Ne me quitte pas

1- « Ne me quitte pas »

La voiture roulait à 110km/h ; à la radio la chanson de Jaques Brel résonnait dans ma tête.  « Je t'offrirais des perles de pluies venues de pays où il ne pleut pas » Ma sœur Joséphine conduisant de la main gauche augmentait le volume avec celle de droite. « Où l'amour sera roi et tu seras reine » Nous n'eûmes pas le temps d'apercevoir la camionnette blanche qui déboulait par la droite. La dernière phrase que j'entendis me fit un frisson dans la nuque qui se prolongea le long de mon dos : «  Ne me quitte pas... » En une fraction de seconde, je fus propulsée hors de la voiture et déposée sur la chaussée ; comme si le destin voulait que j'échappe à l'accident. Cela me parut étrange mais ce sentiment fut minimal à côté du spectacle insupportable qui se dressait devant moi. La camionnette vint percuter la petite Twingo rouge de Joséphine que j'avais peine à voir. Tout se passa en quelques secondes qui me parurent des heures ; la scène semblait se passer au ralenti. Plusieurs bruits arrivèrent jusqu'à mes tympans : d'abord le cri déchirant de ma sœur puis le crissement des pneus et enfin le bruit d'encastrement de l'auto dans les barrières métalliques de l'autoroute. Tétanisée, je ne pouvais plus bouger et à peine respirer. Mon cerveau s'embrouillait peu à peu, les émotions se mélangeaient à la fatigue et à l'incompréhension. Je revoyais ma sœur il ya sept secondes, sa bonne humeur et ses éclats de rire. Je revoyais ma sœur il y a quatre secondes, son sourire s'était évaporé et son visage, déformé par la surprise et la peur. Maintenant je vois ma sœur ; son regard est vide et inexpressif, sa tête posée sur le volant, ensanglantée et ses mains pendants dans le vide. Je criai, je hurlai, ma vision se brouilla. Je fermai les yeux, priant le ciel pour que tout cela ne fût que cauchemar. Le sol se déroba sous mes pieds.