Prologue

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Docteur Later

Je ne devrais pas faire ça, je le sais... Mais elle-même m'a poussé à le faire. Nous sommes même allés au tribunal, elle y tenait... Elle y tenait fermement. Elle tenait à ce que son nom paraisse, ce qu'elle avait vécu, sans rien cacher. Elle y tenait vraiment. Mais au moins, je lui ai conseillé de changer certains noms pour éviter d'avoir la justice sur le dos. Mais aussi pour question de discrétion. Et grâce au ciel, elle m'a écoutée.

Je l'ai rencontrée à l'Unité Psychiatrique de Kinshasa, en sigle UPK. Ma meilleure amie, le docteur Léa Kamba, psychologue et psychiatre, avait voulu me faire visiter l'unité psychiatrique, que l'Etat avait inauguré il y avait seulement deux mois. C'était elle la directrice. J'étais très fière d'elle, et ça ne m'étonnait pas qu'elle en soit arrivée là. C'était une femme très battante. Dieu merci, comme nos horaires coïncidaient un peu, nous étions en pause. J'avais juste assez de temps pour voir l'essentiel, mais pas plus. De toute façon, l'hôpital dans lequel je travaillais était situé à dix minutes de marches de l'unité psychiatrique. C'était magnifique. Tout était si propre et si blanc que je me sentais si sale et si noire ! L'air conditionné tournait à fond. Vraiment, j'avais en moi un sentiment de fierté pour mon pays...
Léa me demanda de patienter un peu le temps d'aller nous chercher un café. Je me mis à marcher lentement, observant le peu de gens qui entrait et sortait, ainsi que le personnel. Et c'est quand je l'ai vue...
Dès l'instant où je l'ai vue, j'ai voulu l'approcher. Elle avait ce petit je ne sais quoi qui m'attirait vers elle, et je sentais que la pauvre avait besoin d'aide... Elle était assise seule dans son coin dans la salle d'attente, avec une grande écharpe qui la couvrait. Elle avait de longs cheveux légèrement bruns qu'elle avait noués en queue de cheval, une coiffure qui allait bien avec son visage en forme d'amande. C'était une très jolie jeune fille, qui, selon moi, avait entre seize et dix-huit ans. Elle portait une blouse pastel fleurie avec un jean slim bleu marine. Elle avait le teint sombre. Ses yeux fixaient le sol. Elle était mince et assise avec un charme incomparable. Vraiment, elle était magnifique. Je voulais lui parler, l'entendre me dire quelque chose... Et a un moment, nos yeux se croisèrent. Elle détourna immédiatement les siens et recommença à fixer le sol. Moi je l'observais du coin de l'œil. Vraiment, je ne sais pas ce qui me poussais autant vers elle. Ce n'était pas sa beauté, mais je sentais que son cœur pur avait besoin d'être déchargé... Et j'avais vu juste.
Au bout de dix minutes, Léa vint me retrouver. Par coïncidence, elle connaissait ladite fille.

-Eh bien ! On est en avance de vingt minutes, ma' moiselle ! Maintenant c'est mon heure de pause! Lui dit-elle avec le ton amical qui la caractérisait.
-Je sais mais... Je n'ai rien d'autre à faire... Je peux attendre.

Léa lui fit un sourire et nous nous éloignâmes.

-C'est ta patiente ?

Léa acquiesça.

-Comment s'appelle-t-elle ?

Léa me regarda d'un air malicieux.

-Demande-lui !

Amandine


J'ai toujours voulu parler de ma vie, contrairement à ce que les gens peuvent penser de moi.
Je n'ai pas grand-chose à dire dans cette introduction, je ne peux que remercier du fond du cœur le docteur Myriam Later. Cette femme est ma meilleure amie. Elle a été une vraie grande sœur a mon égard, et grâce à elle, à ses précieux conseils et a son soutien, j'ai pu sourire a nouveau a la vie. Je ne dis pas que le docteur Kamba n'est pas une bonne psychologue, mais vous savez, chaque personne a un rayon de soleil... J'aime beaucoup le docteur Kamba, je vous le jure, mais entre Myriam et moi, c'est quelque chose de fort.
Je me souviens du jour où je l'ai rencontrée, comme si c'était hier... Ce jour-là, j'avais besoin de compagnie, et comme je n'avais quasiment rien à faire j'ai préféré être en avance de vingt minutes pour passer le temps. Et je suis restée assise dans la salle d'attente, repliée sur moi-même comme un chat, la tête un peu lourde. A vrai dire, je voulais simplement sortir de chez moi. Je n'avais personne à qui parler. Puis je vis la silhouette grassouillette du docteur Kamba, accompagnée d'une autre femme un peu plus mince. Cette femme avait un joli teint caramel. Elle avait une parfaite taille en sablier, et elle était potelée. Elle portait un chemisier rose et une jupe crayon grise. Ses hauts talons vernis noirs étaient impeccables, et elle marchait mieux qu'une top-modèle. J'ai senti que ses beaux gros yeux brillants m'observaient, mais je me sentais tellement minable devant cette femme qui avait une vie meilleure que la mienne que je n'ai pas supporté de la regarder dans les yeux. Et bien après, nous avons fait connaissance...
Cette femme si bonne n'a pas voulu écrire d'elle-même mon histoire. Elle m'a laissé le clavier. Moi je n'ai pas voulu en être l'auteur. Je lui ai cédé ce titre. Je pense que nous avions besoin de ça, d'écrire, de parler.
Je n'ai aucun but lucratif. Je veux juste dire haut et fort ce que j'ai gardé longtemps en moi jusqu'à en exploser, au point de me retrouver dans une unité psychiatrique. J'ai été affublée de journalistes à cause de ce que j'ai vécu, et je déteste ça...
En hommage à sa personne, David et moi avons donné à notre fille le nom de Myriam Later Tshiama.
Je tiens à ajouter que le prénom avec lequel tout le monde m'interpelle aujourd'hui, c'est-à-dire Amandine, est mon deuxième prénom; parce que j'ai décidé de mettre une croix sur l'ancien. Vous comprendrez pourquoi en lisant mon histoire.


La Danseuse NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant