Josh n'a pas exagéré en parlant de puanteur infecte ; c'est tout juste si je trouve suffisamment d'air pour respirer dans la salle. Je croyais pourtant qu'il était interdit de fumer dans le bâtiment... la direction ferait-elle exception pour les enseignants ? De quel droit un privilège aussi malsain leur serait-il accordé ?
Un nuage gris flotte carrément sur l'espace, et semble s'immiscer partout ; entre les tables, sous les chaises, parmis les gens... je sens les relents âcres du carbone me brûler la langue, mes yeux me piquent et me grattent tellement que j'en ai le tournis.
Mais combien de cigarettes cette dingue de prof fume-t-elle par jour ?
Les autres élèves arrivés, certainement plus habitués, se ruent déjà sur les fenêtres qu'ils ouvrent à la volée, avant de s'y pencher pour respirer. Je me dépêche de les imiter ; s'ils ont survécu déjà deux ans avec cette professeur, c'est qu'ils sont un bon exemple à suivre. L'air frais s'engouffre dans mes poumons tandis que j'en inspire une grande bouffée, accueillant avec délectation ce soulagement plus que bienvenue.
Carter ne semble pas s'en formaliser ; elle nous salut sèchement sans nous reprocher notre attitude. Peut-être estime-t-elle qu'il est préférable qu'elle garde ses élèves en vie si elle désire conserver son travail.
Je la détaille un instant du regard, à présent certaine d'échapper à la mort par asphyxie. Du haut de son estrade - y'a encore des classes qui sont équipées de ces machins ? -, elle toise ses étudiants avec un mépris non dissimulé. Je me demande bien en quoi elle se croit tellement supérieure ; elle n'est vraiment pas impressionnante dans sa ridicule doudoune sans manche qui la boudine comme un saucisson.
Elle me fait penser à une chenille. Une grosse chenille bleue et qui fume un max. On dirait le début d'une mauvaise blague.
- C'est vraiment notre prof principale ? Je questionne Joy, qui a fini de cracher ses poumons par la fenêtre.
- Ouais, je sais qu'elle ressemble plus à un SDF sous prozac, mais c'est bien elle, me répond-elle, la voix encore rauque, en hochant la tête avec compréhension.
La comparaison me fait rire. On voit bien que Carter n'est pas du tout appréciée des élèves. Et pas seulement des jumeaux ; je surprend quelques regards déçus en direction de l'énergumène, lancés par des ados qui auraient sûrement préféré se taper autre chose que cette femme au petit air suffisant pendant l'heure de vie de classe hebdomadaire.
- Que tout le monde s'asseoit ! Ordonne-t-elle justement d'un ton sec.
Presque aussitôt, mes camarades s'installent avec une rapidité qui m'étonne. Se placent-ils au hasard ? Non, j'en vois quelques-uns bavarder encore avec entrain, signe d'une amitié certaine, se contant sans doute mutuellement leurs expériences de vacances. Bah tiens, j'vais en avoir à raconter, moi...
Je comprend que leur vitesse provient de l'habitude. Il n'y a qu'une quarantaine d'élèves de terminale, cette année ; ils doivent tous se connaître et savoir donc directement se rassembler par affinités. Je me sens très seule, d'un coup. Moi, je ne connais que trois personnes, et elles ont toutes déjà choisi un voisin.
Joy et Josh se sont bien sûr mis côte à côte - malgré les quelques piques qu'ils échangent, on voit qu'ils tiennent beaucoup l'un à l'autre. Quant à Chelsea, je la vois discuter avec une fille que je n'ai jamais vue. Je ne vois pas son visage, mais elle possède une magnifique chevelure d'un noir d'encre qui lui tombe dans le creux des reins. Elles semblent très prises par leur conversation. Elles ont l'air de tellement bien s'entendre... mon cœur se serre un instant face à cette vision idyllique que, pour ma part, je n'ai jamais eu la chance de connaître.

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Alice VS Joker
FanfictionSuite à la mutation de son père, Alice quitte sa France natale et s'installe à Londres avec sa famille. Une nouvelle vie s'annonce pour elle, et commence par une rentrée des classes prometteuse. Si le lycée Lewis Carroll ne paye pas de mine au premi...