Je ne me suis jamais sentie à ma place. Où que j'aille, je ressens toujours ce petit pincement au coeur, cette douleur en sourdine qui se diffuse lentement dans mes veines, jusqu'à m'inonder d'amertume. Qu'importe le lieu, le moment, ça a toujours été comme ça. J'avance à contre courant, à la marge de la communauté que forment les autres jeunes de mon âge. Une sensibilité à fleur de peau aimait à dire ma mère, une âme solitaire sous une frêle coquille. Elle avait raison. Elle avait toujours raison. Mais un jour, c'est la Mort qui a eut raison d'elle. Et à partir de ce jour, ma frêle coquille s'est brisée et j'ai implosé.
Je l'ai appris un vendredi soir en rentrant du lycée. Tous les vendredi, maman était en congé et nous profitions de ces fins d'après midi pour passer un moment toutes les deux, sans papa, sans Enzo, juste entre filles. Nous en profitions pour parler de mes cours, où j'avais de plus en plus de mal à me rendre, de mon avenir, plus qu'incertain, et surtout de mon moral, toujours entre deux eaux.
Un mois plus tôt, lors d'un de ces moments mère - fille, maman était venu me chercher à l'école et nous étions allé au cinéma. Comme à chaque fois que maman m'y emmenait, nous allions au guichet et nous demandions au caissier de choisir pour nous. Cette fois - là, nous étions tombé sur un navet plein d'effets spéciaux ratés. Alors, nous avions passé la séance à imaginer la vie des acteurs en dehors des tournages. Marié ou volage ? Thé ou café ? Maison ou appartement ? Escarpins ou Converses ? Des questions ridicules qui nous amenèrent à des scénarios dignes de bloc-busters avec un espion passionné par le tricot, une fanatique de Tokio-Hotel qui collectionne des peluches de pandas et quelques autres personnages haut en couleurs. Nous avions d'ailleurs dû quitter la salle sous les avertissements des autres spectateurs dérangés par nos gloussements.
Nous avions atterri dans le fast-food situé juste en face du cinéma. À présent calmées, ma mère avait abordé un sujet inhabituel de nos rituels. La lueur malicieuse qui, de coutume, illuminait ses yeux, s'était comme éteinte un instant. Ses doigts jouaient avec la paille de son milk-shake, tandis que son regard soutenait le mien. "Tu sais que je n'ai peur de rien, pas même de frauder en prenant le bus sans payer?" Essaya-t-elle de plaisanter en faisant référence à la fois où on lui avait volé sa voiture avec tous ses papiers dedans et où elle avait finit par prendre le bus sans un sous dans la poche. Elle esquissa un sourire triste avant de reprendre : "Pourtant, je suis poursuivie par une sorte de démon depuis quelques temps. Je pense à ma mort. Laisse moi finir, m'intima-t-elle avant que je ne la coupe, je sais qu'un jour, elle viendra. Et je veux que toi et Enzo continuez à avancer, ensemble. Je ne veux pas que tu le laisses tomber.
- Mais, arrête de parler comme si tu allais mourir demain d'un cancer ou d'un éclatement de la rate ! Tu as le temps avant de penser à ça ! Tu te biles pour rien, on dirait moi." Lui avais - je répondu, sans me rendre compte de l'imperceptible tressaillement de ses épaules lorsque j'ai mentionné les mots cancer et éclatement. J'étais étonnamment près de la réalité.J'avais totalement oublié cet échange. Avant ce vendredi fatidique. Ce jour - là, j'avais fini les cours plus tôt grâce à l'absence d'un professeur et m'étais empressée de rentrer à la maison, pour notre rituel. Mais ce vendredi là, ce n'était pas les bras protecteurs d'une mère qui m'avaient accueillie, c'était un remue - ménage sans nom. À peine arrivée au coin de la rue, les cris stridents des sirènes avaient inondé mes tympans et des faisceaux lumineux m'éblouissaient. Les voisins s'étaient rassemblés autour d'un immense camion de pompiers. Et mon petit frère pleurait dans les bras de mon père tout autant affecté. Il agitait son doudou en direction d'un brancard que l'on emmenait à toute vitesse dans l'énorme véhicule. Comprenant d'un seul coup, je m'étais élancée vers Enzo et sa vieille peluche éraflée.
Ce jour - là, j'avais appris le nom du démon de ma mère. Sida.
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Implosion
Short StoryLe seul pilier dans sa vie : sa mère. Mais un jour, ce pilier s'effondre et c'est l'implosion. Revivre ses souvenirs pour se reconstruire ou pour se détruire ?