Chapitre 2

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M. Roubar prenait son café en lisant le journal comme il en avait l'habitude, avant de s'en aller travailler. Marguerite qui le guettait se précipita vers lui, le pas léger et le serra contre elle:
《Mon petit père! J'ai une bonne nouvelle! J'ai trouvé un emploi.
- Comment? Mais tu n'en as pas besoin! Nous avons assez d'argent!
- Oh, c'est un travail très respectable et je ne fais rien de mes journées à part lire et quelque fois aller au musée.
- Qu'est-ce que ce serait exactement? Ce "travail très respectable" comme tu dis.
- Assistante auprès d'un peintre., si elle disait "modèle" jamais son père n'accepterait, en pensant à tous ces tableaux osés qui se peignent.
- Assistante?
- Oui je l'aiderais à trouver des endroits à peindre, j'apporterais les pinceaux en trop afin qu'il n'en manque jamais, s'il vend je m'occuperais de prendre rendez-vous avec l'acheteur...
- Et ce peintre... Est-il quelqu'un de bien?
- Oui! Il est jeune mais riche, il vit dans un château, en Seine-et-Marne.
- Un aristocrate!, murmura M. Roubar.
- Il m'offre le gîte et le couvert dans ce château, en plus de me payer. Et puis ça ne vous nuira pas de ne plus m'avoir à la maison; ce n'est pas comme si nous sortions souvent. Les voisins ne s'inquièteront guère de mon absence.
- Mais et ta mère? Qui l'aidera?
- Alcée est assez grande maintenant. Elle peut faire autre chose que jouer du piano toute la journée. Alors c'est oui?
- Je suppose que je n'ai pas le choix.
- Merci merci! Vous verrez! Je ne vous décevrai pas! Merci mon bon père! Merci!》

Après une dernière effusion la jeune fille courut vers sa chambre afin d'écrire à André qu'elle était ravie d'accepter sa proposition. Ses doigts tremblaient en écrivant, qu'allait-elle emmener au château? Ses robes contrasteraient très certainement avec la richesse du lieu. Mais après tout, elle serait payée et pourrait s'acheter des robes au goût du jour!

Toujours débordante d'énergie, la jeune fille se précipita vers la porte d'entrée et se pencha au-dessus de la sombre cage d'escalier.
《Georges! Georges! Viens ici! J'ai besoin de toi!》

Un jeune garçon d'une dizaine d'année arriva aussitot. Il avait une griffure sur le nez et une dent en moins, ce qui amochait légèrement son sourire.
《Qu'est-ce que j'peux faire pour vous Mlle Roubar?
- Va donc porter ce billet à cette adresse. Je te donnerais quelques sous en échange.
- À vos ordres Mlle Roubar!》

Les yeux brillants le garçon dévala les escaliers et se précipita dans Paris en tenant fermement le billet. L'appartement privé de M. d'Ambreville se trouvait près du jardin du Luxembourg. Le peintre aimait peindre le quartier latin vibrant de jeunesse grâce aux étudiants. Un peu moins de deux kilomètres séparaient Marguerite de l'appartement d'André. Georges connaissait la ville comme sa poche, avec ses camarades de classe ils parcouraient le tout Paris; des grands boulevards Haussmanien aux taudis respirant la saleté, rien ne leur était inconnu. Quelques fois on les prenait pour des voleurs, ça les faisait bien rire. Ils avaient beau aimer l'argent, ils restaient honnêtes!

Georges remonta le Boulevard Saint Michel, des fiacres et des voitures se cotoyaient sur le boulevard et sur les trottoirs marchaient des étudiants et des bonnes qui emmenaient des enfants jouer au Jardin du Luxembourg. On parlait littérature, mathématiques, philosophie et puis les enfants babillaient à propos des bateaux que l'on peut faire voguer sur le bassin du Jardin. Georges s'imaginait étudiant plus tard, il voulait devenir chercheur. Aller dans les colonies en Asie et se perdre dans la Jungle afin d'y étudier les plantes et animaux. Avec l'argent de Mlle Roubar peut-être pourrait-il s'acheter un livre sur la biologie afin d'en apprendre un peu plus?
Le garçon bifurqua dans une petite rue un peu avant d'arriver en haut du Boulevard, face au Jardin.

                           ¤¤¤¤

《Monsieur, un jeune garçon a un billet pour vous. De la part d'une certaine Mlle Roubar. Dois-je le faire rentrer?
- Oui Jacques, s'il te plaît.》

André se leva prestement de son fauteuil qu'il avait placé face à sa fenêtre, il aimait regarder les fleurs que les voisins disposaient à leurs fenêtres et la manière dont le soleil les enveloppait selon l'heure de la journée. Il espérait que Mlle Roubar ait accepté et que ça n'était pas un refus poli qui l'attendait.
Le peintre arracha le billet des mains de Georges et lui tourna le dos.
"Monsieur,
J'accepte votre proposition, dites-moi quand vous souhaitez commencer, je serai prête.
Marguerite Roubar"

L'écriture était tremblante, et André ne put s'empêcher de sourire.
《Peux-tu attendre quelques instants jeune homme? Que j'écrive ma réponse?》

Georges hocha la tête, regardant tout autour de lui. L'appartement du peintre le fascinait, il y avait des calepins partout et une forte odeur flottait partout, celle de la peinture. Comment le peintre peut-il supporter de vivre constamment entouré de cette odeur?!

André réapparut tenant dans sa main un petit bout de papier plié. Dans une semaine il passera chercher Marguerite, ils prendront le train à Gare de l'Est pour s'arrêter en Gare de Meaux. À Meaux, le chauffeur des Ambreville les attendra pour les emmener au château de Guermantes.  Il lui a aussi indiqué de ne prendre que le nécessaire, le reste il pourra lui acheter au besoin.
《Vous semblez heureux Monsieur., fait remarquer Jacques.
- En effet! La jeune fille dont je t'ai parlé, elle a accepté de devenir mon modèle!
- Ça ne devrait pas plaire à votre mère.
- Oh Jacques, je n'ai pas envie de l'épouser, je veux juste la peindre.
- Je vous crois, mais votre mère est de nature suspicieuse.》

André se vautra dans son fauteuil et attrapa un calepin qui traînait au sol, il se mit à dessiner la fenêtre des voisins, avec leurs géraniums et leurs roses. En pensant à Marguerite, il sentait l'inspiration lui venir. Comme il lui tardait de la faire poser pour lui! Il l'imaginait près de l'étang, ou bien près d'un arbre du domaine. Une déesse dominant sa peinture.

Marguerite, muse de la Belle Époque Où les histoires vivent. Découvrez maintenant