Six Contes pour faire rêver un monstre

L'enfant aux deux visages - 1

Il était une fois, dans un pays lointain, une fillette aux deux visages. Dans son village, la population était simple. Un visage, un mode de pensée qui ne changeait jamais. Une seule humeur, une seule émotion par personne. Elle était multiple, pouvait ressentir l'amour comme la haine, être triste ou heureuse, avoir un débat philosophique avec elle-même. C'est pour cette raison que les habitants l'appelaient Jana, dérivé du dieu antique Janus, celui aux deux visages. Depuis toujours, les enfants comme les adultes rejetaient la fillette : les premiers la refusaient dans leurs jeux, les suivants ne voulaient pas d'elle chez eux. Elle se débrouillait donc seule, dans une petite cabane en périphérie, et cultivait des courges renommées dans tout le village, où elle se rendait une fois par semaine afin de les vendre.

Malgré leur dégout pour sa personne, tous courraient récupérer ses légumes, aimant bien trop satisfaire leurs papilles. La fillette commença à devenir jeune femme. A ses seize ans, elle tomba amoureuse d'un garçon du village qui semblait gentil, mais se refusa à elle, comme toujours. Humiliée, en larmes, Jana traverse en courant le village avant de buter sur une affiche. Elle se débattit quelques instants avec, avant de finalement en lire le contenu.

« Vous vous sentez anormal, abandonné ? Vous voulez changer, devenir enfin normal ? Alors, rejoignez l'ile du Professeur Derwin, et tous vos souhaits s'exauceront »

En fond, une terre paradisiaque était représentée, avec un vieil homme en blouse qui souriait de toutes ses dents. La tristesse partit instantanément, et vint l'espoir. Le lendemain, ses affaires fin prêtes, Jana s'en alla sans se retourner de son village.

« Vous verrez, quand je reviendrais, je serais comme vous, pensa-t-elle. »

Elle s'élança en ligne droite pour rejoindre l'océan, l'île du docteur étant de l'autre côté. Après quelques heures de marche, une odeur salée parvint à ses narines. Le vent jouait avec ses longs cheveux noirs, et Jana montra son visage heureux, pour la première fois depuis bien longtemps. Elle descendit jusqu'au port, et constata que personne ne remarqua sa dualité. Elle eut l'impression que les gens étaient différents : ici, tout n'était que frénésie, mouvement. Tous passaient instantanément d'une humeur à l'autre, sans que cela soit marqué. Impressionnée, elle ne vit pas l'homme avant de lui rentrer dedans. Il réajusta sa longue cape beige, remonta son chapeau, et la fixa quelques instants.

- Excusez-moi, bredouilla-t-elle, je suis un peu perdue...

- C'est effectivement ce que je constate. Tu viens du village de l'autre côté de la colline ?

Surprise, elle ne put retenir un petit cri.

- En effet ! s'exclama-t-elle.

- Parfait ! répondit-t-il. Pourrais-tu m'indiquer la direction à suivre ?

Jana s'exécuta sans rechigner, et bientôt l'inconnu fut prêt.

- Mais dis-moi jeune fille, que fais-tu ici ? Ce village est réputé pour être paradisiaque, s'étonna-t-il.

- Je veux traverser la mer ! Et puis, ce n'est pas idyllique pour les gens comme moi...

Triste, Jana laissa sortir son deuxième visage, surprenant l'étranger.

- Oh, je vois, murmura-t-il. Puisque tu m'as aidé, je vais te faire un cadeau.

Il trifouilla quelques instant dans sa cape, et en sortit une petite planche bleue.

- Voici un surf magique, expliqua-t-il. I te mènera là où tu le désire. Mais attention, si tu l'utilises plus de quatre heures, il sera totalement déchargé et te fera couler !

Jana remercia grandement l'étranger, qui partit pour son village. Elle se rendit alors dans un endroit reculé du port, et croisa un grand nombre d'affiches du Docteur Derwin. Rassérénée, elle posa la planche magique sur l'eau et s'assit dessus. Elle prit une grande inspiration, et annonça sa destination.

- Surf enchanté, mène-moi à l'ile où je pourrais devenir normale !

Après quelques instants, la planche s'élança et fila en ligne droite. L'écume jaillissait des deux côtés de la jeune fille, qui riait, heureuse, ses deux visages réunis.