Léonard Dimitri van Burke était souvent considéré par ses pairs comme quelqu'un de chanceux, à la carrière fulgurante, trop pour certains. A 29 ans, le jeune homme était déjà capitaine du CRA, une des unités les plus importantes de l'armée du Grand Empire aux Etats-Unis. Sourires, courbettes, et poignées de mains chaleureuses lui étaient régulièrement adressées pour ses galons mais surtout pour ses exploits passés. Après tout, il était le seul survivant de la Grande Débâcle ! Son allure nonchalante, agrémenté d'un regard morne couvert d'une mèche blonde ne lui valait pourtant pas la sympathie de son entourage. De taille moyenne, fin et les joues creuses, il avait gardé l'aspect sec d'une jeunesse ascétique sur le plan nutritionnel.
Né dans les faubourgs nauséabonds de Frankfurt, le jeune Léonard avait passé sa jeunesse avec sa mère, qui tentait tant bien que mal de les faire vivre des passes occasionnelles qu'elle arrivait à monnayer aux rares michetons passant dans la ville dévastée par la guerre. Celle-ci avait été bombardée de manière acharnée pendant la Seconde Guerre Mondiale par l'armée impériale japonaise, qui avait pris à contrepied l'Allemagne nazie en brocardant une amitié de convenance désormais infructueuse pour l'Empire. Cent ans plus tard, les ruines étaient toujours dans le même état ou presque, les infortunés avait transformé les décombres en bidonvilles décrépies, faits de cabanons d'acier et d'immeubles vaguement bâché, donnant un semblant d'intimité à défaut de réelles protections contre la pluie ou le vent. Les van Burke vivaient dans l'un de ces bâtiments, dans un appartement sommairement aménagé. Composé d'une chambre et d'un espace aménagé pour la cuisine, il était plutôt bien situé, à seulement 500 mètres d'un puits d'eau potable. Les murs étaient peint de toutes les couleurs grâce à un "ami" de Mme van Burke qui lui avait légué une cargaison de pots de peintures, lot indésirable d'une rapine d'entrepôt mal ciblé.
Ils partageaient le même lit ( un confort non négligeable) et Léonard s'éclipsait dehors lorsqu'il le devait. Le jeune homme blond n'avait jamais vu d'un mauvais oeil les activités de sa mère. Celles-ci leur permettaient d'avoir un confort de vie plutôt avantageux dans le quartier, allant même jusqu'à leur permettre de manger des brochettes de viande au stand d'Uzemi sur la Grand Place. Lors des passes, il allait toujours s'assoir près de l'ancien poste de police qui était toujours en plutôt bon état malgré le poids des années. Les fenêtres avaient toutes été brisées par des souffles d'explosions mais l'intérieur était sain et constituait un lieu de jeu non négligeable pour la jeunesse locale. Il y avait bien quelques camés qui venaient s'y échouer occasionnellement mais ils se faisaient passer à tabac par les mômes qui se réjouissaient, les yeux pétillants, de pouvoir éclater deux trois côtés sans se faire emmerder par la police. Le poste était un vestige du passé car la seule autorité en place était le shogunat allemand mais Léonard et ses amis en connaissaient la signification grâce aux nombreuses revues militaires que ses amis et lui relisaient sans cesse. Outils de propagande de la Waffen SS, les journaux étaient devenus des documents précieux pour les garçons qui rejouaient sans cesse les grandes batailles du siècle précédent. Un de ses amis, Jürgen le crado, qui devait son surnom à l'absence d'eau courante chez lui, était toujours jalousé car il avait comme seul trésor ( et seul vêtement ), un costume de SS retroussé au niveau des manches et des jambes. Il était néanmoins toujours invité aux joutes, comme sorte de garant historique des batailles à jouer. Jürgen était pour ainsi dire le seul ami véritable de Léonard. Les deux garçons passaient un temps invraisemblable à consulter le moindre bout de papier relatant la guerre et Jürgen était une vraie mine d'or d'informations à ce sujet, son grand-père lui relatant sans cesse des histoires qu'il avait lui-même entendu dans sa jeunesse. Léonard aimait cette érudition. Il apportait quant à lui une vigilance et une bienveillance sur son ami, le préservant de multiples brimades et jets de cailloux venant d'enfants plus sadiques que la normale. D'ailleurs, les joutes qu'ils mettaient en place se terminaient régulièrement en pugilat, personne ne voulant jouer le rôle des français, des anglais ou des américains. Les japonais étaient soigneusement évités, de peur de croiser une milice un peu trop zélé qui irait rapporter aux autorités les faits pour une poignée de pièces. Léonard adorait jouer à la guerre. D'abord parce qu'il était doué à foutre des beignes à ses camarades et surtout car il adorait l'aura de prestige que lui apportait le costume, même imaginaire.