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Le vent se leva d'un coup pour plaquer son étau sur Laureen , ses vêtements claquèrent dans la nuit. Un des hommes qui l'accompagnaient tourna la tête vers elle. Son regard était froid, << froid comme ce départ, froid comme dans les mauvais films >>, songea Laureen. Il la fixait et cligna les paupières. Pendant une seconde elle perçut l'homme derrière le professionnel, de la miséricorde sous l'austérité. Deviner qu'elle était la destinataire de cette pitié la blessa, son cœur se creusa.
Sous une tour près de l'entrée principale, des gonds métalliques se mirent à gémir. Une étroite poterne perça un trou dans la muraille en s'ouvrant.
Une frêle silhouette se détacha du mur pour s'avancer vers le groupe. Elle tendait une lanterne brillant à peine devant elle comme si c'était l'objet qui la guidait et la tirait dans le noir, et se tenait drapée dans une robe qui se déformait sous les coups des rafales de plus en plus féroces. Elle leva une main précipitamment pour tenir la coiffe de toile qui dissimulait son visage.
Le conducteur de la berline s'approcha d'elle et ils échangèrent quelques mots que la distance et le vent rendaient presque inaudibles.
Puis il revint vers Laureen.
C'était le seul dont elle avait entendu la voix. Il s'adressa à elle en se penchant, pour ne pas avoir à parler trop fort malgré les bourrasques. Ses yeux ne se posaient pas sur Laureen ou rarement, ils nageaient au-dessus, vers le lointain, déjà préoccupés par un ailleurs.
- Anne-Marie va vous conduire vers votre nouveau chez-vous, faites-lui confiance, elle nous a déjà rendu ce genre de service, elle sait ce qu'il faut faire, écoutez-la. Désolé de ne pas avoir la galanterie de monter vos valises, moins de temps nous resterons mieux ce sera.
Laureen ouvrit la bouche pour protester mais aucun son ne sortit.
- Vous aurez de nos nouvelles par le biais D'Anne-Marie dès que les choses avanceront.
- Mais... vous n'allez pas... voir ou, je ne sais pas, fouiller ma chambre ou faire ...
Un demi-sourire se dessina sur les lèvres de son vis-a-vis. Elle y lut une certaine tendresse pour sa propre naïveté.
- Ça ne sera pas nécessaire, rétorqua-t-il, tranchant. Vous ne craignez rien ici. Faites-moi confiance, au moins là-dessus.
Elle sentit qu'il allait se tourner et posa sa main sur son bras.
- Comment... comment je fais pour vous joindre si...
- Le numéro de portable que je vous avais donné la première fois, appelez-moi dessus si besoin est.
Maintenant je dois y aller.
Il guetta sa réaction un instant puis plissa les lèvres en hochant doucement la tête.
- Bon courage, ajouta-t-il avec plus de gentillesse dans la voix.
Puis il s'éloigna et fit signe à ses deux compagnons de remonter dans la voiture.
Quelques secondes plus tard le véhicule avait disparu sur la jetée, laissant dans son sillage deux minuscules tâches rouges au giron de la nuit.

- Venez, ne restons pas ici, fit-on dans son dos.
La voix était apaisante, douce. Laureen se tourna pour lui faire face. Sous l'étrillage des éléments, Anne-Marie paraissait vulnérable et fragile qu'une jeune pousse dans la tempête. Le vent tamait âprement les myriades de rides profondes qui creusait ses traits.
- Rentrons, insista-t-elle. Je vais vous conduire jusque chez vous où vous pouvez vous reposer .
Jusque chez vous. Laureen déglutit plus difficilement
Tout allait trop vite, elle ne contrôlait plus rien ; elle subissait avec une neutralité déconcertante.
Déjà Anne-Marie marchait vers la poterne, soulevant une des deux valises.
La suite tint davantage de l'onirisme que du libre arbitre. Laureen se rappela plus tard avoir monté une ruelle étroite, aux façades anciennes de pierre et de minuscules bâtisses, en lisière d'un cimetière sinistre.
La porte s'était refermée et Anne-Marie avait levé les yeux dans sa direction. Des yeux bruns lisses et déterminés, en opposition avec le reste du visage.
- Voici votre nouvelle maison... avait-t-elle dit.
Cela et d'autre mots, lointains. Des mots dénués de sens, de logique, de vie.
Des mots qui voyagèrent un instant entre les deux femmes avant de se perdre dans la fatigue. La lumière de l'entrée était allumée, elle tanguait comme sur un navire. Elle brillait de plus en plus fort. Aveuglante.
Laureen ferma les yeux.
Les jambes tremblantes par l'effort de l'ascension.
Le souffle absent.
De ce qui se passa ensuite, elle ne se souvint plus.
Sauf du courant d'air lorsque la porte s'ouvrit.
Et du grave ronflant qui vibra dans la voix d'un homme.

L'enfer Du Temps Où les histoires vivent. Découvrez maintenant