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Habiter à la surface de la planète avait un avantage : on pouvait voir de ses propres yeux les cycles s'enchainer. Si le jour était relativement clair, la nuit était complètement sombre. Ria avait une fois parlé de ces lumières qu'on appelait étoiles et qui brillaient la nuit. Jao ne les avait jamais remarquées. Sans doute à cause du même phénomène qui obstruait le soleil durant la journée. C'était ça ou ces fameuses étoiles n'existaient tout simplement pas. Après tout, le passé regorge de mythes et de légendes qui font rêver, mais qui ne reflètent en rien le monde tel qu'il est.

C'est en pleine nuit qu'elles sont arrivées. Sa fille Maïa et sa petite fille, que Jao ne connaissait pas.

— Il fait nuit ? s'était étonnée Maïa. Comme c'est étrange, ce décalage de cycle. En métropole, c'est la pause diurne.

Jao, enchanté et intrigué à la fois, les accueillit comme il put. Maïa taisait la raison de leur soudaine visite et Jao ne posa pas de questions. Il leur offrit son lit et trouva de quoi s'allonger par terre.

« 3. Votre plante occupe un terreau qui doit être nourri lui aussi. Déposez-y vos restes organiques. »

La petite Lulia, deux ans et demi, ne parlait pas encore, mais elle trottait, touchait, trouvait, goutait, recrachait... Son occupation favorite consistait à porter à la bouche tout ce qu'elle ramassait sur sa route. Elle fit rapidement le tour de l'étroit habitacle et inaugura bientôt l'exploration de ses recoins. Peu de temps après leur arrivée, la plante (ou du moins, ce qu'il en restait) se retrouva sur la route de la jeune exploratrice.

— Tu as une plante ici ?

Maïa avait peine à le croire.

— Tu sais que c'est la grande mode à Bourbay. Tout le monde en veut une. Mais... je ne m'attendais pas à ce qu'elle ressemble si peu aux pubs.

— C'est ta mère qui en rêvait.

Maïa fouilla sa mémoire.

— Ah oui. Maman. Elle avait des idées... un peu spéciales. Tout le temps à dire que l'homme n'était pas fait pour vivre sous terre. Qu'un jour, il faudra bien y remonter, à la surface...

Un silence prit sa place entre les deux. Plongés dans leur déduction et résignation respective, ils ne firent plus attention à Lulia qui entreprit de repeindre le pot de la plante à l'aide de la seule couleur à sa portée : celle qu'elle trouva dans sa couche. Quand l'odeur sortit enfin les adultes de leur torpeur, tout n'était plus que marron. L'eau rationnée s'épuiserait vite à ce rythme. Il fallut d'abord laver la petite. Le pot fut essuyé. Quant à son contenu...

— Ma foi, il n'y a plus grand-chose à faire. Si ce n'est attendre le procès-verbal et la sanction qui va me tomber dessus pour négligence.

Jao se voyait déjà vendre sa modeste bulle de lumière naturelle pour aller rejoindre l'obscurité angoissante de ces niches souterraines où s'entassait une population qui vivait dans l'oubli. Ou l'ignorance. Ou le déni. Peu importait.

Une calamité, cette plante ! De dépit, Jao se saisit du pot qui fit une pirouette avant d'aller s'écraser contre un mur. Cela eut pour effet de profondément contrarier Lulia qui se mit à hurler. Pour calmer les cris, Maïa s'empressa de ramasser la tige, de la rincer et de l'agiter devant sa fille. Les trois remarquèrent alors une chose étrange : la partie du plant qui se trouvait sous terre ne ressemblait en rien au reste. De fines et délicates veines terreuses partaient dans tous les sens, s'enchevêtraient, se multipliaient, se tortillaient dans une fascinante complexité. La vive Lulia tira brusquement sur l'une de ces minuscules lianes et une goutte de suc perla. La lumière se fit dans la tête de Jao.

— C'est par là qu'elle doit boire !

PLANTE [Nouvelle SF]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant