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Je ne saurais décrire l'état dans lequel je me trouve. Je ne saurais dire si je me trouve triste, en colère, frustrée ou bien choquée. Un peu des quatre sûrement, ce qui fait donc de moi quelqu'un de perdue. Complètement perdue. Perdue dans mon esprit. Perdue dans mes sentiments. Perdue dans la vie. C'est flippant. Je crois même que je suis perdue au point de ne pas encore réaliser ce qu'il vient de se passer. Certes, je suis toujours dans un état d'angoisse profonde, mais j'ai l'impression que les événements qui se sont produits il y a à peine vingt minutes étaient faux. C'est comme si mon imagination les avait montés de toutes pièces : le retour de Simon, mes paroles, les siennes et puis la présence de Katia. C'est comme un cauchemar ; comme si le sort faisait exprès de s'acharner sur moi, en riant de mes réactions. Il n'y a que cette explication de toute façon, sinon, comment expliquer la venue impromptue de Katia et Simon ? Ça ne tient pas la route ! Sort à la con !

Assise à la terrasse d'un café, je fixe pensivement le bitume de la rue, qui s'étend derrière Maman. Je sens son regard sur moi, alors que du coin de l'œil je la vois faire glisser son doigt sur le bord de son verre de Perrier Citron. Il n'y a que nous et un vieil homme en train de lire le journal, en sirotant une bière. C'est calme, pourtant l'atmosphère est lourde. Non seulement à cause de la chaleur, mais en particulier parce que Maman me semble tendue. À dire vrai, il est évident que je le suis aussi. Il est aussi évident que je ne suis pas la compagnie que Maman espérait, puisque je préférerais être à l'appartement, seule, en tête à tête avec mes pensées et mes sentiments confus.

— Qu'est-ce que tu as fait de ta journée sinon ?

Le regard toujours dans le vide, je prends le temps de prendre une gorgée de mon jus d'ananas, pour éviter que ma voix ne déraille. J'aimerais rester muette. Ça serait certainement mieux, pourtant, par politesse envers Maman, je lui réponds.

— Pas grand-chose. J'ai regardé des séries et le Tour de France.

Volontairement, j'évite de lui parler du fait que j'ai écrit. Si jamais j'abordais le sujet, elle voudrait sûrement lire mes textes. Dans d'autres circonstances, je les partagerais avec elle avec grand plaisir. Seulement, en ce moment, mes histoires ne sont pas des plus joyeuses et je n'ai aucune envie de lui plomber encore plus le moral avec mes pensées moroses. Comment est-ce qu'elle réagirait en lisant mes quatre dernières nouvelles, qui ne parlent que de mort ? Comment elle réagirait en voyant la description d'un corps en train de se vider de son sang ; d'une fille pleurant le décès de son amie ; et d'une autre apprenant la disparition de toute sa famille ? Est-ce qu'elle croirait que je suis suicidaire ou est-ce qu'elle comprendrait la différence entre la fiction et la réalité ? Je ne veux pas prendre ce risque !

— Toi, tu as regardé une course cycliste ?

Eux au moins, ils peuvent faire des courses avec leurs roues.

J'hausse les épaules, en me tournant enfin vers elle. De près, je me rends compte qu'elle a essayé de masquer ses cernes avec du maquillage et j'ai la drôle impression que de nouvelles rides se sont dessinées aux coins de ses yeux. Cependant, son anticerne a fini par disparaitre au cours de la journée, laissant réapparaitre les marques de fatigue qui creusent son visage. La dernière fois que j'ai eu l'impression qu'elle avait pris un tel coup de vieux, c'était il y a cinq ans, à la mort de Pépé. A l'époque, elle n'était que l'ombre d'elle-même.

— Je n'avais rien d'autre à faire.

— Tu ne lis plus ?

A nouveau je hausse les épaules et bois une gorgée de mon jus, tout en jetant un coup d'œil aux alentours. Je sais que nous sommes loin de la bibliothèque et que si Simon et Katia avaient dû nous suivre, je les aurais vus depuis un moment. Pourtant, je ne peux empêcher ma paranoïa. C'est comme un réflexe idiot.

Descendant. ~ [Publié chez Nisha Et Caetera]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant