Celles Qui fuient

"Meraad astaarit, meraad itwasit, aban aqun "

La tamassran regarda la petite créature qui vagissait dans ses bras, et rabattit sa cape bleue contre elle.

"- Chhhh...Kadan, tu vas nous faire repérer." fit-elle en berçant doucement la petite fille.

Le bateau n'était plus qu'à quelques mètres maintenant. Massif, orné de l'emblème des marchands d'Orlaïs. Dans les rue, la tension était palpable. La femme savait que jamais on ne s'en prendrait à quelqu'un de son rang, mais si on la reconnaissait...

C'était une transgression bien trop forte. Bien trop grande, même pour qu'on veuille bien la remettre sur le droit chemin. Une troupe de kossith en armure passa près d'elle. Certains avaient tiré leurs épées au clair. Elle sentit une vague de chaleur près de son torse. En s'adossant contre un mur, elle entrouvrit les pans de l'étole qui lui recouvrait les épaules. Et réprima un cri. L'enfant, drapé dans les plis du vêtement, laissait échapper des filaments de légère lueur bleue tout en dormant. Sous ses yeux horrifiés, certains se changèrent en oiseaux de lumière et se mirent à voleter autour de sa tête. Elle referma le pan de tissu et jeta un oeil autour d'elle. Sur le marché de Vindaar, les gens vaquaient tranquillement à leurs occupations. Tout était en ordre. L'Ordre. Deux hommes arborant des vitaars colorés passèrent près d'elle sans la remarquer. Elle reprit alors sa progression jusqu'au port. Avec un peu de chance, elle trouverait un bateau. Pour Antiva. Et elle pourrait...

Une silouhette bondit au-dessus d'elle, sautant sur les toits carrés des maisons alentour. Une troupe de soldats passa tout près, au pas. On n'apprenait pas aux tamassran à se battre. Du moins, pas à elle. Dépécher tant de gens pour la retrouver relevait de l'absurde. Mais alors qui? Il se passait quelque chose d'autre. Qu'elle n'arrivait pas à saisir. On n'avait pas le temps pour elle, et c'était un bien. Le bébé hoqueta. Déclic. Elle amorça alors sa course vers un vaisseau qui battait pavillon antivan. Le capitaine s'écarta lorsqu'il vit une femme de deux mètres, à la crinière blanche, monter à toute allure dans "La Lame d'Ivoire". Elle le dévisagea, et sortit une grosse pierre précieuse iridescente de sa tunique.

"-Je veux aller à Antiva. Et ton silence."

Oswin ne se fit pas prier. C'était probablement l'un des plus beaux joyaux qu'il ait jamais vus. Et si il la jouait suffisamment fine, personne ne lui poserait de questions après sa disparition définitive du commerce antivan. Finir sa vie au soleil, au milieu d'un vignoble, entouré de jolies filles qu'il aurait pu séduire tout ça grâce à l'argent, c'était, à bien y réfléchir, mille fois mieux que de vendre des onguents à ces tarés à cornes.

"-Holà les pourceaux! Prêts à appareiller? J'veux plus voir une de ces foutues voiles attachées! Magnez-vous comme si la vie de vos propres mères en dépendait!"

La tamassran regarda l'enfant dans son giron. Il ne croyait pas si bien dire.

Elaïs trébucha et roula sur le toit de chaux, maculant au passage ses vêtements et sa peau de marques blanches. Elle s'essuya le coin de la bouche, étalant un peu le maquillage traditionnel qui ornait son visage et entreprit de se relever, repoussant sa tignasse noire de son front. Elle regarda son pied et remarqua une cordelette rouge qui s'était détachée de sa cheville. Fichues nippes...il fallait un sacré entrainement, ne serait-ce que pour se déplacer avec ça. D'un geste instinctif, elle saisit un petit poignard effilé à sa ceinture, et trancha net le lien. Elle fit de même avec l'autre jambe. Qui avait dit que des cordes sous les talons étaient avisées lorsqu'il s'agissait d'échapper à deux escouades de types armés jusqu'aux dents? Personne apparament. Elle se releva et recommença à courir. Le bateau était en train d'appareiller. Merde. Merde.