Chapitre 1

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«Le grave défaut est d'avoir des défauts et de ne pas s'efforcer de s'en corriger.»
Confucius

Je pressai le pas, désireuse de rentrer chez moi le plus vite possible. Mes vieilles baskets noires claquaient contre le trottoir humide. Quelques lampadaires éclairaient faiblement l'avenue, mais la lumière était loin de sortir vainqueure dans la bataille qui l'opposait à l'obscurité.

Des bruits de pas me firent sursauter. C'était sans doute mon imagination, mais je rabattis la capuche de mon sweet, et accélérais la cadence. Le quartier n'était pas le plus sain et sécurisé au monde, loin de là.

Je finis par arriver devant mon immeuble, saine et sauve. Après avoir monté les cinq étages sans ascenseur -il était en panne, mais je doutais qu'il soit réparé un jour -, je fus accueillie par des hurlements de rage :

- C'est qui cette garce ? Porte tes couilles et parle !

- Putain, tu veux pas t'la fermer un peu ? Qu'est-qu'ça peut t'faire hein ?

Je soupirais. Le voisinage et moi étions habitués aux scènes de ménage répétitives qui opposaient ma mère et son copain du moment. Celui-ci s'appelait Hardy, et devait miraculeusement nous sortir de la misère grâce à ses talents de baratineur. Concessionnaire de voitures, il arnaquait sans vergogne les malheureux qui passaient la porte de son atelier. Et peu d'entre eux osaient porter plainte, terrifiés par sa carure de gangster et ses tatouages de badboy. Ma mère avait un faible pour les mauvais garçons.

Au lieu de pousser la porte, je m'assis sur les marches des escaliers. Peu importe les substances douteuses qui les recouvraient, c'était toujours mieux que de se prendre un pot de fleurs en pleine figure par erreur. Ma mère ne savait pas vraiment viser... Je mis mes écouteurs sur l'une de mes chansons préférées du moment -Faded- et attendis que l'orage passe.

Au bout d'une vingtaine de minutes, Hardy sortit précipitamment, un vieux sac de sport négligemment jeté sur son épaule droite, un paquet de cigarettes dans sa main gauche. Il m'évita de justesse, gromellant quelque chose que je ne compris pas, puis partit.

Je me levai, éteignis mon téléphone et me préparai mentalement à une crise de larmes.

Ma mère était affalée sur le canapé du salon, le regard fixé sur le plafond.

Une tornade avait massacré notre salon: des éclats de verre recouvraient le plancher, la table basse et son contenu avaient été renversés sur le côté, les murs déjà effrités étaient tâchés de sauce tomate et de reste de pâtes... J'enjambai prudemment les détritus pour rejoindre ma mère, et m'assis à côté d'elle. Elle brisa le silence:

- Tu sais... Je... Je pensais vraiment que c'était le bon, cette fois-ci. Je te le jure.
Soupirant, je tapotai mes genoux pour qu'elle pose sa tête dessus. Elle se cala contre moi, et murmura avant de s'endormir:

- Tu mérites tellement mieux, mon petit coeur. J'aurai voulu t'offrir tellement plus. Je t'aime Jessie.

- Je sais maman. Moi aussi je t'aime.

Après m'être assurée que ma mère dormait profondément, je la recouvris d'une couverture et entamai le ménage. Je balayai, puis passai un coup d'éponge sur les tâches les moins tenaces. Le reste pouvait attendre. J'estimais en mon fort intérieur les pertes. Deux verres, deux assiettes et un vase étaient inutilisables. Un cadre photo était ébrêché, mais rien d'irrécupérable. La table basse était solide et encaissait les coups sans rechigner.

Notre salon ressemblait enfin à quelque chose. Satisfaite, je m'allongai sur mon lit pour un repos bien mérité. Je n'en voulais pas à ma mère. Enfin pas vraiment. C'était toujours dur d'être la mère de sa mère. De s'efforcer d'être plus mature, tout simplement parce que si on ne l'était pas, personne ne le serait. Je savais qu'elle faisait son maximum pour être une bonne maman mais elle se faisait souvent avoir. Elle était juste trop naïve. Trop romantique. Trop rêveuse. Le genre de personne de nature optimiste et confiante, peut-être trop pour ce bas monde. Tout le monde avait tendance à la juger sans même la connaître, en se basant uniquement sur son passé ou son apparence. Elle n'était pas parfaite bien sûr, mais qui pouvait se vanter de l'être ? Cependant, j'étais sûre d'une chose, et c'était ce pourquoi elle était une maman si extraordinaire et dont j'avais appris à être fière et à m'estimer chanceuse : elle m'aimait d'un amour inconditionnel.

Que demander de plus ?

Recall ~En Pause~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant