Chapitre 5

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Blanche

- Attends, attends, il a fait quoi?!

- Chut! Parle moins fort, j'ai eu un mal fou à endormir Annabelle, ces fichues dents ne me laisseront décidément jamais de répit. Et puis, je suis déjà assez honteuse de t'avouer tout ça, ne me force pas à le répéter Fathi.

- Je n'y crois pas, il manque pas de toupet ce type! Non mais on a jamais vu ça, un patron qui se permet de faire ce genre de chose!

- En même temps, soyons réaliste, il n'avait pas tort, c'était peut-être la meilleure façon de savoir si, comment dire....je correspondais à ses attentes.

Je tais volontairement le fait que de me retrouver face à cet homme m'a plus remué les tripes que notre conversation téléphonique en elle-même. L'anonymat du téléphone est un cocon rassurant pour nous protéger des échanges que nous avons avec les clients. Mettre un visage sur une voix...était une tout autre démarche. Je soupçonne que mon patron et moi ayons approximativement le même âge. Qu'il soit jeune ne me dérange pas en soi mais l'assurance dont il avait fait preuve m'avait quelque peu désarçonnée. Après tout, cela lui semblait si banal d'appeler ses employées, pourquoi devais-je en être affectée? Il ne s'agissait que de tester mes compétences.

- Je savais que je n'aurais jamais dû te parler de cette annonce. La prochaine fois que je suis d'aussi mauvais conseils, tu seras priée de ne pas m'écouter.

Fathi est tellement sous le choc de cette confession qu'elle ne me harcèle pas de questions le concernant, ce qui n'est pas pour me déplaire. Je serais affreusement gênée de lui avouer qu'en plus des mots cochons que nous avons échangé, mon patron n'est pas un vieil obsédé fantasmant sur sa horde d'opératrices mais un homme en pleine force de l'âge et plutôt...séduisant.

-Fathi, ne dis pas de sottises. Ce n'est peut-être pas le boulot du siècle mais ça a le mérite de me faire gagner un peu d'argent. Il faudra bien que tu récupères ta chambre un jour ou l'autre.

-Je t'ai déjà dit que tu pouvais rester le temps qu'il faudra. Et puis Annabelle est un ange, ça ne me dérange pas que vous me teniez compagnie.

- Je ne veux pas t'imposer quoique ce soit, j'ai déjà chamboulé tellement de choses...

Ma voix faiblit, impossible de cacher à mon amie les sentiments qui remontent à la surface. Elle le perçoit à la minute où j'ai commencé ma phrase. Dès que je parle de mon divorce, une tristesse profonde m'accable. Je ne sais pas encore reconnaître la véritable source de ce mal-être mais la moindre allusion à ce chapitre douloureux me bouleverse le coeur. Est-ce la peine de laisser derrière moi les moments heureux? Faire le deuil de mon premier amour? Ou est-ce la crainte de ne pas savoir de quoi serait fait demain, d'être plongée dans cette nouvelle vie aux perspectives floues? Maintenant que j'ai signé mon contrat, je peux désormais me projeter sur des éléments concrets. Il est temps pour moi de me donner les moyens d'avancer et cela commence par me trouver un nouveau logement. Je ne veux pas une nouvelle fois être une charge pour quelqu'un. Je m'en suis fait la promesse lorsque j'ai pris la décision de partir.

- Blanche, je peux comprendre tes envies d'indépendance, je suis la première à t'encourager dans cette voie mais ne précipite pas les choses. Annabelle a besoin que sa maman soit forte dans cette épreuve. S'il faut que je te bichonne pour que tu puisses remonter la pente, tu peux compter sur moi, tu le sais. Alors, verre de vin ou glace au chocolat?

Fathi n'a pas son pareil pour me redonner la force qu'il me manque. Je me relève du canapé pour me diriger vers le frigo sous le regard bienveillant de mon amie. Je dépose le pot de glace et deux petites cuillères sur la table basse pour nous la partager. Je me dirige ensuite vers l'étagère à proximité de la télévision avant de me retourner vivement, feintant l'effet de surprise.

Double Appel (paru chez Black Ink éditions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant