Chapitre 4 Proposition particulière

46 5 3
                                    


Lena demeura sur la terrasse après fermeture du parasol, accompagnée d'Endora qui prenait le soleil dans un bikini noir assorti au transat et à ses lunettes. La cadette faisait des mots fléchés, le bic entre les dents, concentrée sur ses pages. De temps en temps, elle jetait des coups d'œil à Denis qui ne cessait de passer d'une brouette à l'autre, selon qu'il retirait de la terre ou des racines, derniers restes de la triste haie. Il avait remis son vieux jean de travail mais gardé sa chemise : elle allait subir le même sort que la première.

—Deniis, appela Endora, je crève de chaud rien qu'à vous regarder ! Comment pouvez-vous vous couvrir autant en plein travail physique sous cette chaleur ? Même immobile, je suis au bord de l'insolation, exagéra-t-elle la main sur le front.

Ce n'était pas pour rien que ses cheveux bruns avaient été empaquetés dans un chignon. Denis se redressa sans perdre son petit sourire, en appui sur le manche de la pelle.

—Ce n'est pas très relevé de s'exposer ainsi aux demoiselles de la cour, plaisanta-t-il d'une main trop courbée.

—Oh je vous en prie ! Je ne vois pas pourquoi vous devriez montrer tant de pudeur. Si j'ai envie de porter un bikini, je n'attends pas que vous soyez parti, moi. Alors mettez-vous à l'aise aussi, et que ça saute !

Il posa la pelle contre la brouette afin de mieux hausser les épaules.

—Si vous me l'autorisez, mademoiselle Endora... J'avoue que ce n'est pas de refus. Merci.

Denis se dirigea vers la cour, les paupières baissées sur ses boutons. Une fois le dernier ouvert, il ôta sa chemise pour couvrir la chaise la plus proche. Le jeune homme feignit de ne pas sentir leurs jugements. Sans un mot, il reprit ses gants, sa pelle, et ses déracinements tranquilles.

Pas un regard aux filles qui suivirent des yeux son dos tacheté. Il venait de reprendre ses coups dans le sol, quand Endora leva la tête et ses lunettes d'un doigt agile, telle une ado intéressée. Lena elle, restait troublée, les joues rosies depuis l'instant où il avait posé le vêtement sur la chaise à côté d'elle. Les horloges ne tournaient plus. Elle se doutait bien qu'un travailleur de vingt ans, capable de porter à une main le poids rempli d'eau d'un parasol, ne serait pas un rabougri. De là à arborer en toute modestie des muscles saillants, jusqu'à deviner chaque poussée de la pelle... Cependant, on ne pouvait pas dire qu'il possédait une forte carrure à la base. Et cela les avait trompées.

—Un assez beau gosse qui n'est pas frimeur, ça change, dit Endora d'un ton appréciateur que seule sa sœur put entendre. Décidément, papoune a bien choisi notre homme, j'espère qu'il réussira le défi du jardin. Un vrai régal pour les yeux.

Lena la regarda s'allonger de nouveau sur le transat. Elle poursuivit aussitôt sa scrutation de Denis, sans avoir encore récupéré l'envie d'élever la voix.

—Oui.

Elle portait toujours ses lunettes complices. Pourtant, au moment où Denis reprit le chemin du bois, la brouette pleine de racines, il se tourna vers elle. Avait-il senti sa contemplation trop longue ? Elle dévia invisiblement son regard en serrant les lèvres.

Après le souper, il restait encore des arbustes morts mais Denis déversa une dernière fois la brouette dans les bois. Ses bras lui réclamaient des gestes plus variés. Le reste de la soirée, il boucha les trous avec la terre conservée dans l'autre brouette. Il avait presque fini d'aplanir le sol sous les anciens emplacements des poteaux.

Lena s'approcha de lui avec le crépuscule. Cette fois il le sentit, et pivota pour découvrir les reflets de l'astre dans ses yeux intensément neutres, au milieu d'une chevelure aux tons plus chaleureux que jamais. Elle les avait détachés : ils tombaient au-delà de ses épaules sur un gilet noir à longues manches. Ce soir-là, ce n'était pas sa voix, qui lui donnait un air de petite fille. Mystérieuse candeur... Lena lui tendit la chemise blanche.

—Tenez. Vous allez prendre froid sinon.

Il lui adressa un sourire avec gratitude.

—Je vous rassure, il fait encore bon pour moi. Merci quand même.

Il s'en revêtit. Elle resta là, à l'observer manipuler la terre meuble.

—Vous vouliez me dire autre chose ?

—Je passerai la commande demain pour les plantes. Je ne vous promets pas de les recevoir toutes avant la fin du mois.

—Les plus importantes sont celles qui demandent un temps d'adaptation plus long, informa Denis, la glycine, les buis et les rosiers. Ça me gène de ne plus tomber sur le nom commun de ces roses mauves particulières.

Il la regarda d'un air qu'il voulut sympathique.

—Permettez-moi de vous dire que les cheveux relâchés vous vont bien, mademoiselle.

Lena serra les lèvres sur le côté.

—Ah ? Je ne les lâche que dans les lieux privés certains soirs, quand je ne veux pas me prendre la tête. En fait, je les trouve... désordonnés.

—Dans ce cas, disons que le désordre vous va à ravir.

Il effectua un dernier tassement d'un pied vif, puis partit ranger le matériel.

Souvenirs d'une rose (Avant chez SEE !)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant