sixième lettre

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Chère Jean,

J'ai la tête vide, ces jours-ci. La routine est plus qu'épuisante, et je me demande pourquoi je suis encore là, parmi les arbres morts et la terre humide. Des nouvelles recrues débarquent chaque semaine. C'est idiot, puisqu'il n'y a pas besoin d'hommes en plus, la population du camp ne sait même plus quoi faire pour s'occuper.

À l'ouest du bois dans lequel nous nous sommes établis, il y a une colline qui masque les premiers rayons du soleil. Les autres râlent parce que ce vulgaire tas de terre cache la lumière, mais à moi, il me fait sourire. La petite montagne est entièrement recouverte d'herbes hautes, et me rappelle les journées qu'on passait chez grand-père. Il habitait reculé de toute ville, et sa demeure n'était rien d'autre qu'une petite ferme où vivait avec lui trois poules et un couple de chiens. Je me souviens de l'ennui que nous vivions, alors que papi passait ses journées à lire. Pour s'occuper, on allait vagabonder dans les pâturages, et nous nous égarions dans la nature.

On n'explorait pas trop loin, pour retrouver notre chemin, mais un jour, nous avions découvert une ferme. Personne ne semblait être présent lorsque nous sommes arrivés, et un petit enclot bâtit juste à côté de la grande maison avait directement capté ton attention. Alors que je te disais qu'on n'avait pas le droit de traîner par ici, tu as sauté par-dessus la barrière et tu t'es approché des minuscules créatures qui peuplaient le domaine fermé.

C'était des petits porcelets, tu t'en souviens ? Tu as voulu en attraper un, et tu t'es mis à courir après eux comme une enfant. Lorsque tu avais enfin une de ces petites bêtes en mains, il s'est mis à pleurer très fort. On aurait dit qu'on était en train de l'égorger et de le vider de son sang. Pourtant tu la gardé dans tes bras, et c'est à ce moment que j'ai vu l'autre. Toi aussi, tu as dû l'entendre, car tu t'es raidi lorsqu'elle a reniflé bruyamment. Tu t'es retournée, les membres crispés, pour apercevoir la truie qui te regardait de ses yeux sombres. Tu as tout de suite pris peur, et tu n'as rien trouvé d'autre de lui jeter son petit à la figure.

Je me suis mis à courir vers toi en hurlant, et alors que la crainte déformait ton visage, tu n'avais même pas fais trois pas en courant que tu t'es étalé dans les fientes et la boue des cochons. L'énorme animal t'a foncé dessus, et a mis ses deux pattes sur ta poitrine pour ouvrir sa gueule devant ton visage. Elle a laissé échapper un énorme râlement, et je te jure qu'en cet instant, je croyais que tu finirais mangée par un cochon. Tu l'as repoussée à coups de pieds et tu es sorti de l'enclos à temps, le corps tremblant, la peur au ventre. Tu étais toute recouverte de boue, et tu ne cessais pas de t'écrier « on part d'ici ! On part d'ici ! » Tu as même pas réfléchis, et sans jeter un regard en plus à la truie, tu t'es mise à fuir.

Je t'ai rejointe, et alors que je pensais te trouver angoissée par ce que tu venais de vivre, je t'ai vu en train de glousser, et tes éclats de rires sonnaient au rythme de ta course.

Je t'ai rejointe, et alors que je pensais te trouver angoissée par ce que tu venais de vivre, je t'ai vu en train de glousser, et tes éclats de rires sonnaient au rythme de ta course

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