Vers vingt heures, July envoya un texto à Mia lui demandant de descendre la rejoindre devant « The Crocodile ».
Mia laissa un message à sa mère sur la table car elle avait beau être en première année de fac, sa maternelle était telle une mère poule s'inquiétant de chacun de ses mouvements -en plus de ses cours, lui expliquant où elle était partie et qu'elle rentrerait certainement assez tard.
Mia aimait bien ce bar, il permettait de découvrir de nouveaux groupes nationaux et il était agréable. Certes, la sueur était au rendez-vous et les toilettes extrêmement sales, mais on ne pouvait pas tout avoir. La jeune fille descendit de chez elle, s'engouffra entre les deux arbres, tel un petit passage secret, traversa la rue et arriva au Crocodile. Juste devant l'établissement July l'attendait. La façade était d'un noir intense et ressemblait à un plumage de corbeau. Ce n'était pas un immeuble, juste un établissement, sans étage, qui semblait avoir été construit spécialement pour accueillir un bar. Les fenêtres, teintées de plusieurs couleurs : rouge, jaune, vert, ressemblaient à des vitreries. En levant légèrement la tête, on pouvait voir une enseigne verte, avec des écailles de crocodile, le nom du bar y était inscrit en lettres rouges.
Mais pas le temps de s'y attarder, July attrapa Mia par le bras et la tira vers l'entrée, avant d'être arrêté par un videur : munie de fausses cartes d'identité elles entrèrent sans soucis dans la salle. July avait déjà repéré quelques hommes d'une vingtaine d'années pour leur tenir compagnie jusque tard dans la nuit.
Ce qui était bien avec July, c'était qu'elle avait toujours de bonnes idées, de plus elle était tellement sociable et jolie que Mia n'avait pas besoin de faire la conversation : tous les regards étaient dirigés vers son amie, son côté enfantin attisait les plus curieux. Les jeunes hommes avaient commandé quelques verres pour Mia et July, qui encore mineures ne pouvait en acheter, en quelques minutes elles burent tout ce qu'ils avaient proposé.
Le groupe de musique rock-électro prévu ce soir-là : « The demon of neons », se déchaîna sur la scène et enflamma la salle. Selon Mia, c'était certainement le meilleur groupe qui avait performé depuis un bon moment. La pièce était illuminée par quelques spots pour une vague ambiance de boite de nuit des années 90. Le violet, le rouge se mêlaient au rose. Une légère brume commençait à enfumer les bras et les jambes qui se jetaient dans tous les sens. On pouvait voir les corps s'enlacer, se rapprocher, les bouches s'écraser les unes contre les autres. Les corps de Mia et July étaient entourés des jeunes hommes que July avait approchés au début de la soirée. Mia sentait contre elle le frottement des jeans, la sueur dégoulinante le long de son cou, des brides de murmures d'hommes et femmes saoulés.
Elle sentait encore le goût du mojito dans sa bouche. L'alcool lui laissait toujours un goût amer, une bouche pâteuse même si elle n'avait bu qu'un seul petit verre. Les mains du jeune blond qui se tenait derrière elles lui caressaient ses bras. Le chemisier de Mia était à manche trois-quarts, cela n'empêchait pas le danseur aux yeux bleus de baisser lentement une manche pour laisser apparaitre l'épaule de la jeune brune. Les yeux bleus alcoolisés dévoraient Mia. Personne ne cherchait en boite de nuit à savoir quoi que ce soit de la personnalité des personnes. Mia se laissa porter au fil de la musique hypnotisant.
Le groupe venait de changer de musique, c'était une reprise de Sia, "Waving Goodbye" qui animait maintenant la salle. Le blondinet avait pris les choses en main et semblait tenir au creux de celles-ci le corps vaguement articulé de la jeune femme. Les yeux dans les yeux, lèvres contre lèvre, Mia se senti obligée de s'éloigner et de briser l'instant d'un coup sec. Elle se retourna et se perdit dans la foule, entre les mains qui s'attrapaient, se caressaient. Elle se dirigea vers les toilettes pour respirer autre chose que de la sueur. Lorsqu'elle y arriva, tout était pour une fois désert. Aucune fille pour se remaquiller, aucun couple pour crier la porte fermée.
Mia se jeta de l'eau froide sur le visage pour se rafraîchir. Son maquillage waterproof avait fait ses preuves. Il tenait effectivement très bien. Elle eut à peine le temps de reprendre son souffle que des couples et des hordes de jeunes personnes débarquèrent, ne la laissant pas tranquille dans son intimité. Enfin le peu d'intimités que l'on pouvait avoir dans des toilettes comme celles-là. Elle ressortit des sanitaires, la salle était toujours dans l'ambiance hypnotique dans laquelle elle l'avait laissée. Mia s'adossa contre un mur. Là, devant la jeune femme se trouvait une jeunesse perdue et désabusée.
Dehors, des évènements tragiques arrivaient chaque jour. Ils venaient ici pour échapper à leur destin, échapper à l'horreur de l'extérieur. Mia pensait surtout que s'ils venaient ici, c'était pour trouver des gens comme eux : perdus et malheureux. Lorsque l'on a peur, qu'on est mal, qui peut mieux comprendre notre souffrance que des personnes qui vivent la même chose ? Mia se souvint de ce que son professeur lui avait dit : qu'elle n'avait pas assez vécu pour affirmer sa théorie et déblatérer des paroles comme celles qu'elle venait d'énoncer.
Dans un élan de folie, l'esprit embrumé par l'alcool, Mia décida de lui prouver. Dès ce soir. Elle allait crier haut et fort qu'il avait tort. Elle se faufila entre les jambes dansantes, attrapa son sac et sa veste. Lorsqu'elle sortit de l'établissement, l'air froid fit rosir ses joues. La porte se referma violemment sur elle, comme pour lui dire qu'il fallait qu'elle parte. Pour une fois, personne n'était devant les écailles, à fumer. Il faisait trop froid certainement. Sur ses hauts talons, Mia tremblait. La glace avait remplacé le béton. Elle finit par enlever ses chaussures. C'était gelé. Elle se déplaça là où la neige avait fait des petites dunes pour éviter de rester coller au sol. Elle traversa la rue sombre et silencieuse. Il devait être vingt-trois heures. Elle salua ses deux gardiens couverts de neige et entra chez elle. Lorsqu'elle ouvrit la porte, une simple petite lampe était encore allumée. Sur la table de la salle à manger, une salade de riz, tomate et oeufs que sa mère lui avait laissés attendait. Mia entrouvrit la porte de la chambre de sa mère, elle dormait profondément, ses cheveux noirs lui tombant sur le visage. Elle était rarement là, exténuée par ses journées, elle se couchait en général vers 22h.
Elle dirigeait la formation d'une grande école de commerce. Mia était très fière de sa mère, de tout le chemin qu'elle avait fait. Elle était tombée enceinte assez jeune, à vingt ans. Le père de Mia avait reconnu sa fille, mais après maintes disputes et tromperies de sa part, ils avaient divorcé lorsque la jeune fille avait moins d'un an. Une histoire classique. Le père de Mia avait quinze ans de plus que la mère de celle-ci et malgré son âge plus avancé, il n'avait jamais aidé en envoyant de l'argent ou en essayant de prendre contact avec sa fille. Ca ne dérangeait pas Mia, elle avait sa famille et son père était un inconnu. Pourquoi chercher quelque chose qu'on ne connaît pas ? Si vous voulez manger une tomate, mais que vous ne savez pas à quoi elle ressemble, il vous sera impossible de la trouver. Hé bien, la tomate, c'est le père de Mia. Elle n'en avait donc pas besoin. Après avoir mangé. La jeune fille se dirigea dans sa chambre. Elle attrapa un gros sac de randonner qu'elle n'avait jamais utilisé, glissa des affaires et son carnet bleu tout en essayant de ne pas faire de bruit, l'alcool qui glissait dans ses veines lui donnait envie de dormir.
Elle s'empara de sa carte bleue où se trouvait toutes ses économies pour la fac, qui devaient monter jusqu'à dix mille dollars, accapara dix dollars dans le porte monnaies de sa mère pour avoir de quoi payer un ticket de bus et une boisson. elle changea de tenue pour quelque chose d'approprier pour l'hiver : des bonnes chaussures de marche. Une fois prête, elle s'installe à son bureau. Elle écrivit, pour sa mère afin de lui expliquer pourquoi sur un coup de tête, elle disparaissait de la circulation. Mia souhaitait chercher le plus de personnes possibles sur les routes, dans un autre pays, de toutes les ethnies, les religions, les sexes pour savoir ce qu'ils pensaient de sa théorie en laquelle son professeur ne croyait pas. Tout allait bien se passer et elle serait de retour dans un ou deux mois. Elle n'avait pas d'inquiétudes à avoir. Après tout, sa fille était grande et savait ce qu'il fallait faire. Mia allait glisser sa théorie dans la lettre qu'elle destinait à sa mère aimante. Elle recopia avec soin, mot pour mot son œuvre. Avec cela, plus de doute, elle comprendrait.
Oui, elle comprendrait.
Mais les parents ne comprennent jamais.
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The Crocodile existe bien comme bar à Seattle, mais je n'y suis jamais allée, j'ai juste utilisé le nom et la façade pour mon histoire.
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La théorie des gens brisés [Réécriture]
AventuraMia a une théorie. Une théorie selon laquelle, nous, êtres humains sensibles et censés, sommes attirés par les personnes qui ont vécu des choses atroces, qui sont complètement détruits - et qui peuvent être toxique pour nous- sous prétexte qu'ils so...