Chapitre I

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Il déglutit. Le miroir reflétait l'image d'un soldat au visage anxieux. Le battement irrégulier de son cœur, son souffle saccadé, ses mains moites et la contraction chaotique de ses muscles trahissaient sa profonde angoisse.
Ses sens étaient atténués par une peur aussi saisissante qu'irrationnelle. C'est à peine s'il entendait la cacophonie incessante qui annonçait l'ampleur de cette journée d'été. Car aujourd'hui était un grand jour. Aujourd'hui, tous ses efforts prenaient enfin un sens. Aujourd'hui, sa toute nouvelle vie débutait.
Son soupir se fit tremblant. Il bomba le torse tentant vainement de faire immerger une fierté caractéristique de la race humaine. A cet instant, un épaule le bouscula violemment.
- Oups, désolé, lança un autre soldat un sourire au lèvre.
Il le suivit quelques instants des yeux avant d'apercevoir un rictus moqueur déformer les traits de l'homme et de ses compagnons. Il l'avait sûrement fait exprès. Peu importait. N'avait-il pas vécu cette incessante et épuisante routine durant ces cinq dernières années ? Des souvenirs douloureux refirent surface, ajoutant un nouveau poids à son cœur épuisé.
Il se surprit alors à toucher ses oreilles d'un geste machinal et nerveux. Ces oreilles là ...Au sommet si arrondi...Cela pouvait paraître un détail pour certain mais elles lui avaient valu cinq ans de persécutions quotidiennes.
Soudain, un voix le sortit de ses songes. Il tourna la tête et aperçut une jolie jeune fille aux boucles châtaines à travers la vitre sale du bâtiment. Un sourire illumina son visage tandis qu'il s'empressait de sortir de la caserne pour la rejoindre. C'était Marie.
Fille d'un marchand, elle n'appartenait ni à la bourgeoisie, ni à la paysannerie. Elle avait cet air de bonheur simple et perpétuel et son sourire traduisait sa bonté d'âme. Elle était belle sans être fatale, habile sans être talentueuse et intelligente sans être brillante.
Elle faisait partie de cette masse qu'on ne remarque pas, cette masse qui vit et meurt dans l'insouciance, dans l'ignorance du monde et de l'histoire. Elle n'était ni trop, ni pas assez et c'est cela qui lui plaisait chez elle.
Elle s'approcha de lui et l'enlaça tendrement.
- Bonne chance, lui murmura-t-elle à l'oreille.
Il réprima une grimace. Le mot chance ne faisait pas réellement parti de son vocabulaire ni de sa vie en général. Il s'apprêtait à la rassurer quand le bruit sourd d'un cor s'éleva dans l'air. Il se figea tandis qu'une nuée d'oiseaux ébènes s'élevait dans le ciel dégagé. Déjà ?
Inspirant profondément, il contempla une dernière fois Marie. Elle aussi était anxieuse. Ses yeux rouges et ses cernes marquées trahissaient la nuit de pleurs et d'angoisse qu'elle tentait de dissimuler derrière son sourire. Pourtant, ces iris gardaient leur belle couleur brune et ses joues, une teinte rosée. Sa bouche était légèrement ouverte tandis que sa poitrine parfumée de cannelle se soulevait au rythme de sa respiration irrégulière. Elle allait lui manquer durant son voyage.
- Tout ira bien, je reviendrais à temps pour que nous nous mariions en été.
Marie afficha une mine déconfite à l'idée de devoir attendre si longtemps. Les mots doux ne serviraient à rien mise à part lui rappeler un peu plus la triste vérité. Il lui sourit pour la rassurer et se dégagea délicatement de ses bras.
Il était temps.
Il traversa le complexe militaire composé de bâtiments rectangulaires aux couleurs fades, de fastes étendues de terre jonchées de troncs d'arbre, de mannequins de paille et d'armes. Ces terrains d'entraînement avaient forgé son corps tandis que la caserne et ses camarades avaient façonné son esprit.
Il pénétra dans l'écurie aux murs endommagés par le temps. Tous les box étaient vides, il était le dernier. Une jeune recrue lui tendit les rênes d'une jument à la robe isabelle.
L'animal s'ébroua et frappa du sabot à la vue du jeune soldat. Ce dernier sourit, dépité. Séléné était magnifique mais également colérique et rebelle. Il avait l'habitude qu'on lui assigne cette monture qu'aucune autre recrue ne voulait ni n'osait monter. Au cours des années, un lien s'était tissé entre lui et l'animal. Elle semblait elle aussi sujette aux aprioris des elfes car malgré son caractère indomptable, Séléné brillait d'intelligente et excellait aux épreuves de vitesse et de saut d'obstacle.
Enfin, sachant la manière d'approcher l'animal. Il tendit sa main à quelques centimètres de ses naseaux tout en courbant la tête. Elle la renifla quelques instants puis inclina elle aussi son encolure dans un signe de respect mutuel. Il releva alors les yeux et entreprit de monter sur la jument.
Une fois Séléné enfourchée, il quitta les écuries au trot et adressa un dernier signe de la main à Marie. Elle le fixait quelques mètres plus loin, les doigts entrecroisés et les lèvres remuant dans une prière muette.


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