Le début du Renouveau

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L’elfe Gandor admirait le lointain soleil, les yeux brillants d’admiration. Mais c’était là la seule marque d’un semblant d’émotion en lui. En effet, comme tous les elfes, il ne révélait jamais ses sentiments en les affichant sur son visage. Il en aurait été bien incapable, d’ailleurs.

Il allait mettre fin à sa contemplation quand, dans un rayon de soleil, l’image d’un homme petit de taille, grassouillet et chauve, revêtu d’un costume de cérémonie, apparut devant lui. Celui-ci s’inclina très, très bas, presque assez pour toucher le sol de son nez. Et il resta ainsi. Gandor arqua l’un de ses fins sourcils. Qu’attendait-il donc, cet humain, pour lui faire sa demande ?

Soudain, il comprit. Il lui montrait son respect en attendant qu’il parle en premier dans cette position inconfortable. Il en fut si surpris qu’il failli en relâcher l’illusion qui lui donnait cette forme. Cet humain le saluait à la façon de son peuple !

Il se secoua un grand coup mentalement, et prit finalement la parole :

-        Bonjour, humain si instruit. Que me vaut ta présence ici ?

-        Bien le bonjour, maître elfe, fit l’homme en se redressant sur son mètre trente-huit et en tirant sur ses manches de velours bleu. Je suis venu vous voir pour vous demander une faveur.

Gandor arqua à nouveau un sourcil.

-        Tu sais sans doute ce que tu encoures en requérant mon aide ou celle d’un de mes sujets ?

-        Certes. Mais c’est une véritable urgence. J’ai besoin de vos connaissances. Ou plutôt mes élèves en ont besoin.

-        Que voulez-vous dire ?

-        Je suis le propriétaire d’une école. Une école de magie. La seule école de magie humaine, en fait. Et, malencontreusement, l’un de mes enseignants, en tentant de réactiver les boucliers et autres protections de l’Institut, a interverti Regétorp et Amocorp dans l’enchantement. Il en a résulté un coma instantané. Les meilleurs mages médicaux travaillent en ce moment même à le guérir, mais les chances de réussite d’ici à la rentrée scolaire, ou même d’ici la fin de l’année, sont presque inexistantes. De plus, il faut réactiver les défenses du collège. C’est pourquoi j’ai l’obligation de vous demander secours.

L’elfe hocha la tête quelques secondes, réfléchissant, puis quitta la pièce. Le directeur d’école senti une terrible déception monter en lui. Qu’allaient devenir les élèves de dernière année, sans professeur pour leur enseigner ? Ce serait une catastrophe. Lui-même pourrait leur montrer son savoir, mais il ne prétendait pas savoir suffisamment pour répondre aux nombreuses questions des étudiants. Très peu de personnes sur Terre, ou même ailleurs, pouvaient le prétendre. Selon son oracle personnel, il y en avait trois, plus précisément. Deux elfes et un humain. L’humain étant l’ancien instituteur, il était exclu. Quant aux elfes, le premier d’entre eux avait déjà refusé, de façon catégorique. Si Gandor déclinait l’offre à son tour, il ne resterait plus au directeur qu’à fermer le volet de dernière année, ce qui provoquerait des émeutes, puis la fermeture de l’école entière, après des essais inutiles pour le remplacer. Le tarot – le vrai, celui qui fonctionnait – le lui avait assuré, avec une certitude qui ne lui ressemblait guère.

Gandor épiait les pensées de l’homme avec compassion. Le pauvre bougre ne souhaitait rien de moins que le bonheur des siens. Pour cela, il l’aiderait. Pour cela et bien d’autres choses qu’il ne réussirait jamais à s’avouer.

Alors, il revint dans la pièce, une lourde malle à la main, remplie de ses effets personnels. L’espoir revint dans les yeux et dans l’esprit de l’humain. Toutefois, il n’osait croire à un tel revirement de situation. C’est pourquoi il demanda :

-        Que… que faites-vous ?

-        Je prends mes effets personnels avant de vous suivre à votre Institut, répondit l’elfe calmement. Mais, d’abord, parlons de mes conditions. Qu’avez-vous à m’offrir contre mes services ?

Le chauve se raidit avant de répondre :

-        Ce que vous désirez, maître elfe.

-        Je ne veux, répondit celui-ci, ni or, ni argent, ni paroles. Ni alcool ni grimoires, et encore moins d’instruments. Tout cela, je l’ai déjà. Il ne me manque qu’une seule chose. Un réceptacle où stocker mon savoir et mes connaissances. De sorte que je n’emporte pas mes découvertes, sans dire à jamais, pour un sacré bout de temps, avec moi dans la tombe. Car oui, j’aurai une fin. Quelques siècles risquent de s’écouler avant ce moment, peut-être moins, mais à ce moment, je serai paré.

-        Comment puis-je vous offrir cela ? s’écria presque le directeur. Aucun objet ne peut contenir la mémoire d’une vie aussi longue que la vôtre, sans vouloir vous offusquer.

Gandor soupira. Qu’ils avaient l’esprit étroit, ces humains !

-        Je ne parlais pas d’un objet inanimé, Braddwing. Je veux un apprenti. À la fin de l’année scolaire, je partirai avec sept jeunes que j’aurai moi-même préalablement choisis. Je leur montrerai des sphères de la magie dont les autres ne rêveront jamais, qui les transformera au plus haut point. Un seul aura accès à toutes mes connaissances. Et c’est là que vous intervenez. Vous devez comprendre que ce jeune ne reverra plus, ou peu, sa famille. Et, si cela arrive, ils rencontreront un être maladroit, craintif, débutant dans l’art de contrôler son nouveau physique. J’en ferai… un elfe, si je puis dire ainsi. Vous devrez faire comprendre cela à la famille du jeune que je choisirai.

Le gros homme avait les yeux qui semblaient prêts à jaillir de leurs orbites. Malgré tout, il fit signe à l’elfe de poursuivre.

-        C’est tout. Ma seule autre condition est la suivante. Je veux une totale indépendance de ma classe. Je désire prendre les décisions des punitions, des récompenses, des sorties et des sujets abordés sans avoir besoin d’en référer qui que ce soit. Une liberté entière et sans faille, en gros.

-        J’accepte, fit Braddwing, après un bref instant d’hésitation.

-        Bien. Je vous annonce que les enchantements de défense de votre établissement sont rétablis depuis vingt-cinq minutes trente-sept secondes, exactement, et sont plus puissants que jamais. Mes affaires sont dans le bureau que vous comptiez m’offrir. Je me présenterai à l’institution à la seconde précise où les cours débuteront. Pas avant. N’insistez pas.

L’homme s’inclina et disparut comme il était apparut. L’elfe soupira et s’assit en indien pour méditer. Il devait trouver les choses qu’il enseignerait à ses étudiants. Et, bien sûr, trouver un homme de confiance à qui confier son domaine.

L'Empire des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant