I. A New Start

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- Les filles, nous partons pour Londres !

Voilà la bombe que vient de lâcher, de son air le plus serein, mon taré de paternel sur le petit salon de notre appartement. Il parade, tout sourire, devant les trois ados éberluées dont je fait partie, sans avoir l'air de songer une seule seconde à l'effet que ses paroles ont eu sur nous.

Nous sommes le 17 août, peut-être un mercredi - mais je ne parierais pas là-dessus, l'été ayant une curieuse tendance à me faire perdre toute notion du temps -, il est quatre heures de l'après-midi et après une année scolaire éprouvante, je commençais enfin à me dire que ces vacances n'étaient pas si pourries.

Que je m'explique. Depuis la fin des cours, chez moi, on enchaîne les désastres. Mon père a pris congé auprès de son entreprise de fabrication de pièces auto pour pouvoir s'occuper de moi et mes deux sœurs, comme il le fait chaque année depuis la mort de maman. Mais cette fois-ci, le Destin a décidé qu'il foutrait nos deux mois en famille en l'air. Après la canicule du début juillet, la panne en pleine route vers Arcachon (adieu notre week-end à la mer !), le dégât des eaux de notre immeuble d'il y a deux semaines et les cinq jours sans Wi-Fi les plus longs de ma vie, ça ne fait que peu de temps que je commence réellement à me détendre.

Seulement voilà, il a encore fallu que mon moral soit plombé par cette annonce de départ précipité. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond cette année ?!

- Quoi ? On part encore en week-end ? Demande innocemment Mathilde, la cadette, ses grands yeux bleus écarquillés d'incompréhension.

Dans sa touchante naïveté, mon amour de petite sœur croit encore à un malentendu. Du haut de ses huit ans, elle est à croquer ; de beaux cheveux bruns, des iris pétillants et pleins de vie, et un sourire plus éclatant que le soleil lui-même. Le tout hérité de notre mère, dont elle est la copie conforme. Ses traits sont d'ailleurs presque tout ce qu'il nous en reste.

Même si je l'adore de tout mon cœur, je dois avouer qu'en ce moment elle ne brille pas par sa perspicacité. La pauvre, elle est encore trop jeune pour faire la différence entre un voyage et un déménagement.

- Non ma chérie, fait papa en s'agenouillant devant elle. On va habiter là-bas.

Bon, être indélicat une fois, passe encore. Mais après le cri que vient de lâcher Mathilde, qui court se réfugier dans les bras de Lucie - l'aînée de notre fratrie -, il devrait quand même se rendre compte qu'il nous doit quelques explications ! Et arrêter de sourire aussi grandement en nous fixant comme s'il attendait encore des exclamations de joie !

Il commence à me faire peur. Plus que d'habitude, je veux dire. Éric Leroy a toujours eu un comportement étrange, et nous avons été habituées très jeunes à ses fantaisies variées. Beaucoup des collègues de mon père le considèrent comme un savant fou. Lui préfère le terme d'"inventeur de génie". Mon avis ? Le titre pourrait convenir si on lui ôtait le terme "génie" ou si l'une de ses constructions bizarres finissait par marcher.

Je me suis souvent demandé comment lui et ma mère avaient pu tomber amoureux. Elle était étudiante en droits et lui ingénieur en formation quand ils s'étaient rencontrés, lors d'un atelier d'écriture donné dans la région. C'était bien la seule chose qu'ils avaient en commun : les livres. Tous deux étaient de jeunes auteurs amateurs, et participaient régulièrement à ce genre de conventions quand ils étaient jeunes.

Mais pour le reste, ils étaient diamétralement opposés l'un à l'autre. Lui fantasque et rêveur ; elle réfléchie et les pieds sur Terre. Quand elle était encore parmis nous, maman disait souvent que c'était pour ça qu'elle aimait mon père ; pour son "imagination débordante" et son "univers décalé". Je n'ai jamais lu aucun texte qu'il ait écrit, mais je veux bien la croire. On retrouve bien ce "décalage" dans l'espèce de cafetière automatique que je le soupçonne d'avoir un jour essayé de construire non pas pour "aller plus vite le matin", mais juste pour voir s'il pouvait intégrer un moteur de voiture et un filtre à aquarium dans une machine à café.

Alice VS JokerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant