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Le matin suivant cette fameuse nuit, je n'avais pas pu me lever tant l'étau de fer qui encerclait ma cervelle m'empêchait de réfléchir. J'avais l'impression qu'une main géante s'était refermée autour, extrayant d'elle toute réflexion. C'était d'un inconfort terrible, pourtant, la sensation m'était agréable. Ma tête ne fonctionnait plus, aucune pensée ne venait me gêner. Cependant, rien que le fait d'ouvrir les yeux me paraissait impossible. La lumière filtrée par les volets mis clos m'éblouissaient, me forçant à garder les paupières closes. Allongée de tout mon long sur le lit, j'attendais. Je savourais cette tranquillité. 

Puis, il fallut se lever. Enzo étant à l'école, je me retrouvai seule avec mon père, silencieux. Il me fixa un instant. Je suppose que mon air hagard ne lui avait pas échappé, mais il ne fit aucun commentaire. Non, il se contenta de me demander si c'était moi qui avait mis la couverture. Le son de sa voix me fracassa. Alors qu'il n'avait que chuchoté, ses paroles eurent l'effet d'une corne de brume. Sous l'effet du choc, je refermai violemment les yeux. Je ne lui répondit pas et il comprit.

Depuis, la couverture couvre le fauteuil de ma mère. De l'encadrement de la porte où je me tiens, je regarde la pièce. C'est là où tout a commencé. Là où le démon de ma mère s'est réveillé, là où j'ai tenté de le faire disparaître. Cette couverture agit comme un linceul sur cette pièce. Plus rien ne s'y déroule, plus personne n'y regarde de film, n'y lit. Les photos accrochées au mur prennent la poussière. Tous nos sourires sont ternes à présent, comme figés dans une époque révolue où seuls subsistent des souvenirs amers. Je m'approche du grand cadre noir qui orne le manteau de la cheminée.

Pendant longtemps, ma mère refusa d'épouser mon père. Elle trouvait ça vieux jeu et mis des années à lui donner une réponse favorable. J'avais quatre ans et j'étais très fière d'être la demoiselle d'honneur qui donnerait les alliances. Je ne me souviens plus très bien de la cérémonie, mais des bribes me restent. Les pétales de roses, par exemple. Elles s'envolaient dans le ciel et retombaient doucement sur mon visage. Le doux vent printanier les poussait au milieu des nuages. Des milliers de petits points roses virevoltaient, rendant cette scène magique. Je ne pouvais arrêter de les regarder tant c'était beau.

De ce jour subsiste la photo de la sortie de la mairie. Sous la poussière, le bonheur de mes parents est visible. Ils se regardent tendrement tandis que les pétales volent autour d'eux. Un instant merveilleux fixé à jamais sur une photo. Mais, un instant oublié recouvert par le linceul du deuil.

Je sens au fond de mon coeur, la douleur revenir. Pourtant, cette fois ci, elle est différente. Je n'ai plus mal parce que ma mère est morte, j'ai mal car le souvenir de ma mère s'estompe. J'ai tenté d'oublier. Toutes les nuits. Avec le même libérateur. Mais, quelle personne faut-il être pour essayer d'oublier sa mère ? Quel monstre faut il être ? Les larmes roulent violemment sur mes joues. Je ne fais rien pour tarir ce flot incessant, je les laisse dévaler mon visage et se perdre dans le col de mon pull. De colère, j'attrape le linceul fleuri qui recouvre le trône de ma mère et tire. De toutes mes forces. Les cendres de son souvenir s'éparpille dans l'air, se faufilent dans mes poumons et me brûlent de l'intérieur. Je tousse et m'effondre. J'ai besoin d'éteindre le feu qui se propage dans mon corps. Chacune de mes cellules prend flamme. Je. Veux. Boire.

Après avoir eu cette pseudo - discussion avec mon père sur cette couverture, j'avais battu en retraite dans ma chambre. Le mal de tête n'en finissait pas et le moindre craquement de la maison se répercutait dans mes tympans. Je ne savais pas comment neutraliser ce déchirement. J'attrapai ma tête à deux mains et l'enfouis dans les draps. Ce fut pire. Les frottements étaient insupportables. Au bord de la crise de nerfs, je me laissais tomber à terre et rouler contre les pieds du lit. Mon crâne résonnait, encore et encore et encore. J'avais la sensation qu'il éclatait. Il fallait que ces bruits cessent. Roulée en boule sous le sommier, je tendis la main. Du bout des doigts, je touchai une paroi lisse et froide. La bouteille se nicha dans ma paume, entraînant des frissons qui parcoururent l'intégralité de ma peau. À bout de souffle, je l'apportai à mes lèvres, versant son contenu dans ma gorge. Quelques rasades plus tard, ma tête ne cognait plus. J'étais libérée.

Tout de suite, je m'empresse de retrouver ma chambre, lâche Monsieur Gus et me jette sous mon lit. Là où, depuis, je cache mes bouteilles chéries. Ventre au sol, je reproduis les même gestes, auxquels je suis maintenant habituée et extirpe une bouteille au liquide limpide. Une gorgée. Chaleur. Deux gorgées. Calme. Trois gorgées. Ivresse. Quatre gorgées. Cinq gorgées. Six gorgées. Plaisir.

Ma vue se floute. Des milliers de petits points noirs virevoltent devant mes yeux. Je ne peux pas m'arrêter de les contempler tant cela m'apaise.

Il est là le problème. Je ne peux pas me passer de cette ivresse.

Encore un nouveau chapitre ! Bon, je sais c'est vachement triste... Mais, à votre avis, va-t-elle se reconstruire ou se détruire ?
Car c'est bientôt fini ! Plus que deux chapitres !

Implosion Où les histoires vivent. Découvrez maintenant