Les gardiens

Chapitre 7: L'Horloger et le Majordome

"-Echec et mat! Tu as encore perdu, Al.

-Vous êtes très doué mon cher! Jamais je ne pourrai vous battre. Dites-moi, quelle satisfaction tirez-vous à gagner ainsi avec autant de facilité?

-Je m'amuse Al, je m'amuse! Cesse donc d'être si pessimiste pour une fois! Tu ne t'en rends pas compte, mais tu es très doué à ce jeu! Tu as bien failli me battre une dizaine de fois sur cette partie. L'heure viendra où tu me dépasseras, et les rôles seront alors inversés.

-J'en doute fort: vous ne jouez pas franc-jeu, avec votre pouvoir."

Les deux joueurs sont assis dans une pièce cubique aux dimensions modestes, dénudée de meubles, à l'exception d'une table et de leurs deux chaises, tous deux en bois de chêne massif. Sur la table est gravé dans le bois un damier, stylisé avec des ornements complexes, sur lequel repose des pièces bicolores(à croire que la seule utilité de cette table est de jouer aux échecs) Pour cette partie, les couleurs sont blancs et rouges, et le vainqueur du jeu, un grand gaillard barbu au teint grisâtre, se lève de sa chaise et s'étire, bras au-dessus de sa tête, produisant un craquement dans son dos, puis il s'affale sur sa chaise et rit joyeusement. Cet homme, si on peut le définir ainsi, est un mélange humanoïde entre une bête et un tas de muscles. En effet, sa corpulence herculéenne et athlétique était tout aussi développée que sa pilosité, et il ressemblait plus à un monstre qu'à un homme, sur bien des aspects. Torse nu, on ne pouvait discerner l'homme que de ses mains et son visage, qui contrairement au reste du corps, présentait un indice d'une toilette soignée. Il porte un pantalon ample qui descend jusqu'aux mollets, et autour de son cou, pend une montre à gousset relié par une chaîne parcourant sa nuque, plutôt grande par rapport aux modèles classiques utilisés pour ce genre d'ornement.

"-Si j'utilise ce pouvoir , c'est pour te pousser à donner le meilleur de toi même. Ici ce qui importe n'est pas la victoire, mais le nombre de tour ou tu lutte pour y parvenir.

-Il n'empêche, que ce don de clairvoyance réduit mes chances de victoire à 0%.

-Vraiment? Serais-tu prêt à parier là-dessus?

-Est-ce là une ruse pour ne pas vous accommoder de vos corvées?

-Peut-être. Relève tu le pari?"

Le dénommé Al, pour Alphonse paraissait plus âgé, à cause de ses nombreuses rides et de son expression neutre qu'affiche généralement les majordomes de bonnes familles. Cependant, sa tenue lui donne plus l'air d'un mafieux dandy chic que d'un serviteur soigneux. Ses cheveux grisonnants affinent son style et mettent en valeur ses yeux bleu-gris qui semblaient contenir le savoir du monde. Il sourit à son ami.

" -Je relève le pari monsieur, mais c'est juste par curiosité. Comment puis-je donc gagner contre vous et un tel pouvoir?

C'est simple! Il suffit que j'abandonne la partie, ou que je joue de façon à ce que je perde.

-Mais c'est complètement illogique. Un humain pourrait réagir ainsi, mais vous n'êtes pas humain.

-Mais dès lors, les chances de victoires seraient supérieures à 0%.

-Encore une fois bien joué, monsieur. Je suppose que je vais devoir m'occuper de la gardienne dans les cages?

-Elle a un nom, tu sais?

-Je trouve cette pratique de nommer des immortels futile. Cette gardienne...

-Alphonse, s'il te plait.

-Monsieur je vous en prie! Hilda n'est qu'une jeune fille arriérée, qui ne mérite pas que l'on s'occupe de son cas. Elle s'est fait tuer de nombreuses fois, et nous a causée tellement de problèmes! Les cages sont sa punition, et j'estime, si vous me le permettez, qu'elle ne mérite pas le titre de gardienne, aussi puissante soit elle.

-Je comprend ton point de vue, cependant je t'ai déjà expliqué pourquoi je l'ai choisi, elle et pas un autre. Elle est l'incarnation même du chaos, du désordre, et c'est essentiel pour la stabilité de l'horloge.

-Elle n'a même pas besoin de se nourrir et ne mangera probablement pas son plateau. Ce n'est qu'une perte de temps!

-Pour ce point, je suis d'accord. Mais tu as perdu au jeu, et donc ce sera ta commission pour ce cycle. Vois le côté positif de la tâche: Tu apprendras plus à la connaître. Elle est de très bonne compagnie, quand on lui donne sa chance."

Le dénommé Alphonse soupire et lève les yeux sur le plafond de la pièce, qui s'élargit peu à peu, pour en former une autre plus grande, semblable à une salle à manger. Des murs et du sol, se détachent une multitude de blocs taillés dans une pierre bleue et lisse, qui se déforme et change de couleur pour se transformer en meubles de marbre et de bois. Il sait que dans ce lieu, son ami est quasi omnipotent et omniscient, et que par conséquent les armoires et les tiroirs sont remplis d'ustensiles pour toute préparation et elle est équipée pour toute préparation culinaire. Oui, quasi, car il ne peut façonner la matière organique vivante ni manier les atomes eux-mêmes. Via les pierres, il ne fait que copier la matière, mais ne peut la créer directement.

"-Al, mon ami, elle ne mange pas de viande, mais adore le poisson. Je te connais grand cuisinier, alors ne bâcle pas le travail juste parce qu'elle risque de ne pas apprécier ton plat à sa juste valeur. Ensuite je te libère pour que tu puisses trouver ton gardien. Ça te va?

- Je n'ai hélas, pas les moyens de vous contredire. Vous savez ce que je pense de ce tournoi, mais aucun argument vous fera changer d'avis.

-Tu sais bien que je n'ai pas le choix. C'est le seul moyen que nous avons pour l'arrêter."

Pendant ces quelques paroles, Alphonse avait eu le temps de préparer une recette de Sole meunière accompagnée de pommes de terre tournées vapeur, grâce aux appareils dont il disposait dans cette cuisine au-delà du moderne. Un plat assez répandu, et très apprécié en général sur le continent Européen.

"-Al, tu ne me l'as jamais cuisiné celui-là! Je vais finir par être jaloux !"

Ces paroles s'accompagnent d'un rire franc, ce qui ne manque pas de faire sourire le dandy. Une ouverture de la taille d'une porte se dévoile dans le mur et Alphonse l'emprunte, plat en main sous une coupole d'argent, alors que celui-ci se dirige vers un autre lieu où il retrouvera la captive. Son camarade reforme ensuite la pièce en salon, en y ajoutant une grande table de général d'armée. Sur celle-ci, une carte représente une vallée sauvage, avec trois pions qui se démarque des centaines d'autres placés dessus.

"- Ah! Les gamins se sont recroisés. Il va y avoir du sport!"

Il agite ensuite ses mains au-dessus de la carte et crée magiquement un dôme qui isole les trois plus gros pions des autres sur la table.

"- J'espère que cette fois ils vont comprendre ma prophétie, au lieu de s'entre-tuer sans cesse."