L'Ermite

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Je poursuivis mon train-train quotidien. 

Après avoir englouti un lièvre qui avait eu le malheur de se retrouver sur mon chemin, je piquai une bonne tête dans le lac. L'eau glacée me fit frissonner de bonheur. Je savais bien que les loups ne faisaient pas souvent ça et je trouvais drôle de n'en faire qu'à ma tête. On m'avait dit que je finirais par attirer les soupçons, mais il n'y avait aucun témoin dans ces bois. Les chasseurs, grâce à moi, ne vantaient pas l'hospitalité des animaux sauvages de la région, ce qui rendait la forêt tranquille. Et c'était parfait comme ça. 

Je n'avais cependant pas réussi à faire fuir tous les gêneurs. Il en restait un seul. 

Mamie Cam, je l'appelais. Car elle se faisait toujours de la camomille. C'était une vieille dame qui habitait seule, dans le fond de la vallée sur les berges du lac à la truite. À ma connaissance, elle avait toujours vécu là. Elle n'avait jamais eu de famille et son mari est mort il y a une vingtaine d'années. Je le savais, car elle travaillait au manoir, à l'époque. Elle était femme de ménage. 

Après ce qui s'était passé dans cette maison, tous l'avaient fuie, y compris elle et moi. Et que je le veuille ou non, elle était la personne la plus proche de mon entourage étroit. Car elle savait. 

Elle savait pour ma double-nature. 

Ça remontait à un accident. Un jour, je me baladais près du lac en quête d'un beau coin pour me régaler des truites à qui je venais de faire passer probablement le moment le plus traumatisant de leur existence. Le dernier, aussi. Donc après avoir savouré mon encas, j'avais soigneusement évité la cabane de l'ermite et m'étais trouvé une jolie petite plage de sable épais, bien cachée. Je m'étais apprêté ensuite à faire une chose très désagréable. Me laver. Mais bon, je n'avais pas vraiment le choix. Sous forme lupine, ça pouvait passer, mais dès que je devais avoir recours à ma forme humaine (bien que c'était rare), je n'étais pas très beau à voir au bout d'une semaine. Ni bon à sentir. C'est donc ainsi que je m'étais transformé et étais sauté à l'eau. J'avais à peine commencé à nettoyer la crasse sur mon corps que mon ouïe accrue m'avait fait tourner la tête à un craquement de brindilles. C'est là que je l'ai vue, la vieille dame. Et à la façon qu'elle m'avait dévisagé (sa figure n'avait pas de prix), j'avais compris tout de suite qu'elle avait tout vu. 

Et aujourd'hui, elle était la seule personne avec qui je pouvais avoir une conversation incluant autre chose que "j'ai faim" ou "je dois aller au petit coin". Car les animaux, ils étaient peut-être sympas, mais pas retors. 

Après ma baignade, je me hissai sur le rivage et me secouai vigoureusement le poil (oui, comme les chiens...). Ensuite de ça, je fis route vers le lac à la truite. La vieille chipie attendait sûrement déjà ma visite de la semaine. 

Une fois là, je trottinai vers la cabane et la contournai pour faire face au balcon. Là haut, assise dans sa chaise en osier, Mamie Cam baissa les yeux sur moi. 

- Eh bien, Ryder! Tu m'avais pourtant dit que tu ne reviendrais pas me voir. Quel bon vent t'amène? dit-elle avec un sourire que je savais vainqueur. 

La dernière fois, je lui avais effectivement balancé que sa camomille massacrait mon flair et que je ne voulais plus l'avoir sous le museau. Hélas, cette mégère savait parfois se montrer plus amusante que prévu. 

Sans plus tarder, je pris forme humaine. Aussitôt que je me levai sur deux jambes, je la sus embarrassée, mais moi je m'en moquais. Un loup se promène bien nu en permanence, non? Alors elle était où la différence? 

Elle me pointa une serviette sur sa table extérieure. Je la pris (de mauvaise grâce) seulement car je savais qu'elle allait rester perturbée tout le long de notre entretien sinon. Je m'assis sur dans les marches pour regarder le lac qui était tranquille, cet après-midi. 

- Comment se passe ta vie là-dehors, mon petit? me demanda-t-elle, prenant un malin plaisir à jouer les gentilles grand-mères. 

- Je ne pourrais pas rêver mieux. 

La vibration étrange de ma voix humaine, très grave, me dérangea. Je n'avais pas parlé depuis longtemps. 

- C'est bien, au moins tu es heureux là où tu es. 

Je ne répondis pas, me contentant d'observer la forêt où je vivais, qui brillait par son vert impressionnant. S'il y avait bien une seule chose que j'appréciais de ma forme humaine, c'était ma vue. Mes yeux sous cette forme voyaient bien plus de couleurs. Je trouvais ça magnifique. 

- Oh! J'ai failli oublier, veux-tu bien me suivre à l'intérieur, j'ai préparé quelque chose pour toi, me dit-elle en souriant, mais cette fois, de réelle bonté. 

- Qu'est-ce que tu me veux, mamie? 

- Allez, ne fais pas ton impertinent. Je sais que tu adores ça. 

Je soupirai et me levai, lui offrant bien malgré moi mon aide pour l'aider à faire de même. Elle m'entraîna dans sa vieille bicoque. Je n'y étais jamais entré auparavant. Je fus surpris, même si l'odeur du bois sec me fit éternuer plusieurs fois, par la propreté de l'endroit. Elle entretenait bien sa tanière, je devais le reconnaître. C'était plutôt coquet aussi, avec ces murs vert clair et cet osier. La dentelle venait prouver que c'était l'antre d'une dame du troisième âge. 

J'avançai dans la cuisine et vis tout de suite de quoi elle avait parlé. Au milieu de la table, sur une assiette blanche, trônait un énorme gâteau au chocolat. 

J'ouvris grand les yeux et me mis à saliver. Je fis un pas en avant mais la main de la vieille dame me retint le bras. 

- Hé oh, qu'est-ce qu'on dit?

Ne quittant plus des yeux le joyau comestible qui n'attendait plus qu'à finir dans mon estomac, je souris béatement et lançai:

- Merci mamie! 

Alors que je me précipitais sur le gâteau, je me rendis compte que j'en oubliais les bonnes manières. Sous l'oeil pointu de la vieille dame, j'allai me chercher une assiette et des ustensiles dans le placard et m'assis à une chaise. Je me servis aussitôt une part de ce délice. Dès la première bouchée, je frisonnais de bonheur. Ça faisait des lustres que je n'en avais pas eu un. En effet, plutôt difficile de se mettre ça sous la dent quand on est à quatre pattes et dans la forêt. 

- Un loup qui adore le chocolat, on aura tout vu, soupira-t-elle gentiment. 




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⏰ Dernière mise à jour : Jan 03, 2017 ⏰

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