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Le carrelage est froid. C'est agréable. Je suis seule. C'est savoureux. Étendue sur ce sol depuis plus d'une heure, je contemple le plafond. La fine fissure qui traverse l'immense étendue blanche paraît si différente de toutes ces petites tâches d'humidité noirâtres qui l'entourent. Elle part d'un angle et continue sa route au milieu de cette foule si sombre pour finir cachée par la base du lustre. Moi aussi, pendant longtemps, j'ai été cette fissure qui tente de faire sa place.

Mon premier jour au lycée à été le plus éprouvant de toute ma scolarité. Il faisait beau. Aucun nuage n'obscurcissait la route du soleil et pourtant, une chape de brouillard s'était emparée de mon cerveau. Une angoisse profonde me tordait les entrailles, provoquant une furieuse envie de vomir. Une véritable tempête me secouait. Tout en moi s'agitait.

Rien qu'en arrivant en voiture devant les portes de l'imposant bâtiment, un sentiment de panique m'envahit. Et le fait que ce soit mon père et pas ma mère qui m'accompagne n'aidait pas. Je ne savais vers qui me tourner quand une petite menotte potelée se posa sur mon épaule. Assis sur la banquette arrière, Enzo me fixait de ses grands yeux bruns et me tendait son doudou. Il avait senti mon anxiété. C'est incroyable comme ce petit réussit à ressentir le mal être des autres à un âge aussi jeune que le sien. C'est comme un sixième sens chez lui. Et ce n'était pas la première fois où il m'apportait son soutien. Déjà, un jour il avait réussi à me faire rire en se dandinant pour me faire oublier ma malheureuse excursion scolaire en nature. Ce jour là, nous avions fait une randonnée en forêt et je m'étais perdue, trop occupée à regarder les feuilles qui volaient autour de moi.

Alors, j'attrapai Monsieur Gus, l'enfournai dans mon sac et sortit de la voiture avant de changer d'avis. Mauvaise idée, très mauvaise idée. À peine entrée, la foule d'adolescents m'avait emportée. Je tentais de me débattre pour sortir de cette cohue, mais rien n'y faisait, ils étaient trop soudés entre eux pour me laisser passer.

Et se fut comme ça tout le long de l'année, j'étais invisible pour eux. Pourtant, j'avais tout fait pour m'intégrer : je m'étais inscrite au club théâtre, je participais, un peu, au débat en classe. Mais rien ne changea, je ne faisais pas partie de leur monde.

Ce soir là, je m'enfermai dans ma chambre. Je pleurai, encore et encore. J'avais sorti le doudou de mon sac ; le pauvre y était resté toute la journée, et le compressais dans mes bras de toutes mes forces. J'étais restée là, roulée en boule sur mon lit, quand mon frère entra dans la pièce. Là encore, il ne dit pas un mot et vint se coucher avec moi. Lui, serrant son Monsieur Gus, moi, le serrant contre mon coeur.

Depuis, nous nous retrouvions tous les soirs ainsi. Il me racontait sa journée et je l'écoutais. Ses boucles blondes s'agitaient comme une auréole tout autour de sa tête lorsqu'il parlait, et ses bras bougeait dans tout les sens pour mimer ses actions. On aurait dit un ange. J'aimais ces moments autant que mes rituels avec ma mère car c'étaient là aussi des instants privilégiés. Les lendemains, au milieu de mes semblables, me paraissaient de cette manière moins difficiles.

Puis, au beau milieu de sa course, la fissure a rencontré un obstacle. Le lustre. La Mort. Le Sida.

Ma mère ne m'avait jamais parlé de cette saloperie qui grignotait son corps. Elle l'avait passé sous silence. Pourtant, tous les secrets finissent toujours par se savoir.

Quatre jours après son arrivée à l'hôpital, maman avait succombé. Je n'avais pas pu la voir une seule fois durant son séjour fatale. Je n'avais pas pu lui poser les questions qui me brûlaient, je n'avais pas pu l'embrasser une dernière fois, lui dire "Je t'aime". Non, le couloir avait été mon seule refuge. Mon père y était lui aussi consigné. C'était donc lui qui m'avait dit. Il m'expliqua que ma mère avait chopé son démon alors qu'elle était adolescente, qu'elle avait vécu avec aussi longtemps qu'elle avait pu. Mais, voilà qu'il s'était réveillé.

Ma mère avait toujours été là pour m'aider à avancer. Toutefois, en cet instant précis, elle venait de me barrer la route. Mon obstacle. Ma mère.

Un deuxième chapitre ! J'espère que cela vous plaira ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! ;)

Implosion Où les histoires vivent. Découvrez maintenant