On me plie et me déplie.
On me scrute et tente désespérément de me déchiffrer.
Aux dernières nouvelles, je suis quelqu'un de mystérieux et d'intelligent.
Je voyage beaucoup. Je vais d'une ville à l'autre, je passe parfois des frontières ou des océans. J'aime être aux côtés de voyageurs dans l'âme, de bourlingueurs passionnés. Ils me caressent et me chérissent, ils me regardent avec attention et réflexion. Ils m'emmènent partout avec eux.
Parfois, j'ai moins de chance. Je peux tomber sur des gens moins fervents et enthousiastes.
Le défaut qui trône sur la liste interminable de leurs failles reste quand même l'impatience. L'un entraînant l'autre, ils ont également tendance à être anxieux et énervés. Dans ces cas-là, je tourne dans tous les sens. Ça me fait mal, mais ils s'en fichent. Je reste trop longtemps à l'envers et la poigne de leurs mains me serre, mais ça aussi, ils s'en fichent.
Mais de toute façon, que ce soit un bourlingueur ou un impatient, un connaisseur ou un débutant, un voyageur ou un fainéant, l'issue est toujours la même. Je finis enfermée dans un endroit sombre et étroit. On m'oublie et me délaisse.
Je suis indispensable quand ils en ont besoin, ça oui. Mais une fois que la destination est trouvée et la gloire gagnée, je suis abandonnée. Je participe au combat mais n'ai pas le droit de connaître l'apothéose. Je suis présente dans les moments sombres, difficiles et ennuyeux mais une fois que le soleil brille et que le rêve nous tend les bras, on ne me prend pas.
Je suis soudain négligée et inutile. On ne se souvient même plus de mon existence.
Mais je n'ai pas à me plaindre, parce que le pire est à venir.
J'aimais bien servir à quelque chose et être aux mains des plus grands voyageurs.
Pire qu'être abandonnée après avoir servi, je suis aujourd'hui remplacée.
Il est plus petit et plus pratique. Il tient tout seul et il parle. On peut même choisir sa voix et sa couleur.
Vous n'êtes plus débrouillards ni autonomes, vous n'êtes désormais plus que des robots qui réalisent à la lettre ce qu'on leur dit.
Je parle peut-être avec jalousie mais une chose est sûre; vous finirez par me regretter.
