Chapitre 6. Le Calme revenu.

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Il y a dans le salon, posé avec soin sur un vieux buffet massif, une maquette de bateau qui est souvent inondé par la poussière. A chacun de mes passages, j'avais le rituel de souffler dessus, faisant rouler les voiles et chasser la poussière. Sur la coque était gravé un nom mais les lettres étaient à peine lisibles, si bien que je discernais très mal son appellation. 

Puis un jour, le chat l'a fait tombé. Il a goûté à une descente, plein voile, sans aucun obstacle, libre, le vent dans la figure, avant de se fracasser contre le carrelage. Le mat a été brisé et maman a refusé qu'un bateau en morceau soit exposé dans le salon. Je l'aie gardé précieusement dans ma chambre, dans mon armoire et depuis je lui avais donné le nom de  "L'Arche Rompue." Et lorsque je jouais avec, ce que j'avais toujours souhaiter mais qui m'avait été interdit, je racontais ses hauts faits, et la terrible tempête qui lui avait arraché son membre principal. Je n'aie pas manqué non plus de remercier le chat ! 

J'ouvre les yeux. Il fait nuit. Un rayon argenté traverse un hublot et illumine paisiblement la cale. Les hommes ronflent avec entrain. Les hamacs se balancent. Je m'assied. La tempête semble s'être évaporée et n'est plus qu'un mauvais souvenirs. Je soupire, soulagée. Pieds nus, je quitte la cale, et monte sur le pont, enroulée dans mon manteau. Les nuages ont disparus, laissant place à un ciel bleu sombre parsemée de lanternes scintillantes. 

Excepté le vigile perché à plusieurs mètres au dessus de ma tête, et Brack qui somnole sur sa barre, le pont semble vide à première vue. 

Mais à l'avant du bateau, accoudé, les yeux posés sur les flots à présent au repos, Nighton semble perdu dans ses pensées. 

Je ne suis pas fatiguée ; une fierté m'empêche de songer à dormir. J'ai survécu à ma première tempête : je suis baptisée ! Je voudrais fêter ça !

Je marche et me place à un mètre du lieutenant qui ne prête visiblement pas attention à ma personne.

-Quelle heure est-il..? Je chuchote.

-Il n'est pas tard, la nuit vient seulement de tomber. 

-Personne n'a été blessé ?

-Non. Ce n'était pas non plus un maelstrom..! 

-Je sais bien. Mais quand c'est la première fois que vous naviguez, c'est épouvantable.

Il rit doucement. 

-C'est quand même surprenant que tu es dix sept ans et que tu n'es jamais posé un orteil sur un rafiot.

J'avale ma salive.

-Je vivais à la campagne, et avant que ma mère meurt, elle refusait de me voir mettre un pied dans l'eau. Elle avait peur pour moi.

-Et ton père ? Que fait-il ?

-Il est mort quand j'avais sept ans. Ma mère m'a tout caché à son sujet. Je ne sais rien de lui.

-Donc tu as profité de ton état d'orphelin pour prendre la voile ?

-Exact Monsieur.

Il hoche la tête. Je n'aime pas mentir mais c'est pour la bonne cause. 

-Va manger quelque chose, me dit-il.

Je gagne la cuisine et là, le Coq, sous son vrai nom Max, m'offre de quoi boire et une tomate accompagnée d'un morceau de pain frais. 

Nous bavardons un moment. C'est un homme simple, travailleur, qui par dessus aime les dauphins. Et c'est la seule chose qui le pousse à partir en mer. 

-Aurons-nous la chance d'en croiser ? Je lui demande.

-Bien sûr ! Et pas que des dauphins ! La Méditerranée grouille de magnifiques créatures ! Peut être aussi verrons nous des sirènes...

-Des sirènes ? Mais ce sont des personnages fantastiques !

Il rit. Mais son air reste sérieux. 

-Non, nombreux sont les bateaux qui partent en mer mais qui ne rentrent pas chez eux ! 

-Mais il ne s'agit pas forcement de sirènes...

-Mon petit, si tu veux aller loin, il faut avoir de l'imagination !

-Donc ce n'est pas réel.

-Moi j'y croies. Et toi aussi tu y croirais si tu avais vu ce que j'ai moi-même vu ! 

-Vous avez déjà vu des sirènes ?

-Ah ! 

Et il s'est remet à rire sans jamais me répondre. Je ne le croie pas. 

Puis je suis reparti me coucher, plongée dans d'étranges réflexions. Max était-il réellement sérieux ? Le fait qu'il soit si convaincu me laisse douteuse. Une émotion inconnue me pince le cœur. Puis j'ai de la peine pour l'équipage : je ne suis qu'une pauvre hypocrite qui leur fait croire que je suis un brave gaillard de dix sept ans...C'est moi la folle ! Non. Si je suis sur l'Espadon, c'est pour mieux connaitre l'Océan, alors sirènes, krakens, monstres, ou maelstrom...Je suis prête à tout affronter ! Même le regard mystérieux et indéchiffrable de Nighton ! 





A bord de l'Espadon.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant