Mon deuxième café matinal n'a pas l'effet escompté. Garder les yeux ouverts est une mission qui me paraît irréalisable. La tasse vide posée sur mon bureau m'hypnotise. Je ne fais même pas attention à la fourmilière qui s'active autour de moi.
– Patrick Larvi. Alcoolique notoire qui écumait les bars du quartier.
Un dossier atterrit dans mon champ de vision. Je mets un instant à m'apercevoir que Barry vient tout juste de me rejoindre.
– Ce type avait un casier. Rien de bien méchant, mais il commettait de petits larcins pour assouvir son besoin d'alcool. Il semblerait qu'il n'avait pas de famille ou d'amis proches. Il ne manquera à personne.
Je ne l'écoute que d'une oreille. Je n'arrive pas à détacher mon regard de la photographie accrochée sur la fiche d'identification. Un visage marqué par les excès, des yeux globuleux et des cheveux gras plaqués en arrière. De son vivant, la victime était loin d'avoir un physique engageant. Mais le masque de la Mort l'a rendu méconnaissable.
– Leo ? Tu m'écoutes ?
Je croise le regard insistant de mon coéquipier. D'un mouvement du menton, je lui montre que je suis bien présent avec lui.
– Tu as l'air épuisé. Je vais te servir un autre café. Ça ira mieux après.
Sans me demander mon avis, il attrape ma tasse et s'échappe dans la salle de repos. Patrick accapare une nouvelle fois toute mon attention. Il ne m'inspire aucune sympathie. Je n'arrive pourtant pas à rester insensible. Je ressens de la pitié pour cet homme sans attache qui devait vouloir noyer sa solitude dans l'alcool.
Je ne fais que survoler les données connues sur cet individu.
Trente-cinq ans...
Un mètre soixante-quinze...
Quatre-vingt kilos...
Cet homme était bien trop jeune pour mourir.
Et surtout, il ne méritait pas d'être assassiné. Personne ne mérite un tel traitement.
– Et voilà ! Un café bien serré sans sucre. Bois ça et je peux te garantir que tes neurones vont courir le marathon.
– Merci...
J'attrape la tasse qu'il me tend et la place devant moi.
– Je vais attendre un peu pour le boire. Je suis déjà en surdosage.
Un rire sonore fait écho à ma voix.
Au moins, tu l'amuses. Essaie de voir le positif.
– Comme tu voudras. Je ne vais pas te forcer. Tu pourras le siroter dans mon bureau si tu veux. On y sera plus au calme pour discuter.
– Je suis d'accord.
Me lever de ma chaise est une épreuve. Le manque de sommeil commence à se faire cruellement ressentir. J'affiche un sourire de façade pour ne pas l'inquiéter. Je me reposerai peut-être ce soir si l'image du cadavre mutilé ne revient pas me hanter.
Barry récupère le dossier avant de partir en direction de son bureau en ma compagnie. Il fait partie des rares chanceux à avoir son espace personnel. Travailler au milieu des autres n'est jamais facile, surtout quand on essaie de rester concentré.
« Barry Glinger - Commissaire »
Son nom est inscrit sur la porte en verre dépoli. Je me surprends à lui envier sa place.
Tu ferais mieux de faire tes preuves pour commencer. Tu es bien loin d'avoir ses compétences, et encore moins son assurance.
Ma conscience a raison. Je ne suis qu'un inspecteur débutant. Une place pleine d'incertitudes, sans grandes responsabilités. Il me faudra de la patience et de la persévérance pour gravir les échelons.
– Referme bien la porte derrière toi.
Barry prend place sur son fauteuil pendant que je m'exécute. Il me fait signe de m'asseoir et je choisis l'une des deux chaises, ma tasse de café entre les mains. Ses arômes puissants emplissent mes narines. Une sensation de dégoût m'étreint l'estomac. Je ne suis décidément pas dans un bon jour.
Absorbé par le dossier, mon collègue reste silencieux. Il en tourne les pages lentement, essayant d'analyser le moindre indice qui pourrait s'y dissimuler :
– Notre enquête auprès du voisinage n'a rien donné. Personne n'a rien vu, rien entendu. Il va falloir qu'on creuse d'autres pistes pour trouver l'assassin.
– Pourquoi ne pas écumer les bars autour de son domicile ?
Ma question semble le satisfaire. Un sourire franc illumine ses traits.
– C'est justement ce que j'allais te proposer. Nous aurons les résultats de l'autopsie demain. En attendant, nous irons poser quelques questions aux commerçants ainsi que leurs clients. Avec de la chance, nous pourrons retracer sa dernière soirée.
– Et peut-être en connaître davantage sur ses habitudes et ses fréquentations. Il y côtoyait probablement des personnes peu recommandables.
– Je commence à apprécier ta perspicacité, Leo. Avec un peu de bouteille, tu feras un parfait élément. J'en suis certain.
J'apprécie son compliment, même si je doute encore de mes capacités.
– J'espère ne pas te décevoir.
Pour ne pas le vexer, j'approche la tasse de mes lèvres et prends une gorgée timide du liquide encore brûlant. Les sensations qu'il me procure me font grimacer. Il est trop chaud et bien trop amer.
– Tu serais prêt à tout pour être dans mes petits papiers, n'est-ce pas ?
Il s'appuie contre le dossier de son siège en me dévisageant d'un air taquin.
– Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
J'avale péniblement. Cette saveur désagréable ne veut pas quitter mon palais.
– Regarde-toi. Je t'observe depuis tout à l'heure et j'ai très bien vu que tu n'avais pas envie de ce café. Alors ne te force pas. Reste toi-même et tout ira bien. Je veux que tu saches une chose, Leo. Mes années de métier m'ont appris à avoir du flair et je sais reconnaître quelqu'un qui a du talent. Tu fais partie de ceux-là. Tu manques juste cruellement de confiance en toi et c'est ça qui te fera défaut si tu n'essaies pas de te prendre en main.
Il réussit à me toucher par de simples paroles. Je n'arrive pas à trouver les mots pour lui répondre. Mon sourire rencontre le sien. J'abandonne l'idée de terminer ma boisson et dépose la tasse à peine entamée sur le bureau.
– Voilà qui est mieux. Garde bien à l'esprit ce que je m'apprête à te dire. Je suis ton supérieur, mais tu ne dois pas pour autant suivre toutes mes indications. Forge-toi ta propre opinion et surtout, fais confiance à ton feeling.
– J'essaierai de suivre ton conseil, Barry. Merci...
Nos regards échangés sont sincères. Je ressens en cet homme une personne fiable, sur qui je pourrai toujours compter.
Je ne savais pas encore que l'avenir était sur le point de m'offrir un cadeau macabre. Je ne savais pas encore que j'allais être l'unique responsable de sa perte...
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Prophétie - Leo (Tome 1)
Storie d'amoreIl y a des rencontres qui ne s'oublient pas. Certaines marquent votre vie et changent votre existence. Croyez-vous au Destin ? J'ai toujours pensé qu'il n'y avait rien d'écrit. Que je tenais fermement les rênes de ma vie entre les mains. J'avais tor...