voir le fond, plonger dans la mort sans plus de ménagement et mettre fin aux luttes...

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