quatrième lettre

371 139 13
                                    


Ma sœur,

Au moment où je t'écris, je ne suis pas bien. Des hématomes me recouvrent la figure, et sourire me fait mal. On m'a cogné. Ce n'était pas une attaque des allemands, mais l'acte d'un français, qui m'avait pris mon papier à lettres, et s'était amusé à nettoyer le sol avec. Avec les lettres que je t'avais écrites. Les lettres qui ne manquaient plus qu'à être postées, pour voyager jusqu'entre tes doigts. Ce français est dans le même état que moi. Pire, même. Je n'ai pas hésité à frapper plus fort.

Ce n'était pas ma première bagarre, tu te souviens ? En Automne, alors que les jours d'école passaient au rythme de la course des escargots qui erraient sur les pavés. Les récréations étaient toujours courtes, mais la sonnerie qui retentissait pour l'annoncer sonnait comme une mélodie à nos oreilles. Toi, tu étais toujours dans ton coin, les mains pleines de craies, à dessiner sur la marelle. Tu couvrais les cases de milles couleurs, et tu faisais fleurir des plantes imaginaires avec tes doigts. Tu étalais la mer dans la poussière, et tu coloriais les cailloux de rouge pour en faire des poissons. Et puis un jour, un grand s'en est pris à toi. Il a écrasé tes craies sur le ciment de la cour, et frottait ses chaussures contre le sol pour effacer ton art. Tu lui a crié d'arrêter, et il t'a poussé par terre. Tu es tombé à la renverse, et tu avais le coude qui saignait. Tu ne pleurais pas, tu allais même te relever, mais je suis arrivé. Je n'ai pas hésité, et je lui ai sauté dessus. Les poings fermés, la vue brouillée par la colère, je l'ai rué de coups.

« Tu ne touches pas à ma sœur ! Tu ne touches pas à ma sœur ! » Je répétais en criant, encore et encore. Tu hurlais mon nom, et je faisais pleuvoir les baffes sur sa sale gueule. Et je n'ai pas arrêté, pas une seule seconde jusqu'à ce que le surveillant arrive pour nous séparer. J'avais des tâches de sang sur les phalanges, et les mains qui tremblaient. Tu avais les larmes qui coulaient, puis tu m'as pris dans tes bras, et tu n'as pas voulu me lâcher.

Papa était très en colère. Il m'avait frappé, et la marque de sa claque était longtemps restée sur ma figure. C'est à croire que je suis destiné à avoir le visage amoché par les coups, mais c'est mieux d'être blessé que mort. Je crois.

 Je crois

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.
Les Enveloppes JaunesWhere stories live. Discover now