Leçon de politique

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Aussitôt à l'extérieur du local, Gandor emmena sa protégée aux écuries, où cinq chevaux étaient entreposés. Il lui expliqua que quelques humains et le dernier nain vivant venaient parfois se promener sur Resujmat, et que ces bêtes avaient été élevées pour leur commodité. Il lui présenta une jument blonde aux grands yeux marron, qu'elle enfourcha avant de le suivre.

Ils n'avaient pas fait dix mètres à l'extérieur du bâtiment qu'on héla le Haut-roi. Un petit dragon bleu inclina le buste devant son supérieur, ignorant l'humaine, et lui dit quelque chose dans leur étrange langue. Le gros reptile turquoise hocha la tête d'un geste sec, puis dit à la fillette d'un ton irrité :

- Nous allons devoir modifier nos plans. Je suis demandé au Siège des Rois. Il était dû pour le mois prochain, mais on l'a devancé à la demande d'un de mes collègues suite à un événement inattendu.

Il s'arrêta et jeta sur elle un regard désolé.

- Je préférerais ne pas t'imposer cela, mais accepterais-tu de m'accompagner là-bas ? Peut-être comprendrais-tu mieux notre politique si tu y étais submergée.

- Rien ne me ferait plus plaisir ! s'exclama Maria.

- Je ne crois pas que tu comprennes toute l'implication de ce que cela signifie, mais je n'ai pas le choix.

Il s'agenouilla et demanda à la fillette de grimper sur son dos, lui assurant que la jument serait remise à sa place. Le laquais bleu pinça les lèvres, fixa la jeune humaine qui rabaissait ainsi son roi, puis se volatilisa avec le cheval. Gandor s'envola lentement, battant des ailes et déplaçant beaucoup d'air. En même temps qu'ils se dirigeaient vers leur destination, le dragon commença à l'instruire.

- Comme je vous l'ai expliqué plus tôt, notre peuple a choisi sa monarchie. Au sommet, il y a le roi Suprême, qui dirige toute l'île et à qui tous doivent obéir. Ensuite, sur un pied d'égalité, on retrouve les deux Haut-rois, qui contrôlent chacun la moitié de l'île. Chaque Haut-roi a à son service trois Sous-rois, qui assument la direction d'un tiers du territoire de son supérieur immédiat.

Le dragon s'assura que sa passagère le suivait toujours. La jeune fille lui fit signe qu'il pouvait poursuivre.

- Chaque roi dispose de trente serviteurs, divisés en trois niveaux. Le niveau trois sert à effectuer des tâches domestiques. Le dragon qui m'a porté ce message faisait partie de mes serviteurs de niveau trois. Il en est d'ailleurs le chef, car chaque niveau est contrôlé, ou plutôt organisé, par un individu légèrement supérieur. La deuxième caste a des buts de protection, alors que la première a des buts militaires dans votre monde.

- Vous envoyez des forces armées dans notre monde ? s'étonna Maria. Pourquoi ?

- Pour toutes sortes de raisons. Pour vous empêcher de faire des folies. Pour protéger des objets magiques un peu trop puissants. Pour mettre hors d'état de nuire des tyrans, des magiciens un peu trop contrôlant, des démons en fuite, pour vous aider, bref.

- Et les autres dragons ? demanda l'humaine, qui calculait depuis un moment.

- En effet, notre hiérarchie ne couvre que deux cent soixante-dix neuf des nôtres. Les autres sont des éléments en préparation, trop jeunes pour occuper un poste dans l'immédiat, et des individus qui se sont retirés de la hiérarchie pour éduquer ces derniers. Ils servent aussi à trouver la pitance des autres.

- Des paysans, en somme.

- Des paysans destinés à autre chose, précisa le reptile en piquant vers la terre. Accroche-toi, nous sommes arrivés.

Gandor atterrit face à un bâtiment de pierre noire polie. Il fit débarquer son élève, puis ils entrèrent à l'intérieur. Là, neuf plateformes d'or incrustées de pierres précieuses trônaient, dont huit étaient occupées. Le dragon turquoise invita la jeune fille blonde aux yeux verts à s'asseoir à côté de la dernière plateforme alors qu'il y prenait place. Un de ses semblables, de couleur bourgogne, gronda et dit :

- Que fait cette humaine ici, Gandor ? Ils sont interdits.

- Si tu avais laissé le Siège là où il était prévu, Drogan, je n'aurais pas été obligé d'emmener mon élève avec moi.

Des sept autres dragons, un seul, aux écailles dorées, sembla s'intéresser à la fillette.

- C'est donc là l'un des deux finalistes si prometteurs dont tu m'as parlé ?

- Oui, il s'agit de l'un d'eux. L'autre lit le Livre. Le pauvre devra le lire en entier, car je ne pourrai le libérer à temps du sort d'Attention.

- C'est malheureux. Mais Drogan avait une excellente raison de nous convoquer, et cela mérite que tu prives ton étudiant de quelques heures de sommeil.

Voyant la confusion de Maria, le reptile doré se présenta :

- Je suis Nogard, roi Suprême de l'île de Resujmat. Tu es la bienvenue ici, chère enfant.

- Ne la laisse pas seule une seule seconde, Gandor, menaça Drogan, ou je pourrais être tenté de mettre fin à ses jours.

Le roi Suprême se leva, pointa sa tête vers le toit, qui était vaquant, gronda et hurla :

- QUE JE TE VOIE METTRE UNE SEULE DE TES SALES DENTS VENIMEUSES SUR ELLE ET TU SERAS DÉTRUIT, ESPÈCE DE SALAMANDRE VISQUEUSE !

L'assemblée fut parcourue de rumeurs. Jamais leur chef ne s'était énervé ainsi.

Nogard inspira profondément, puis poursuivit plus calmement :

- J'en ai plus qu'assez de ton comportement de vieux chien enragé, Drogan. Si tu ne revois pas ton comportement incessamment, je devrai sévir.

- Que me ferez-vous ? fanfaronna le Haut-roi.

- Je te retirerai ton titre de gouvernant et j'enfermerai ton esprit dans notre plus malodorant cachot psychique. Ensuite, je déchiquetterai ton corps et le donnerai à manger aux chacals qui peuplent le royaume de Grodan.

Drogan avala de travers, puis se coucha en signe de soumission. Nogard commença donc la réunion.

- Chers amis, nous nous sommes réunis aujourd'hui à la demande du Haut-roi Drogan, qui, comme vous le savez, s'est vu affecté à la surveillance des activités militaires vampiriques. Il a donc remarqué que nos ennemis jurés se regroupent et s'entraînent dans un but encore inconnu. Expliquez-leur, Drogan.

- Voilà. Comme vous l'a fait remarquer notre roi Suprême, un inquiétant attroupement de Wyvernes détrônés de leurs corps sévit au moment où je vous parle dans la région de l'Afrique du Sud, formé pour la-plupart de jeunes individus incapables de retenue face à de la chair fraîche.

La jeune fille aux yeux verts ne dit rien, mais, malgré cela tous purent entendre son incompréhension face aux paroles du Haut-roi Drogan. Gandor lui expliqua donc :

- Je vous ai dit à propos des vampires qu'ils étaient des humains désirant ressembler aux Wyvernes. En fait, ce sont les esprits des Wyvernes chassés de leur corps qui tentent de retrouver leur forme reptilienne.

Maria fit signe qu'elle avait compris et Drogan continua, irrité :

- Malgré ce fait, quelques dizaines de vampires matures, et donc capables de se réduire ou de se grossir à volonté, sont avec eux. Parmi ceux-là, il y a notre cher ami Trip'sen.

- Qui est Trip'sen ? questionna Maria.

- C'est celui à qui appartenait le corps de Nogard, lui appris Gandor. Il est devenu le chef des vampires.

La nuit se poursuivit ainsi. Lorsque, de plus en plus énervé par les incessantes questions de Maria, qui tentait désespérément de comprendre de quoi parlaient les dragons, Drogan les informa qu'ils étaient au total près de cinq cents vampires, les discussions se portèrent aussitôt sur la question suivante : devait-on arrêter les faux humains buvant le sang des magiciens ? Quand il fut finalement décrété que les dragons ne feraient rien tant que les anciens Wyvernes en feraient de même, Maria s'endormit. Sous les ricanements des autres rois, Gandor s'envola aux lueurs de l'aube en devant mettre la jeune humaine sur ses épaules lui-même.

L'Empire des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant