Chapitre 31 : Des cookies en échange d'une humiliation

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  Je n'arrivais pas à faire comme si de rien était. Iris était arrivée quelques minutes plus tôt, et j'avais collé un faux sourire sur mon visage, feinté une certaine joie. Je l'avais bien entendu déjà revu depuis que j'avais fait cette découverte surprenante, et à ce moment-là j'avais été réellement contente de la voir heureuse, mais faire la conversation s'avérait être un calvaire. Je ne pouvais m'empêcher d'y penser, je mourrais d'envie de lui poser plein de questions.
Je faisais au mieux, vraiment, j'y mettais toute ma bonne volonté, mais c'était tellement compliqué de faire sembler de m'intéresser aux compliments que le professeur de français avait pu lui faire.

- Mélodie ? T'es complètement absente en ce moment... C'est à cause de Castiel ? Ou de cette histoire de livre ?

Je lui fis une sale moue, elle pouvait croire n'importe laquelle des options, au final rien n'était faux. J'avais terminé le livre de Lysandre hier matin, sans l'avoir lâché de toute la nuit jusqu'à ce je n'ai terminé la dernière page. Bon sang, j'en avais été toute chamboulée. Chaque pensée de cette héroïne, Elizabeth, chaque action, chaque réaction coulait de source, comme si elle avait été tirée de mon propre esprit. Cette jeune fille avait eu une enfance enfermée sous les jupons de sa mère, à suivre une éducation tout à fait parfaite de la petite fille modèle. Mais ce n'était pas ce qu'elle escomptait de la vie, elle aspirait à totalement autre chose qu'à se retrouver mariée au riche quadragénaire, un vieil ami de ses parents. Et de là débute cette histoire, que je ne saurais qualifier autrement que d'émouvante, d'une fille décidant de se heurter à toute la société en dépensant toute sa dot afin de s'acheter une manufacture de tissu. Les nobles ne pouvaient travailler à l'époque, l'étiquette l'interdisait, mais ils pouvaient tout à fait utiliser ce moyen de traverse en se positionnant à la tête d'une « entreprise ». Lysandre s'était totalement imprégné dans l'histoire de l'époque, le vocabulaire, le contexte, les vêtements,... Ce bouquin était du pur génie. J'avais adoré, j'avais pleuré, j'avais ri. Un tourbillon. Entre la mort de sa mère qui l'avait poussé dans les pires moments de sa vie, son amitié avec le frère de Louis XIV, ses amours scandaleux avec un ouvrier de sa manufacture, sans oublier ses rivalités avec les autres fabricants de tissu.
Je n'avais pas revu Lysandre depuis qu'il avait déposé le livre, je devinais assez facilement qu'il n'osait plus revenir. Il digérait dans son coin le fait que Castiel était parti, et qu'il m'avait confié le plus gros investissement de sa vie. J'avais hâte de le retrouver, de lui dire tout ce que j'avais pu penser de son histoire. Et surtout pour la fin, cette fin m'avait chamboulée. Pouvait-il réellement finir cette histoire de la sorte ? L'héroïne s'engageait dans un mariage sans amour, abandonnait son amant, tout ça pour pouvoir sauver sa manufacture. C'était à la fois troublant, émouvant et criant de vérité : elle finissait par se choisir. Elle laissait de côté l'amour, l'amitié, pour se sauver elle. Parce que sa manufacture, c'était toute sa vie.

- Tu crois qu'il me laissera lire ce fameux bouquin ? me questionna Iris en croquant dans la pomme de mon plateau de repas de ce midi.

Je haussai les épaules avec une grimace peu convaincue. Je n'y croyais vraiment pas. Il me l'avait montré juste parce qu'il se sentait redevable, ce qui était d'ailleurs ridicule. En quoi devait-il se sentir redevable de quoi que ce soit ? C'était son œuvre, je n'y avais pas participé. Ou tout du moins, pas de manière active.

- Il faut vraiment que tu arrêtes de me servir cette tête de constipée. Que ce soit pour cette histoire de livre, ou pour Castiel, tout ira bien Mél. Il ne faut jamais prendre au pied de la lettre ce que raconte une histoire de fiction, il y a forcément une énorme partie d'imagination. Et pour Castiel... Je sais que c'est dur, je le sais. Ca a été dur pour tout le monde de le voir filer... Je sais pas, quelque chose manque, et c'est trop bizarre. Mais on le reverra Mél... Bon sang... Et dire que ce n'est qu'un avant-goût de ce qu'il va se passer dans quelques mois. Je suis heureuse, j'ai trop peur de ce qui va se passer après...

Je hochai la tête lentement. Je partageais totalement ses doutes, et j'étais tellement agacée d'être coincée à l'hôpital au lieu de profiter de ces derniers instants du lycée. Je savais que je ne les revivrais plus, et ça me tuait de devoir rester là. J'avais déjà perdu bien trop de temps pour des choses futiles. La seule chose qui me donna réellement envie de sourire dans sa phrase, ce fut de l'entendre dire qu'elle était heureuse. Elle était heureuse. Et Kim devait sûrement y être pour quelque chose. Il fallait que j'arrête d'être bloquée par le fait qu'elle refusait de m'en parler, c'était un blocage idiot et nuisible pour notre amitié. Elle n'était pas prête, et je me devais de lui laisser le temps de l'être. Après tout, j'avais mis un temps fou avant d'avouer quoi que ce soit à Iris à propos de Castiel, parce que j'avais mis moi aussi un sacré temps avant de l'accepter.
Une sonnerie se fit entendre dans la pièce, la chanson « single ladies » de Beyoncé que je lui suppliais de changer depuis la nuit des temps. Elle décrocha et le son de sa voix s'affaiblit jusqu'à ne devenir qu'un souffle. Elle était au téléphone avec Kim, j'y aurais mis ma main à couper.

- Hmhm. Oui. Oui, marmonna-t-elle en me lançant des regards gênés. Je vais rester encore avec elle un peu, et je te rejoins. Oui.

J'agitai mes deux mains devant son visage pour obtenir son attention. Je lui fis comprendre à l'aide de grimaces et de gestuelles qu'elle pouvait partir, ça ne me dérangeait pas.

- T'es sûre ? s'assura-t-elle en éloignant le téléphone de son oreille, et je me rendis compte qu'elle avait très envie de rejoindre Kim.

Je lui répondis par le mouvement que j'avais sûrement le plus répété depuis ces dernières semaines : un fichu hochement de tête pathétique.

- Ok ! J'arrive, lança-t-elle à l'encontre de son mystérieux interlocuteur qui n'en était pas un.

Elle déposa un long baiser sur ma joue, un peu trop exagéré, mais qui eut au moins le mérite de me faire rire. Elle déguerpit et mon champ de vision fut envahi par une vague de cheveux roux flamboyants.

***

- Bon sang mais casses-toi ! Tu triches là mec ! s'époumona Matt en repoussant Armin d'un coup de coude tout en restant concentré sur ses mouvements.

Armin avait décidé de déplacer sa Wii dans ma chambre d'hôpital. J'avais supposé que c'était pour que je puisse jouer, mais à dire vrai, la seule chose que je faisais c'était d'observer ses deux abrutis se battre pour gagner une fichue partie de tennis. Qu'est-ce que les garçons peuvent être mauvais joueur !

- T'es sérieux ? T'as voulu m'enlever mes piles tout à l'heure et tu parles de triche ? répliqua Armin en faisant un grand geste de bras pour taper dans la balle de tennis.
- Arrête de voir le mal partout ! T'avais plus de batterie !
- Ah ouais ? Bah c'est carrément bizarre, j'avais encore moins de batterie après que t'aies mis tes sales mains dans ma manette ! grogna-t-il.


Je devais avouer qu'ils étaient carrément drôles les deux abrutis. Ils étaient tellement concentrés sur leur match que j'aurais pu faire une crise cardiaque entre eux qu'aucun des deux ne l'auraient remarqué. Tu parles, ils étaient en train de mettre leur virilité en jeu. Qui d'Armin ou de Matt finira victorieux d'un match de tennis virtuel ?
Apparemment, personne n'aura la réponse. Véra débarqua dans la chambre avec un air dépité et éteignit la télévision sans ménagement.

- T'es sérieuse ?! s'époumona Matt. Pourquoi t'as éteint j'étais en train de l'exploser ?!
- Parce que vous êtes là pour Mélodie, et pas pour la télé, fit remarquer Véra en levant un doigt intelligemment.
- Attends, mais je fais ça pour elle ! Regarde, elle est tranquillement assise dans son lit et elle a tous les droits de mater les deux plus beaux postérieurs du lycée, si c'est pas de la générosité je sais pas ce que c'est, rétorqua Matt en haussant les épaules d'un air désinvolte.


Je lâchai un grognement peu gracieux, pour lui faire comprendre qu'il était en train de m'agacer. Et alors que Matt s'apprêtait à répliquer, une fusée bleue fit son entrée dans la pièce en sautant dans tous les sens et en serrant un peu tout le monde dans ses bras. Il avait son sourire des grands jours. Il prit d'assaut mon visage et y déposa des baisers partout comme un gosse.

- C'est le pluuuuus beauuuu jour de ma vie ! s'exclama-t-il en se laissant tomber lassivement sur mon lit.

Il passa ses deux bras derrière sa tête et afficha un air idiot.

- T'as enfin compris que ta couleur de cheveux n'était pas assortie à ton pull du mardi ? railla Véra en prenant une mine moqueuse.
- Dixit la fille qui porte un haut rose bariolé entrant en conflit mondial avec ses yeux, lâcha Alexy.
- Bon allez, crache le morceau, je sais que t'en meures d'envie, s'impatienta Véra qui vint nous rejoindre sur le matelas.
- Oliver m'a embrassé ! s'enthousiasma-t-il en levant les bras en signe de victoire.
- Ookkkkkk, je crois que c'est le moment où je file, esquiva Armin en débranchant les prises de sa console.
- Dilemme... marmonna Matt en faisant mine de réfléchir. J'ai le choix entre suivre mon pote pour faire une partie de Call of sur son écran géant ou rester pour entendre mister gay blablater sur ses histoires de cœur... Franchement, le choix est cornélien !
- Le gay il t'emmerde ! s'agaça Alexy en lui balançant un coussin en pleine tête.
- Tu sais bien que je suis si méchant parce que je refoule mon désir sexuel pour toi, minauda Matt en lui envoyant un baiser au loin.
- Désolé, les abrutis à l'humour douteux et avec une cervelle de la taille d'un petit pois, c'est pas trop mon style.
- Bon sang Alex, tu viens de ruiner mon cœur, mima Matt avec la main sur sa poitrine. Je vais aller me consoler avec ton frère pour la peine.
- Pas touche à mon mec espèce de pervers ! le menaça Véra.
- Mais merde alors : sortez tous les deux à la fin ! s'impatienta Alexy en leur indiquant la porte. Si je raconte pas ça maintenant je vais imploser !


Armin et Matt se payèrent une dernière fois la tête d'Alexy avant de disparaître la Wii sous les bras.

- Rassure-moi, c'est pas toi qui lui a sauté dessus quand même ? s'inquiéta Véra en fronçant les sourcils.
- Pour qui tu me prends au juste ? Il est en couple, j'aurais pas osé !
- Bah bien sûr, c'est vrai que ça fait pas des semaines que tu le travailles au corps le lascar, ironisa Véra. C'est pas non plus comme si tu saoulais tout le monde pour t'aider à choisir les tenues les plus sexy pour lui plaire. Ou que tu tentais à tout prix de lui faire du charme en le tripotant au moindre prétexte.
- Et alors ? J'ai encore des droits de vouloir être attirant et de toucher les gens je te rappelle ! J'ai fait de mal à personne ! se défendit Alexy. Et c'est lui qui m'a embrassé, pas l'inverse.
- Ahhh, j'y suis : tu l'as menacé ? se moqua Véra alors qu'Alexy lui répliquait en la poussant violemment du lit.


Cette dernière manqua de tomber à la renverse alors que ses rires résonnaient dans la pièce. J'eus du mal à ne pas retenir un sourire, qui me valut un regard noir d'Alexy.

- Pas du tout ! s'indigna-t-il en croisant les bras contre son torse. Figure-toi que c'est même lui qui m'a invité chez lui ! Il avait besoin de moi pour recoudre un sweat qu'un comédien avait troué pendant le tournage. Comme je suis quelqu'un de serviable...
- Et de particulièrement désintéressé, ajouta Véra.
- Tout à fait ! affirma Alexy sans relever le ton ironique de la blonde. J'ai fait le boulot, et plutôt bien d'ailleurs. Il m'a offert un verre chez lui en échange de mon dur labeur, enfin plusieurs verres, du coup il était un peu pompette sur la fin. Il s'est soudainement penché vers moi et on s'est embrassé passionnément c'était génial ! Mais après il m'a sorti « je peux pas, je peux pas faire ça à Clément ». Clément, c'est son mec pour celles qui suivent pas. Sauf que je voyais dans ses yeux qu'il en avait envie. Il en avait autant envie que moi ! Je suis parti parce que j'avais pas envie de le forcer, mais j'espère que ça va le faire réfléchir.
- Eh bah mon cochon, je suis fière de toi ! s'écria Véra en venant lui frotter le dessus du crâne frénétiquement. Un vrai petit briseur de ménage ! Comme sa mômannnnn !
- Bon sang c'est quoi ton délire chelou de te vouloir te prendre pour ma mère ! grogna-t-il en tentant d'éviter ses tentatives de baiser. Et je ne suis pas un briseur de ménage ! Vu ce qu'Oliver me raconte, ça se passe pas forcément bien dans leur couple. Du coup je suis plus un prince charmant venant sauver sa jouvencelle en détresse de la tyrannie de son mec !
- Vu comme ça, t'es vraiment un chic type c'est sûr, affirma Véra.


Ils adoraient tellement se charrier tous les deux, c'était presque devenu leur façon de communiquer. Il s'étaient énormément rapprochés depuis qu'Armin s'était mis en couple avec la sulfureuse blonde. En un sens, pour réussir à entretenir sa relation avec lui, Véra devait nécessairement bien s'entendre avec son jumeau, avec qui il avait une relation fusionnelle.

- Mél, tu crois que ça veut dire que j'ai une chance avec lui ? me questionna Alexy plein d'espoir.

Du peu que j'avais vu d'Oliver, et de la masse d'informations que m'avait rapportée Alexy, j'avais sérieusement du mal à croire qu'il soit du genre à tromper son copain sans y avoir mûrement réfléchi. J'avais l'impression que c'était un mec bien, j'espérais juste qu'il ne comptait pas faire d'Alexy son amant secret ou je ne sais quelle idiotie qui lui vaudrait une seconde place qu'il ne méritait pas. Je lui levai néanmoins mon pouce en l'air, il avait besoin d'un peu de soutien et de confiance en lui, je me voyais mal bouder son plaisir.

- Tu vois, c'est pour ça que je t'aime Mélodie, pas comme l'autre sorcière, grommela-t-il en calant sa tête dans ma gorge.
- L'autre sorcière ne fera pas le chemin de retour avec toi si tu continues à l'agacer !


Je ressentis un léger vibrement depuis l'emplacement de Véra. Elle tira son téléphone de sa poche et jeta un œil au message qu'elle venait de recevoir. Elle émit un léger gloussement.

- Si c'est mon frère qui t'envoie un message cochon, dis-lui qu'il calme ses ardeurs ce soir j'ai envie de dormir ! se plaignit Alexy.
- C'est pas Armin, c'est Castiel, le reprit-elle immédiatement.


Des petites secondes s'écoulèrent et ils tournèrent finalement tous les deux leurs regards simultanément dans ma direction, comme pour s'assurer que je n'avais pas explosé en entendant son prénom. Je levai les yeux au ciel pour les faire taire.

- Qu'est-ce qu'il dit ? s'intéressa Alexy en replongeant de nouveau son regard vers Véra.
- Qu'il est bien installé en coloc' avec les gars du groupe et qu'il a commencé à dresser Démon pour qu'il pisse sur les affaires de la chanteuse, qu'il compare très amicalement à Cruella, répondit-elle.
- Bordel, elle est mignonne cette chanteuse ? s'enquit le jumeau en bondissant presque sur Véra.
- J'ai déjà regardé sur Internet. Cheveux noirs jusqu'aux fesses, gros seins, gros cul. Si on compare à Mélodie, je crois pas que ce soit le style de Castiel du coup.


J'attrapai vivement mon ardoise et y inscrivit un large « aucun rapport » que je leur brandissais sous le nez.

- Attends, désolée Mél mais t'es le seul point de comparaison que j'ai. Il s'est jamais intéressé à autre chose qu'au sexe avec une fille alors ! D'ailleurs, vous avez couché ensemble tous les deux ? Parce qu'à une soirée je vous ai vu disparaître aux toilettes et débarquer seulement quinze minutes plus tard !
- Non, pas du tout ! intervint Alexy. Ils se sont juste roulé des pelles comme des malades... Aïe ! Mais pourquoi tu me frappes merde Mél ?! C'est la vérité non ?


Je n'avais pas envie de parler de Castiel, voilà ce qu'il me prenait. Véra sembla me comprendre et me fit une petite mine désolée.

- Désolée Mél... Je voulais pas te faire de la peine en te parlant de lui... s'excusa-t-elle. Bon, tu sais quoi, on oublie Castiel ! Tu vas pas rester huit mois cloîtrée comme une nonne en attendant son retour, ça va être ma nouvelle mission de lui trouver un remplaçant.
- T'es malade ou quoi ?! Tu sais pas combien de temps j'ai passé pour réussir à lui faire avouer ce qu'elle ressentait pour lui ! Trop de travail investi pour rien ?! Non, non. Hors de question.
- Alors tu proposes quoi Einstein ? Qu'elle pleurniche dans son coin ?


Bon sang, je les détestais de tout mon être. Et en même temps, j'aurais dû m'y attendre. Castiel parti, je demeurais la seule célibataire du groupe qui n'avait plus personne en vue, Violette et Nora mises à part. Mais Violette avait déjà bien donné, et Nora avait un bien trop fort caractère pour que qui que ce soit n'ose venir l'embêter avec ça. Il ne restait donc que moi. J'étais d'ailleurs étonnée que Rosalya ne se soit pas lancée plus tôt dans la bataille, et Nora devrait rejoindre le mouvement assez rapidement. Dans le pire des cas, je leur inventerais un mystérieux inconnu, ça les éloignerait suffisamment pour que j'ai la paix.

- T'es vraiment sans cœur... exagéra Alexy en portant une main à sa bouche. Castiel à peine installé aux Etats-Unis, tu veux déjà le remplacer... Mais non. Castiel et Mélodie, ça ne s'abandonne pas comme ça !
- T'es complètement siphonné mon pauvre.


Et alors que je m'apprêtais à les foutre dehors, j'entendis quelqu'un toquer faiblement à la porte. Une petite tignasse blonde s'immisça par l'embrasure avec une mine déconfite.

- Je peux entrer ? nous questionna Samuel de sa toute petite voix.
- Bien sûr bonhomme ! Viens avec nous ! lui autorisa Véra un grand sourire aux lèvres.


Il fit son entrée en sautillant jusqu'à mon lit où il se posta en face avatn de reprendre la parole :

- Je pars aujourd'hui ! nous annonça-t-il tout fier de lui. J'suis venu dire au revoir à Mél.

Il était passé me voir hier pour m'annoncer la bonne nouvelle, il commençait à sérieusement tourner en rond dans sa chambre. Il semblait maintenant être redevenu cette boule d'énergie des premiers jours où je l'avais rencontré. Je lui tendis mes bras avec un sourire et il vint s'y engouffrer en riant.

- Tu vas pas t'ennuyer toute seule ? s'enquit-il la tête dans mes cheveux.

Je haussai les épaules en guise de réponse en caressant doucement ses beaux cheveux à la couleur du blé.

- T'inquiètes, on sera là nous ! le rassura Alexy dans mon dos.
- Elle ne risque pas de s'ennuyer, je t'assure, ajouta Véra avec un sourire qui n'augurait rien de bon.


Samuel s'écarta de mon étreinte en faisant une petite moue attristée. Je savais ce qu'il pensait, nous nous voyions tous les jours depuis deux semaines, cette séparation n'allait pas être agréable. Surtout que j'en avais marre, des séparations. Heureusement, il fut très rapidement distrait par le magazine de jeux vidéo qu'Armin avait apparemment oublié tout à l'heure. Il s'installa dans un des fauteuils un peu plus loin.

- Il est à croquer ce gamin, fit remarquer Véra en l'observant.
- Mollo la cougar, se moqua Alexy en lui filant un coup de coude.
- Excusez-moi ? fit soudainement une voix depuis la porte.


Chacun se retourna pour observer le nouveau venu. Je reconnus immédiatement le grand frère de Samuel qui était déjà passé plusieurs fois. L'air de famille était indéniable, blond, yeux bleus, et deux fossettes au coin des lèvres.

- Bonjour tout le monde, nous salua-t-il avant de reporter son attention sur son frère. T'étais là petite canaille ?
- Gaspard ! s'exclama Samuel en reposant son magazine pour sauter dans les bras du grand blond.
- Doucement, tu commences vraiment à peser lourd maintenant, protesta-t-il.


Les deux frangins se saluaient gaiement lorsque Véra me pinça soudainement violemment l'avant-bras. Je couinai et la regardai avec étonnement. Elle me fit des signes peu discrets en direction de Gaspard avec un air lourd de sous-entendu. Je claquai ma langue contre mon palais pour lui signifier mon mécontentement. Je m'attendais à recevoir un peu de soutien de la part d'Alexy mais ce dernier était plongé dans la contemplation du frère de Samuel.

- Désolée Mél, je soutiens Véra sur ce coup, il est carrément canon, chuchota-t-il sans le lâcher des yeux.

Gaspard et Samuel venaient de finir de se battre et ils s'approchèrent tous les deux de notre groupe.

- Mélodie, ma mère tenait absolument à ce que je te donne ça, me lança Gaspard en me présentant une boîte carré. Pour te remercier de l'aide que tu as apporté à Sam pour ses devoirs.

Je me mis immédiatement à rougir. J'étais toujours gênée de recevoir des cadeaux, et surtout quand j'avais l'impression de ne pas spécialement les mériter. Je tentai de lui indiquer que cela n'était pas nécessaire mais il le déposa d'un air décidé sur mes draps.
Je me saisis alors de la petite boîte en carton à la forme rectangulaire. Je tirai délicatement sur le ruban rouge qui la refermait. J'ouvris avec mille précautions leur présent et découvris avec surprise son contenu : il y avait trois bougies dans des tons rosés absolument adorables.

- Sam a dit à ma mère que tu détestais l'odeur à l'hôpital. Du coup elle a pensé que ça t'aiderait peut-être à mieux supporter les trois prochaines semaines ! Il y en a une à la vanille, une à la rose et la dernière à... hum... un truc en l... Mince, j'ai oublié. Ma mère va me tuer elle a passé dix minutes à me le répéter en boucle !
- Oh c'est pas grave ! Si ça te revient tu pourras toujours repasser ! proposa Véra alors que je lui faisais les gros yeux.


Je vais l'étriper. La découper en morceaux. Et jeter son corps dans la rivière parce qu'elle ne mérite pas de sépulture décente.

- Ouais bien sûr ! approuva Gaspard. Sam, tu vas préparer tes affaires ? C'est moi qui te ramène à la maison.
- Tu sais conduire ? le questionna Véra en minaudant légèrement.
- J'ai eu mon permis il y a deux mois, lui apprit-il en regardant son frère quitter la chambre à toute vitesse.


Véra profita que Gaspard ait le dos tourné pour me faire deux pouces levés en signe de victoire. Apparemment, avoir son permis constituait le meilleur point positif qu'il aurait pu lui sortir. Bon sang, parfois je ne comprenais pas ce qu'elle avait en commun avec Armin, dont ses seuls contacts avec un volant se limitaient à ceux sur sa PSP.

- C'est cool, renchérit Alexy. Du coup t'es étudiant ?
- Ouais, première année d'école de commerce. Et vous vous êtes en dernière année de lycée comme Mélodie ?
- Oui ! Même s'il faut avouer que Mélodie est laaaargement meilleure que nous au lycée. C'est qu'elle en a là-dedans, ajouta Alexy en passant une main dans mes cheveux tendrement.
- Je n'en doute pas. Du coup, vous êtes en couple tous les deux ? s'interrogea Gaspard en nous indiquant Alexy et moi d'un coup de tête.


Le jumeau, Véra et moi échangèrent un court regard surpris avant d'exploser de rire. Alexy et moi en couple ? La meilleure blague du siècle !

- Ahhh, bon sang t'as le sens de l'humour toi, réussit finalement à dire Alexy après s'être calmé. Je suis gay. 100% gay. Une Mélodie à poil ça m'excite autant qu'un labrador pissant sur un réverbère. Ceci dit, si je ne l'étais pas, ce serait, pour sûr, la première fille que j'aimerais me taper dans mes connaissances. Un vrai canon.

Et zut. Je me cachai le visage entre mes mains, totalement humiliée par le comportement de mes deux amis qui me donnaient l'impression d'essayer de me vendre au plus offrant. Gaspard semblait lui aussi légèrement gêné et se gratta la nuque sans trop savoir quoi répondre.

- Alexy ? gronda Véra avec un regard appuyé menaçant. Tu m'accompagnes aux toilettes s'il te plaît ?
- Même pas en rêve, il y a de la queue, ça pue, et tu mets toujours trois heures.
- Si. Maintenant, insista-t-elle d'une voix grave en le saisissant par la manche.
- A l'aide ! Tentative de viol sur gay inoffensif ! hurla ce dernier alors qu'elle le traînait de force vers la sortie.


Nous les observâmes silencieusement quitter la pièce et un silence gênant s'installa.

- Euh... Je ferais mieux de retourner aider Sam, finit-il par dire. Tu diras au revoir à tes potes de ma part !

Je le saluai de la main alors qu'il prenait à son tour la direction de la sortie. J'avais envie de me terrer sous mes couettes pour me remettre du terrible aperçu de ses prochains mois qu'ils venaient de me faire voir. Note pour moi-même : ne jamais leur présenter le garçon qui me plaît. Et alors que je m'apprêtai à tirer mon portable pour faire une partie de Plantes vs Zombies en attendant les deux zigotos, un raclement de gorge se fit entendre dans la pièce.
Je relevai les yeux, et vit Gaspard se tenant à nouveau devant la porte.

- Au faite, j'ai oublié... reprit-il d'une voix plutôt hésitante. Je voulais savoir si t'acceptais de me donner ton numéro de téléphone ? Ca pourrait être sympa pour mon frère, il t'apprécie vraiment beaucoup.

Je le regardais, incapable de répondre positivement ou négativement. Etait-il en train de me draguer ou était-ce réellement avec une totale innocence qu'il le proposait pour Samuel ?
Je restai alors là, totalement pétrifiée. Et je me mis instinctivement à penser à Castiel. Que ferait-il à ma place ? Et cette chanteuse, est-ce que ce n'était vraiment pas son genre ? J'aurais tellement préféré que ce soit lui, devant cette porte, à me regarder et à me demander mon numéro comme si nous n'avions pas vécu tout cela. Allait-il m'attendre pendant tout ce temps ? Allait-il ne serait-ce que revenir ? Vu les nouvelles de lui que je recevais de Lysandre, Matt, Nora et Véra, ses premières expériences en Amérique avaient été juste incroyables. Et s'il ne me fallait pas tout simplement passer à autre chose ?

*** Un an plus tard ***

- T'es en retard ! grommelai-je alors que Matt venait de faire son entrée dans le café.
- Désolé Méli-Mélo, mon métro est resté coincé sur les rames, me balança-t-il en déposant un baiser sur ma joue droite.
- Ah oui ? Donc c'est pas du tout parce que t'étais en train de discuter avec une jolie fille dans la rue ? m'enquis-je avec un sourire diabolique.
- Merde, tu pouvais me voir de là ? s'exclama-t-il en jetant un coup d'œil par les baies vitrées de la brasserie. C'est pas de ma faute si j'ai un charme irrésistible qui fait arrêter toutes les nanas !
- Tellement irrésistible que tu es toujours célibataire, répliquai-je en levant les yeux au ciel.
- Tout comme toi poupée. Et je ne vais quand même pas me caser avec une fille, ça briserait le cœur de toutes les femmes du monde. De toute manière, je t'avais pas dit que ce serait toi et moi pour la vie ?
- Pourvu que ma vie soit courte ! me moquai-je.


Il prit place sur le siège en face et consulta la carte rapidement. Le serveur vint prendre nos commandes : un thé verveine pour moi et un café pour Matt.

- Bon alors, quoi de neuf ? T'aimes toujours autant tes cours ? me questionna-t-il en posant ses coudes sur la table.
- Oui toujours ! En ce moment on étudie un peu la psychologie, c'est super intéressant.
- Halala... Mélodie professeur des écoles ! Qui l'eût cru ! Pas ton père en tout cas, s'exclama-t-il. Je crois qu'il a toujours pas digéré le fait que tu brises son rêve d'école d'ingénieur...
- Il s'y fera ! Il a bien vu comme j'avais adoré m'occuper de Samuel après mon retour de l'hôpital.


J'avais quitté l'hôpital mi-mai de l'année dernière, totalement épuisée et lasse. Je m'étais tellement ennuyée que j'avais entièrement étudié tous mes prépabacs. J'avais touché le fond. Les médecins m'interdisaient pourtant encore de retourner à l'école. Ayant gardé le numéro de Gaspard, sa mère m'avait rapidement contactée pour savoir si j'étais intéressée par l'idée de venir aider Samuel à faire ses devoirs après les cours, en échange d'une rémunération. J'avais bondi sur l'occasion, et j'avais totalement adoré. Et l'idée d'en faire mon métier s'était doucement immiscée dans mon esprit.

- Et moi qui pensais que tu adorais ça à cause de Gaspard, se moqua-t-il en levant ostensiblement les sourcils.
- Tais-toi un peu.
- Désolé, sujet encore sensible à ce que je vois, nota-t-il.
- Raconte-moi plutôt un peu comment se passe tes cours à toi, relançai-je.
- Franchement, j'adore. On travaille le marketting, la compta, et on fait la fête : que demande le peuple sérieusement ? Mais bon, mes vieux potes me manquent un peu. D'ailleurs, faut que je te parle d'un truc. Tu viens toujours à ma soirée de ce week-end ?
- Carrément ! m'exclamai-je. C'est une bonne occasion de revoir tout le monde, et puis je me suis plutôt bien entendue avec ton amie Alexia, ça va être sympa de la revoir.
- Tu me promets que tu viens ? Quoi qu'il arrive ? insista-t-il en me faisant un regard suppliant.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? devinai-je en lui lançant un regard las. T'as fait quoi encore ? Ne me dis pas que tu as dit à Rosalya et à Alexy qu'il y avait un dress code !
- Non, non, t'y es pas. C'est juste que ce week-end, Castiel rentre sur Paris, m'annonça-t-il en observant ma réaction.


Cette annonce me fit l'effet d'un coup de poing au ventre. C'était la troisième fois qu'il revenait en France, et il n'avait jamais repris contact avec moi. J'avais toujours appris ses voyages qu'une seule fois qu'il était reparti. Il prenait bien soin de revoir tout le monde, à part moi. Ca me rendait folle de rage, mais aussi triste. Personne n'avait voulu m'expliquer, ou alors il n'y avait tout simplement pas d'explication.
Je n'avais pas pu m'empêcher de suivre son parcours à travers les journaux, j'avais même mis une alarme google à son nom. Pour vous dire à quel point je suis folle. Son groupe de rock se débrouillait très bien, les albums se vendaient et la musique correspondait en tout point à ce que Castiel appréciait. Il avait réussi son pari, plus que réussi même.
Je détestais réellement cette situation que je m'infligeais toute seule, de vouloir satisfaire cette curiosité malsaine de le suivre constamment dans son évolution. Je devais supporter son visage à la télévision, dans les journaux et sur internet, et j'en redemendais. Iris me trouvait totalement masochiste, et je ne pouvais pas lui donner tort.
J'avais vu cette année défiler et la notoriété de son groupe s'envoler soudainement. J'avais suivi ces histoires de cœur avec telle ou telle fille, j'avais vu des clichés de lui bourré sortant de boîte, j'avais lu des rumeurs sur sa possible homosexualité, ou encore découvert des tests de « connais-tu bien Castiel ? » ou encore « Es-tu faite pour lui ? ». J'avais eu 9/20 au premier, et un « potentiel rencard » sur le deuxième. Même Alexy avait fait plus que moi.
Seulement, depuis quelques mois, cette omniprésence-absence dans ma vie ne me posait plus de problème, j'avais enfin réussi à arrêter d'espérer comme une imbécile son retour. Je savais qu'il ne voulait pas me voir.

- Matt... Je sais pas... finis-je par répondre en détournant le regard.
- Ca remonte à un an Mél ! Va bien falloir que vous vous reparliez un jour ! C'est mon meilleur pote et celui ton frangin. En plus, il est riche maintenant et du coup c'est lui qui paye l'alcool. Je peux pas lui dire de pas venir rien que pour ça.
- Il sait que je suis là ? l'interrogeai-je en détestant plus que tout sentir mon pouls s'accélérer.
- Ouais. J'ai vu ça avec lui, il s'en fout, me répondit-il.
- Tu rigoles ?! m'écriai-je. Il m'évite depuis un an et tu me dis qu'il s'en fout ?


Aïe. Ca faisait vraiment mal. Je détestais toujours autant l'indifférence chez Castiel.

- Ecoute, s'il t'a évité, c'est qu'il avait sûrement ses raisons ! finit-il par lancer en insistant sur le mot « sûrement ». Et ce même si ses meilleurs potes lui ont bien précisé que c'était totalement con. Mais là, sérieux, vous commencez à me gaver. Je fais une fête : il vient, tu viens, fin de l'histoire. Et t'as qu'à l'ignorer. La seule chose à laquelle tu dois penser : c'est de me ramener tes cookies, tu sais combien je les adore !

Je lâchai un profond soupir alors que le serveur déposait nos commandes sur la table.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant