Chapitre 2

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Le seul prof que je connaissais était le prof de français qui me haïssait tout particulièrement cette année, alors que l'an passé, j'étais presque amoureuse de lui. Presque ? Ce n'était plus une question à l'ordre du jour malheureusement.

Mes pensées dérivèrent vers ce prof ce soir la... M. Raving. Il me détestait, je ne savais pas ce qui avait déclenché ce brusque changement. Et dans tout ce qui m'arrivait, je crois que c'est ce qui m'avait le plus vexée. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, à son soutien ? À sa compassion ? Comment aurai-je pu l'obtenir, il ne savait absolument pas ce qui se passait. Tout ce qu'il voyait, c'était une adolescente de 16ans apparemment en crise, qui avait une flemme grandissante pour tout ce qui touchait sa matière et qui ne lui avait pas décroché un mot depuis l'année passée.

J'avais pourtant essayé de faire des efforts, pour lui montrer que je n'étais pas encore morte, mais c'était perdu d'avance. Depuis ce jour où j'eus la flemme de réveiller ma mère ou de l'aider d'une quelconque autre manière, j'étais morte de l'intérieur. Je n'étais plus que le fantôme de moi-même, et je n'avais plus la force de faire bouger les choses.

Chaque jour, j'oubliais la moitié de mes affaires même lorsque j'essayais de faire attention. Je m'endormais en général avant d'arriver à la moitié de mes devoirs et n'avais jamais le courage d'apprendre quelque leçon que ce soit. Mes nuits étant très agitées, je m'endormais très souvent en cours, particulièrement dans le silence des contrôles. Cela déclenchait évidemment la colère des profs, qui avaient tous cessé de tenter quoi que ce soit pour me repêcher.

Tous, excepté M. Raving qui se faisait un plaisir de m'humilier à chaque cours, pour me renvoyer la plupart du temps ensuite. Pourtant, je remarquais souvent son désespoir quand il me tendait ma feuille d'exclusion, en avait-il vraiment assez ou s'attristait-il de devoir faire ça à une élève qu'il appréciait tout particulièrement l'an dernier ?

Sur cette question que je me posais régulièrement, je sombrais dans un profond sommeil, n'ayant pas besoin de me lever tôt le lendemain. Je me réveillais plusieurs fois du même cauchemar, mon père frappant toujours ma mère à mort, et moi qui regardait, incapable de tenter quoi que ce soit pour l'aider. Et toujours, j'émergeais de ce sommeil en sueur, terrifié à l'idée de me rendormir.

Ces trois jours de « vacances » passèrent très vite, j'occupais mon temps à rattraper les innombrables punitions dont M. Raving ne paraissait pas se lasser. Je ne lui en voulais pas, il n'avait pas d'autre choix après tout, il était prof, et se devait de punir quand on ne respectait pas ses règles, qu'il semblait modifier tout particulièrement pour moi. Quel privilège, pensais-je...

« Tu n'avais pas quelque chose à me rendre Alice ? » fit il à mon intention lors du cours que j'avais longuement hésité à sécher. Je sortis donc son « quelque chose » de mon sac, et le déposa sur son bureau avant de me rassoir bien à ma place, au dernier rang. Il sembla surpris, mais se reprit très vite et commença son cours. Toujours aussi ennuyeux décidemment. Je m'assoupis au bout d'une vingtaine de minutes, lassée de le voir et de l'entendre rabâcher son subjonctif passé.

Un objet ne me quittait jamais, un article de journal en particulier. La une du journal national le jour où mon père a enfin été condamné pour homicide volontaire et coups et blessures. Je m'endormais souvent le serrant dans ma main. C'était surement futile de le garder si près de mon cœur sans arrêt, mais je n'imaginais pas une seconde oublier ce que ce monstre nous avait fait.

Le fracas d'une règle s'écrasant sur mon pupitre me fit sursauter. J'ouvris les yeux pour découvrir le visage de M. Raving, dont le brun d'inquiétude que je cru apercevoir dans ses yeux, disparut très vite alors qu'il me chuchota que oui, je serais encore collée toute la semaine prochaine. Je soupirais en me redressant, il ne ratait pas une occasion pour me voir décidemment, c'est l'amour vache ...

« S'il vous plait, pas toute la semaine, j'en ai marre de vos heures de colle... », Tentais je, dans l'espoir de réduire ma peine. Il me fixa un moment, je lui adressais la parole depuis la première fois de l'année. Un léger sourire triste se dessina sur ses lèvres, « viens me voir à la fin de l'heure s'il te plait, et on verra à ce moment-là ». Génial, merci monsieur enfin je vais peut-être pouvoir réussir à rentrer à l'heure inscrite sur mon emploi du temps.


Le reste de l'heure se déroula très vite, pour la simple et bonne raison que le sommeil m'a rattrapé avant la sonnerie, que je n'entendis pas. Quelques deux heures plus tard, j'ouvris les yeux sur une salle désertée par les élèves, où M. Raving finissait la correction de ses dernières interros. Il me remarqua et se mit à fouiller dans le bazar qui encombrait toujours son bureau à la fin d'une journée de cours. Il se leva pour me tendre un sujet de contrôle.
« J'ai déjà fait cet interro monsieur... », Lui dis-je en parcourant la feuille des yeux. « Je sais, mais je ne pourrais te mettre une note autre que zéro tant que tu n'écriras pas plus que ton nom sur ta feuille. Je ne te laisse qu'une seule chance, fait le tout de suite et j'annule tes heures de colles de la semaine prochaine »proposa-t-il en retournant à son bureau.

Je me rassis en regardant son stupide contrôle, il allait vraiment finir par me faire travailler à force celui-là...
Sans débattre plus que ça, j'attaquais les premiers exercices dans l'espoir d'annuler les heures de colle qui m'étaient promises. L'once de joie qui m'avait traversée quand m. Raving m'avait laissé une seconde chance me quitta très rapidement. Je ne comprenais rien. Si cette feuille avait été écrite en japonais, j'aurais sûrement mieux compris. Je ne croyais pas mon retard si important. J'étais si nulle que ça pour ne pas répondre à une seule question d'une interro de routine ?! Tous les animaux qu'étaient mes camarades de classe avaient eu la moyenne. Et rien ne me venait... Rien que de lire les questions m'avait donné mal à la tête. Je n'étais pas seulement déprimée en fait, j'étais tout simplement déprimante !

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