Prologue

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Un mois s'est écoulé. Un mois que mon père est mort. C'est toujours aussi dur, je me demande si la douleur que je ressens finira par s'estomper. Il ne se passe pas un jour sans que j'erre en pyjama dans son appartement. Je ne mange quasiment plus rien. Je n'ai plus envie de sortir. Mon monde est devenu sombre. Comment continuer à vivre sans lui ?

J'aime cet intérieur autant que je le déteste, tout ici me rappelle qu'il n'est plus là.

J'ai obtenu ma licence pro dans l'immobilier quelques jours avant son décès. L'impression que son cœur n'attendait que ça pour lâcher. Je devais commencer ma carrière avec lui dans son agence, il était tellement fier de moi. Cela fait seulement quinze jours que j'ai appris que ses affaires n'allaient pas aussi bien qu'il voulait me le laisser croire. Je m'en veux de n'avoir rien vu. Mes examens m'ont tellement absorbée. Et puis, il ne m'a jamais vraiment parlé de ses soucis. Il s'est toujours montré fort devant moi.

Alors que je l'ai laissé tout souriant devant son établissement, ce matin-là, son cœur a soudainement cessé de battre peu après mon départ. Il s'est écroulé sur le trottoir, devant la porte d'entrée. Seul. J'aurais dû être avec lui.

Pourquoi suis-je allé à la fac ? Mes effets restés dans mon casier auraient pu attendre. Je ne peux pas m'empêcher de culpabiliser. Chaque matin. Chaque soir. Chaque nuit. Les médecins m'ont pourtant répété à plusieurs reprises que je n'aurais rien pu faire. Mais c'est plus fort que moi, je m'en veux terriblement.

Assise sur mon canapé, je ressasse tout ça, encore et encore. J'ai les cheveux en bataille et je tiens un mug de café froid dans ma main gauche.

Les dossiers que le comptable et le notaire m'ont transmis sont étalés sur la table basse. Je prends un document, j'essaie de le lire, mais les mots se croisent et mes yeux se troublent. Ils me conseillent tous les deux de vendre l'agence pour rembourser les dettes que mon père a accumulées.

Il me reste moins d'une semaine pour prendre une décision. Je sais que je n'ai pas le choix, que je dois céder. Je ne pourrai jamais payer ce qu'il doit, pourtant je n'arrive pas à m'y résoudre.

Je suis épuisée par tout ça. J'aimerais tellement que ça soit un cauchemar. Je veux me réveiller et le voir boire son café dans le salon, son journal posé devant lui. J'ai encore du mal à croire qu'il n'est plus là. Tous les soirs, je me dis qu'il va finir par rentrer du travail et tout redeviendra normal. Mon père a toujours fait en sorte que je ne me soucie de rien, cependant, aujourd'hui, je me retrouve seule à devoir gérer tout ça. Je dois décider alors que lui-même n'a pas réussi. Je pose ma tasse, j'ai soudainement envie de vomir et l'odeur du marc me retourne l'estomac.

Je devrais également vendre l'appartement et repartir à zéro. J'ai eu tort de rendre la clé de mon logement. J'ai cru que je pouvais vivre ici. Néanmoins, c'est trop difficile, cet endroit regorge de souvenirs. Il faut que je trouve le courage de vider ses effets personnels.

J'ai besoin d'une bonne douche, je sors du salon et avance dans le couloir. Je passe devant la chambre de mon géniteur, m'y arrête un instant, pose la main sur la poignée de la porte. Je ne l'ouvre pas. Pourquoi est-ce aussi dur ? Les sanglots me guettent. Mes yeux brûlent, ma gorge se serre, aucune larme ne sort. J'ai tellement pleuré ces derniers jours que mes glandes lacrymales sont vides. Je finis par lâcher prise et je me traîne comme je peux jusqu'à la salle de bain.

Je fais couler l'eau et me déshabille en vitesse. J'entre sous le jet, qui n'est pas encore chaud, cependant je m'en fous. Je suis comme anesthésiée, mon corps, mon cœur et ma tête ne ressentent plus rien.

Je reste immobile plusieurs minutes, puis je décide de me savonner. Machinalement, je mets un peu de liquide au creux de ma main et m'enduis la peau. Mes mouvements sont lents. Je suis fatiguée de tout ça.

J'enfile un peignoir en sortant. J'avance vers le miroir pour me regarder, mais je suis stoppée dans mon élan : mon téléphone sonne, je me précipite pour décrocher.

C'est le comptable, il lui faut une réponse. Les créanciers ne veulent plus patienter, il me laisse cinq minutes. Je n'ai plus le choix. Dans un soupir vaincu, j'accepte de tout liquider. L'homme me prévient qu'il prendra lui-même rendez-vous avec le notaire pour l'agence et l'appartement, que je ne dois pas m'inquiéter, qu'il sera avec moi jusqu'au bout.

En moins de quinze jours, tout est vendu. Je suis étonnée de la rapidité avec laquelle tout s'est accompli.

Une association est venue récupérer les vêtements de mon père et toutes les choses qui leur seraient utiles. Je n'ai pas trouvé l'énergie pour le réaliser moi-même. J'ai aussi monnayé son cabriolet. Sans lui, rien n'est plus pareil. J'ai, en revanche, gardé toutes les photos de nous deux, ainsi que quelques bijoux.

À vingt-quatre ans, je me retrouve seule. J'ai perdu mon unique famille. Mes amies de la fac ont rapidement trouvé des emplois et m'ont vite oubliée. Je décide d'aller à l'hôtel, juste le temps que je sache quoi faire de ma vie.

Mon existence après mon père.

Un garçon de chambre monte mon bagage. Toute ma vie tient dans une valise noire à roulettes. Je remercie l'homme et ferme la porte derrière lui. J'enlève mes baskets, puis je me glisse sous la couette. Je n'ai pas faim. Je fixe le plafond sans vraiment penser à quoi que ce soit. Je suis exténuée, mais je sais que je n'arriverai pas à dormir ce soir.

Je trouve le silence pesant, ça fait un bail que je n'ai pas regardé la télévision. Je trouve la télécommande et appuie sur un bouton au hasard.

Je tombe sur une émission qui parle de Miami. Une grosse coïncidence, on avait pour projet d'y aller en vacances avec mon père pour fêter mon diplôme. Malheureusement, il n'aura jamais cette chance.

Comme prise d'une soudaine révélation, je saute hors du lit et prends mon ordinateur portable dans ma valise. Je dois absolument faire ce voyage. Pour lui.

De toute façon, plus rien ne me retient à Paris.

Sans réfléchir plus longtemps, je l'allume à toute vitesse, me connecte sur un site de voyage et paye mes billets aller-retour pour Miami. Le départ est à huit heures quarante-cinq demain matin. J'y resterai un mois.

Je continue de regarder les différents paysages de cette magnifique ville, je m'y vois déjà. À cet instant, un sourire se dessine sur le bord de mes lèvres. Je n'ai jamais pris de décision sur un coup de tête, mais là, je sens que c'est la meilleure chose à faire.

Partir, et apprendre à vivre sans lui.

Broken Boss ~ Publié chez Butterfly Éditions  ~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant