Chapitre 3 - Planète Terre, Paris

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Le sifflement régulier de sa respiration difficile dans l'air pollué de la nuit. Les milliers d'aiguilles que dépose le froid sur sa peau, l'étrange contact de ses habits glacés sur son corps.

Rain assimilait toutes ces sensations à des choses désagréables, mais pourtant elle s'en délectait. Elle n'avait rien ressentit de tel depuis dix ans.

Combien de temps est-elle restée comme ça à contempler le coucher de soleil?

D'une main bleuie par le froid, elle referma son carnet, dans lequel elle avait annoté ses dernières impressions il y a peu. Elle déposa son précieux trésor dans sa sacoche, avant de jeter un coup d'œil inquiet aux ombres qui rôdaient autour d'elle.

Seule la lueur protectrice de son feu de camp persuadait les chiens sauvages de s'approcher d'avantage de l'adolescente. Elle gardait tout de même à portée de main une longue barre métallique.

Elle la prit justement, et attira à elle une boîte de conserve qui réchauffait près de l'âtre. Elle s'en saisit avec prudence, et commença son dîner.

Rain n'eut pas besoin de voir les yeux suppliants de son chien pour deviner qu'il avait lui aussi bien envie de goûter à cette soupe aux tomates (conservation garantie mille ans même après ouverture, assurait l'étiquette aux couleurs criardes qui était collé dessus).

Les yeux perdus dans le vide, Rain rêvassait. C'était fou à quel point le monde s'était fourvoyé en imaginant que le Réseau était l'échappatoire idéal...

Elle se remémora de tous les bienfaits que l'on pouvait attribuer à cette création dite révolutionnaire.

En 2170, la Terre avait déjà depuis longtemps dépassé ses limites: les populations s'entassaient dans des villes étouffées par la pollution, l'air était devenu irrespirable, et il n'était même pas la peine de parler de l'état des Océans, devenus d'immenses décharges stériles.

Lorsque l'Homme réalisa que le réchauffement climatique progressait plus vite que la technologie, il était déjà trop tard pour faire marche arrière.

Néanmoins, un espoir restait: le Réseau. Concept créé par la plus que célèbre entreprise JabbeR, ce projet avait été mis au point pendant plus de quinze ans.

L'idée était relativement simple: un monde virtuel, ressemblant à une plaine herbeuse illimitée. Le corps humain est plongé dans une cellule de cryothérapie, sorte de long cylindre rempli d'un liquide à très basse température, et est connecté à un immense serveur grâce à des électrodes.

Le corps physique est donc conservé dans la cellule, tandis que la conscience est envoyé dans un corps virtuel.

Ce corps n'a pas besoin d'eau ou de nourriture, et le cerveau ne se dégrade pas. Il ne vieillit pas non plus, et conserve les capacités et l'apparence d'un corps âgé d'environ 25 ans.

Chaque personne, à condition qu'elle soit majeure, peut créer tout ce qu'elle souhaite dans une limite d'un hectare, nommée Propriété. Les mineurs quant à eux sont placés sous tutelle provisoire.

Chaque Propriété est reliée par des routes neutres, où personne ne peut créer quoi que ce soit. De hautes parois transparentes longent ces routes, qui peuvent s'opacifier afin de donner plus d'intimité ou isoler temporairement une personne à l'esprit trop extravagant.

Ce monde, que l'on apparentait au Paradis, était accessible à tous: des milliards de cellules de cryothérapie furent construites dans d'énormes hangars, tous reliés au Réseau.

L'humanité entière, jusqu'au dernier être humain, s'est plongée dans le Réseau. Elle abandonna sa terre natale, volontairement.

 Dans ce monde qui paraît si parfait, Rain a su, au fil du temps, voir à quel point tout n'est pas si rose...


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"Cold" - KPEKEP

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant