-Je suis tellement désolée Mélodie ! Si tu savais ! Couinait Sue en se confondant en excuses.
En attendant c'est pas toi qui te retrouve collée ! Voulus-je lui balancer.
-J'ai essayé d'expliquer à la directrice que c'était entièrement ma faute, mais elle ne m'a pas écoutée... Elle a dit que tu étais responsable en tant que déléguée. Mais c'est faux, c'est moi la responsable. Je suis tellement désolée ! Est-ce que tu me pardonnes ? Tu me détestes, hein ? Tu m'en veux comment sur une échelle de 1 à 10 ?
Je la regardais, partagée entre l'exaspération et la colère. Oui, Sue, je t'en veux. Mais pas pour cette foutue heure de colle (ou du moins, pas seulement). Je t'en veux d'avoir débarquée dans ce lycée. Je ne peux pas te dire pourquoi, même à moi-même je refuse encore de l'admettre. Tu as réussi là où j'ai échoué. Nathaniel te regarde comme il ne m'a jamais regardé. Et ça, je n'arrive pas à l'accepter. Ca me détruit intérieurement.
-Non, c'est bon. C'est qu'une heure de colle, marmonnai-je en m'éclipsant sans lui laisser le temps de répliquer.
Même si cette discussion avec Sue s'était avérée plutôt agaçante, il me fallait maintenant faire face à quelque chose de bien plus effrayant et dangereux. Il allait falloir l'annoncer à mon père. Mon père à qui je n'avais jamais ramené de mauvaises notes, qui n'avait jamais dû me punir ou me priver de sortie parce que je m'étais mal comportée, mon père à qui je n'oserai jamais répondre.
En sortant du lycée à la fin de la journée, je faisais pas la fière. Ca, je peux vous le dire.
***
-Pardon ? répéta mon père pour la troisième fois.
-Euh... Il-Il faut que tu signes ce papier, tentai-je à nouveau en montrant du doigt le morceau de feuille rectangulaire. J'ai été collé.
-Mélodie, c'est une blague ? Dis-moi que c'est une plaisanterie.
Je me mordis l'intérieur de la joue.
A TON AVIS PAPA ?! Est-ce que je serais assez stupide pour te faire une blague de si mauvais goût ? Il s'attendait à quoi au juste ? Que je lui réponde un « Oui, haha, c'est drôle hein ? LOL » ?
-Qu'est-ce qui s'est passé ? reprit mon père d'un ton plus dur en voyant que je n'osais pas lui répondre.
-Je devais finaliser l'inscription d'une fille et... Disons que ça ne s'est jamais « finalisé ». Elle a oublié de rendre les papiers en temps et en heure.
-Donc, attends. Si je récapitule : tu as été collé parce qu'une nouvelle n'a pas rendu ses papiers à l'heure ?
Je déglutis péniblement.
Avant d'entamer cette discussion, j'avais pris une certaine distance de sécurité, pour être sûre qu'en cas d'explosion de sa part, je sois prête à courir vers la porte d'entrée pour m'échapper et partir vivre chez les esquimaux. Je me remerciai intérieurement d'y avoir pensé car il faisait sa tête des mauvais jours. Ce qui n'augurait rien de bon.
Je hochai la tête lentement, en imaginant le pire.
Et là, sans que je comprenne, il se mit brusquement à rire. Et pas un petit gloussement, non, non, un vrai rire de malade mental. Je le regardai, interloquée, sans trop savoir si je devais partager son hilarité pour éviter de me faire tirer les bretelles ou si je devais fuir en courant parce qu'il allait m'étriper.
-C'est la chose la plus ridicule que j'aie jamais entendu ! Finit-il par dire en essuyant ses larmes. Tu m'as fait peur, j'ai cru que tu avais fait une vraie bêtise ! Non, tout va bien, c'est toujours ma petite Mélodie.
Je le regardai quelques instants, un peu perdue, et je ne sais pas trop pourquoi mais je sentis monter en moi une colère indescriptible. J'aurais dû être heureuse, après tout, il ne m'avait pas disputé, ne m'avait pas sermonné, rien. Mais je ne pouvais m'empêcher d'être folle de rage, il ne me verrait jamais autrement qu'une fille sage et soumise qui n'était rien foutue de faire de sa vie à part ses devoirs et écouter son cher papa. Une machine en somme.
C'est incroyable comme ce genre de phrases, qui sorti de son contexte peut sembler sympathique et plutôt agréable à entendre, pouvait personnellement me miner totalement le moral. Mon père avait un don pour poser sur mes épaules des contraintes infernales, et sans même s'en rendre compte.
Je ne serai plus sa Mélodie le jour où je ferai des bêtises, cela va de soi. Et de toute façon, l'idée même de m'imaginer faire des vraies bêtises était tout bonnement ridicule, absurde. La Mélodie telle qu'on la connaît ne fait pas de conneries. Ce serait comme de voir de la neige au printemps, cela n'aurait aucun sens.
Mais que pouvais-je lui dire pour y remédier ? Qu'il faudrait bien qu'un jour j'échoue, que je me trompe, que je me fourvoie ? Je n'aurais pas supporté de lire la déception dans ses yeux. Impuissante, je lui répondis par un « Oui, papa » très faible avant de disparaître à l'étage, en faisant mon possible pour ne pas montrer mes émotions. Et pourtant, je ne pus m'empêcher de m'en vouloir. Cette situation ne pourrait pas durer ad vitam aeternam.
Je me mordis la lèvre. Je n'aurais jamais dû lui en parler. J'aurais dû imiter sa signature sur le papier de mon heure de colle. Il aurait eu une bonne raison de s'énerver, et moi aussi.
***
-Attends, attends. Je reprends. Tu es énervée que ton père ne t'ait pas disputé pour ton heure de colle ? s'étonna Iris. Vraiment ?
J'avais tenté d'expliquer à ma meilleure amie, qui avait gentiment accepté de m'accompagner jusqu'à la salle où se déroulerait mon heure de colle, ma frustration mais je savais au fond de moi qu'elle ne pourrait pas saisir. Sa famille était compréhensive, drôle, tolérante et stricte juste comme il le fallait.
Mon père quant à lui avait beaucoup trop de mal à accepter les échecs, et les miens en particulier.
-Non ! Je suis énervée qu'il me prenne toujours pour Miss-Parfaite !
-C'est pas ce que tu veux qu'il pense ? me questionna Iris toujours songeuse.
-Non ! Enfin, si... Je sais plus trop en fait...
-Ecoute, si un jour l'idée te vient de faire une méga super connerie pour le foutre en rogne. Préviens-moi s'il te plaît, que je participe !
Je levai les yeux au ciel, Iris ne changera jamais ! Je la saluai brièvement et la remerciai pour son soutien avant d'entrer dans le lycée. Un mercredi après-midi. Pour la première fois de ma vie. Et pour une raison plus qu'idiote.
Et le pire dans tout ça : j'avais oublié de demander à Lysandre de m'enregistrer « Nouveau Look pour une Nouvelle vie ».
C'est en me frottant le front devant mon cruel manque de perspicacité que je pénétrai dans la longue pièce aux murs gris taupe et au carrelage blanc cassé. Une dizaine de tables et de chaises basiques avaient été installées. Elles étaient séparées d'un mètre chacune, pour éviter sans nul doute les bavardages.
Je regardai mes compagnons d'infortune, je n'en connaissais qu'un seul sur les cinq présents. Cependant, en tant qu'assistante déléguée, les autres élèves étaient supposés me connaître. Je déglutis péniblement. J'appréhendais de donner une mauvaise image de moi en venant ici. Même si j'aurais aimé que ce soit le cadet de mes soucis.
Le seul visage qui m'était familier dans la salle appartenait à un gars de l'équipe de basket, il s'appelait Brian si je m'en souviens bien, et s'était installé au premier rang.
Ne le connaissant pas et ne me sentant pas d'humeur à faire « ami-ami » aujourd'hui, je décidai de rompre mes habitudes et de m'installer tout au fond de la salle.
Les autres élèves me suivirent du regard et me regardaient avec étonnement, comme s'ils ne s'attendaient absolument pas à ce que je m'installe réellement avec eux dans la salle.
Non mais attends, ne me dis pas qu'ils pensaient que c'était moi qui allait les surveiller ?! A voir leurs têtes surprises, cette hypothèse paraissait plus crédible que l'éventualité que je me sois en effet prise comme eux une heure de colle.
Leurs doutes furent définitivement évaporés lorsqu'un adulte fit son entrée dans la salle, des copies sous le bras.
-Bonjour tout le monde ! lança Monsieur Grimm, un des surveillants du bahut. C'est moi qui suis responsable de vous aujourd'hui. Je vous ai concocté un travail à faire pour vous occuper pendant les quatre heures à venir. Je vais vous demander de me...
Il fut interrompu par l'ouverture brutale et fracassante de la double porte métallique de la salle. Je vis alors un gars aux cheveux rouges faire son entrée.
Oh non. Non. Non. Non. Non ! Et re-non !
-Bien belle journée, pas vrai Carl ? lança d'un air faussement joyeux Castiel tout en tapotant l'épaule du surveillant.
Ce dernier leva ostensiblement les yeux au ciel, ne paraissant pas spécialement ravi de voir le rebelle aujourd'hui. En effet, Castiel prenait toujours un grand plaisir à se foutre royalement de son autorité. Monsieur Grimm ne prit d'ailleurs même pas la peine de lui répondre et attendit sagement que le rouquin parte s'installer à sa place.
Castiel portait un jean délavé parsemé de trous et une grande chemise à carreau rouge de bûcheron qu'il avait laissé ouverte sur son débardeur noir, où était inscrit un « We will rock you » en lettres blanches. Sans surprise, il avait ses rangers à ses pieds.
Il s'avança dans le fond, bien entendu (il fait acte de présence, faut pas trop lui en demander non plus), et m'aperçut. Son visage se décomposa quelques instants sous l'effet de la surprise avant que son sourire moqueur ne vienne y faire son grand retour. Et bien entendu, le sale bougre vint s'installer à la table juste à côté de la mienne.
-Salut Mél', eh bah dis donc, la petite fille à papa fait des bêtises ?
Je lui jetai un regard mauvais en guise de réponse et décidai de l'ignorer. Le mépris est toujours la meilleure des attaques.
Enfin, apparemment pas pour Castiel puisqu'il se mit à rire bruyamment sans raison. Bon Dieu, il est en forme ! Qu'est-ce qui peut le rendre de si bonne humeur ? D'habitude il se contentait de ruminer dans son coin, de râler contre le monde entier...
-C'est pas bientôt fini Greenberg ? s'emporta le surveillant en rougissant sous la colère. Vous n'allez pas recommencer ! J'attends de vous un comportement irréprochable aujourd'hui, vous m'entendez ?
-Êtes-vous en train d'insinuer que mon comportement n'est pas toujours irréprochable Carl ? fit mine de s'offusquer Castiel en prenant une moue triste.
-Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi, le prévint Monsieur Grimm sévèrement. Bon, qu'est-ce que je disais moi ? Ah oui ! Avant que vous nous fassiez l'honneur de votre présence, je m'apprêtais à informer vos camarades de ce qui va vous occuper pendant ces quatre heures. Je vais vous demander d'expliquer en plusieurs pages la raison de votre présence en ces lieux, si vous trouvez que cette présence est justifiée et si cette heure de colle vous servira de leçon.
Facile. Je pourrais faire une dissertation qui tienne sur une ligne : Sue. Non. Oui : ne jamais faire confiance à la première blonde venue.
-Je vais m'installer dans le bureau d'à côté. Si j'entends ne serait-ce qu'un seul bruit, une porte qui claque, une personne qui se lève, je vous remets une heure de colle la semaine prochaine, c'est clair ?
Il pointa son index en particulier dans la direction de Castiel et resta dans cette position quelques longues secondes, comme s'il le défiait de remettre en doute sa parole. Il finit par se lasser et quitta la pièce de retenue en tapant des pieds.
-Il m'adore en vrai, me chuchota Castiel alors que je sortais ma trousse de mon sac.
Je vais l'ignorer. Tout simplement. Il finira bien par arrêter de me parler. Mais oui, il va se lasser.
-Laisse-moi deviner ! La directrice t'a chopée en train de faire des cochonneries avec l'autre guignol de délégué ? Non, impossible. Il serait là aussi sinon. Humm... A moins que ce ne soit avec un prof ? Ce qui expliquerait tes bonnes notes...
Je pris mon stylo à bille bleu dans ma main et tentai de commencer à rédiger ma dissertation malgré la voix exaspérante de Castiel en arrière-plan. Je le mordillai durement pour tenter de calmer mes nerfs sur quelque chose d'autre que mon voisin.
-Allez ! Dis-le-moi et je la ferme ! insista-t-il en approchant son visage du mien avec son fameux sourire aux lèvres.
Il avait posé ses coudes sur les rebords de la table pour prendre appui et approcher au maximum sa tête de la mienne. Je sentais son souffle chaud sur ma joue gauche, mes cheveux volant légèrement à chacune de ses respirations.
Quand je pris la décision de lui faire face, sa proximité me perturba. Pourquoi fallait-il que ce gros nigaud me regarde de la sorte ?
Je plongeai mes yeux dans ses prunelles grises, le défiant de baisser le regard. Il ne le fit pas.
-Et toi alors ? Pourquoi t'es là ? le questionnai-je en prenant un air agacé.
-Mercredi dernier, Carl m'a dit que si j'enlevais pas mes chaussures de la table, il me refilait un ticket gratos pour la colle de la semaine suivante. Je lui ai répondu « même pas cap ». Et bah parfois j'me dis que je ferai mieux de fermer ma gueule ! A toi maintenant !
-Sue a oublié de rendre son inscription et la directrice m'a désignée comme fautive.
-Attends, t'es collée à cause de Sue ? T'es vraiment une victime ma pauvre !
-Je croyais que t'allais te taire maintenant ? m'exaspérai-je en me pinçant l'arête du nez sous l'agacement (voilà que je reprends les tics de Nathaniel maintenant !).
-Mouais, je suis plutôt d'humeur bavarde aujourd'hui. C'est pas souvent alors j'en profite !
Quel abruti.
Je repris sagement la rédaction de ma dissertation, en balançant des phrases types pour en finir au plus vite avec cette histoire et piquer un petit somme.
Castiel, de son côté, ne paraissait absolument pas disposé à rédiger quoi que ce soit. Il avait posé négligemment ses pieds sur la table (la leçon de Carl n'ayant apparemment pas porté ses fruits), avait croisé ses bras et regardait dans le vide d'un air pensif avec les sourcils froncés.
Je ne pus qu'essayer d'imaginer ce qui était en train de se passer dans son esprit de suppôt de Satan : « Que vais-je encore pouvoir inventer pour faire chier le monde ? », « Bordel, ce serait drôle de faire brûler un truc », « Comment réussir à braver encore plus l'autorité ? » ou encore « Et dis donc, il y a pas une meuf bonne avec qui je peux passer du bon temps dans les toilettes ? ».
Je frémis. Mauvais plan d'essayer de se mettre à la place de ce dégénéré mental.
Je me replongeai dans mon travail. Je dois avouer que je commençais à m'inquiéter, j'avais déjà écrit toute une page et seulement vingt minutes s'étaient écoulées. Qu'allais-je donc pouvoir faire pendant quatre heures ?
-Je pense mériter ma punition, j'aurais dû me sentir plus responsable de l'inscription de ma camarade de classe, récita Castiel en prenant une voix aigüe et exécrable.
Cet espèce de connard était en train de lire par-dessus mon épaule, je le repoussai violemment de mon bras gauche.
-Qu'est-ce que tu peux être ennuyante, se plaignit-il en croisant à nouveau les bras. Même en retenue il faut que tu fasses ta lèche-cul. T'es un gros cliché, Mélodie. Ca t'arrives jamais de péter les plombs ? Qu'est-ce qu'on doit se faire chier quand on est toi ! Ta petite vie parfaite, ton petit papa qui t'embrasse en rentrant à la maison, tes notes jamais en-dessous de quinze, pas un pas de travers, tes fringues de bourge. Je suis sûre que t'es vierge en plus. T'es vierge hein ?
Je manquai de tomber de ma chaise. Une envie de meurtre me serra l'estomac.
D'habitude, j'arrivais facilement à contenir mon agacement parce qu'après tout, ça ne valait pas la peine de s'énerver avec lui. Je me contentais de rabattre le clapet de mon côté impulsif et perpétuellement en colère pour laisser mon côté plus raisonnable prendre le dessus. Mais là, ce n'était pas exactement « comme d'habitude », j'étais excédée par l'accumulation de problèmes dans ma vie. Alors Castiel fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase déjà bien rempli.
-Tu peux m'expliquer pour qui tu te prends au juste ? m'emportai-je en lui balançant mon stylo dans la tronche.
-Aïe ! gémit-il en se frottant le nez. T'es malade ou quoi ?!
-T'es toujours en train de porter des jugements sur les autres, comme si tu portais la divine parole ! repris-je en ignorant ses plaintes. Mais laisse-moi te dire quelque chose mon pauvre vieux, tout le monde s'en carre totalement de ce que tu racontes. Et moi la première ! Tu passes ton temps à donner ton avis sur tout, sans jamais te remettre en question ! Tu veux que je te dise ce que je pense de toi à mon tour ?
-Bah vas-y, te gênes pas ! s'énerva-t-il finalement.
-Castiel Greenberg tu es le plus gros cliché de nous deux ! Tu passes ta vie à vouloir crier au monde entier que tu ne veux pas rentrer dans une case, que t'es bien trop indépendant pour ça, que tu vaux mieux que tout le monde. La vérité ? C'est que t'es étriqué dans ta case tout comme moi. Tu es le cliché de celui qui veut absolument agir en sens contraire de la société, de celui qui fait tout pour braver l'autorité et pour se faire remarquer, le cliché du bad boy, du marginal. C'est tout aussi pathétique !
Il avait les yeux grands écarquillés, comme s'il venait de voir une apparition divine. Un de ses sourcils était légèrement levé, sous l'incompréhension.
-T'as bouffé quoi ce matin ? Et puis c'est quoi toutes ces conneries que tu me sors là ? J'agis pas contre l'autorité, j'agis comme je l'entends. De toute façon, tu ne me connais pas, tu ne sais rien de ce que je suis réellement.
-Parce que tu me connais peut-être ?
-Arrête ton cirque ! Je suis pas un idiot ! Je vois très bien que tu es tout le temps dans la retenue, que tu fais toujours gaffe avant de parler. C'est comme si tu ne disais que la moitié des choses, que tu refusais de dire une autre partie de ta phrase. C'est assez mystérieux je dois dire, ajouta-t-il en passant sa main sur son menton. T'es naturelle seulement quand t'es bourrée ou que tu t'énerves.
-Et voilà que c'est toi qui te mets à raconter n'importe quoi ! lâchai-je nerveusement en déglutissant. Depuis quand tu philosophies sur les gens toi ?
Nom de Dieu, comment fait-il ? Je n'aurais jamais pu imaginer que Castiel observe un jour autre chose que le corps des jolies filles. Un Castiel perspicace ? Attentif ? J'avais une soudaine envie de rire.
-T'as quoi à me regarder comme ça ? râla-t-il en constatant mon étonnement.
-Tu me soules, j'ai encore le droit non ?! répliquai-je en serrant mon poing. T'as pas le monopole des emmerdeurs, si ?
-Tu sais que t'es sexy quand tu t'énerves ? Je devrais penser sérieusement à te mettre en colère plus souvent, t'en deviens presque intéressante, me dit-il en m'offrant un clin d'œil.
-La ferme à la fin ! criai-je en tapant sur ma table d'un coup sec.
-Non mais c'est quoi ce bazar ?! intervint Carl Grimm qui venait d'entrer dans la salle. GREENBERG TU TE TAIS MAINTENANT CA SUFFIT OU JE TE FOUS DANS MON BUREAU POUR COMPTER LES MOUCHES, C'EST CLAIR ?
-C'est elle qui a crié je te signale ! répondit-il en me désignant.
-Mais bien sûr, ça ressemble tellement à Mélodie ! ironisa le surveillant en levant les yeux au ciel. Plus un mot maintenant ou je te colle encore la semaine prochaine !
Il retourna dans son bureau d'un pas las sans même attendre la réplique de Castiel.
-C'est donc à ça que te sers ton double jeu alors ? s'enquit Castiel en passant outre la menace de Monsieur Grimm. Tu fais genre Miss-Parfaite pour pas avoir de problème ?
-Et toi alors ? Tu joues au beau gosse pour te convaincre que tu es séduisant ?
-A moins que ce ne soit pour plaire à ton cher délégué ? continua-t-il en m'ignorant. C'est vrai qu'il est à fond dans le fantasme de la petite secrétaire coincée... T'aimerais bien te le taper avoue ! Mais tu sais que tu vas finir par t'ennuyer avec lui ?
-C'est toi qui m'ennuie là ! Ferme-la et laisse-moi travailler !
Et à ma plus grande surprise, il m'écouta. Il reprit sa position initiale les pieds sur la table, les bras croisés, et releva légèrement la tête avant de fermer les yeux. J'avais enfin la paix.
Je me replongeai alors dans ma dissertation et continuais d'écrire l'exact opposé de ce que je pensais réellement. J'aurais voulu dire que ma punition était injuste, ou alors que Sue aurait dû être au moins collée avec moi, et au lieu de ça je me retrouvais à raconter que je l'avais mérité. Bordel, je m'exaspère toute seule parfois. Et si Castiel avait raison ? Et si je jouais le rôle de Miss-Parfaite pour de mauvaises raisons ?
J'observais le bad boy à la dérobée. Il devait s'être endormi.
Il aurait pu être mignon s'il n'était pas aussi insupportable. Ses traits étaient fins, il avait un long nez droit qui donnait de la rigueur à son visage, des lèvres roses délicates et ses cheveux longs lui donnaient un air de rockeur qui lui allait bien. Je n'étais pas fan de la couleur rouge mais bon, pourquoi pas ? Alexy s'était bien fait teindre les cheveux en bleu et Lysandre en blanc, on était plus à une excentricité près.
-Je rêve où tu me mates ? s'indigna-t-il sans même ouvrir les yeux.
-Pfff, ridicule, réfutai-je en détournant le regard.
***
-Tu peux arrêter s'il te plaît ? m'exaspérai-je.
Castiel tapait du pied de manière répétitive depuis cinq bonnes minutes, provoquant un son insupportable. Le bruit de son talon s'écrasant sur le carrelage gris était en train de me démolir le cerveau.
Il tenait dans sa main son briquet et s'amusait à l'allumer et l'éteindre, puis à enflammer une feuille blanche, ou à cramer le bout de ses lacets, faire des expériences sur ma gomme. Parfois je me demande très sincèrement ce qui se passe dans sa tête : simple déconnexion ou problème congénital ?
Allez, courage, dix minutes. Plus que dix minutes.
-Alors on redevient polie soudainement ? Tu veux pas me refaire le coup de Mélodie la sauvage sexy ?
-Tu me fatigues Castiel bon sang, gémis-je en me frictionnant les tempes pour sortir sa petite voix insupportable de ma tête. Tu veux pas t'occuper plutôt que de me casser les pieds ?
-Ca dépend, tu me proposes quoi pour « m'occuper » ? lança-t-il avec un sourire lourd de sous-entendus.
J'en peux plus. Un cri d'exaspération s'échappa de mes lèvres. C'est malheureusement le moment que choisit Carl pour revenir.
-Mélodie ! se surprit-il à dire. Greenberg disait donc quelque chose de vrai ?! C'est vous qui faîtes tout ce boucan depuis le début ?! C'est la cinquième fois que je viens demander le silence ! Vous pouvez d'ores et déjà réserver votre mercredi prochain. Vous êtes collée !
-Quoi ? m'insurgeai-je en ouvrant grand la bouche.
Non ! Tout sauf l'heure de colle ! C'est bon, j'avais donné, j'avais vécu cette expérience traumatisante d'un ennui presque mortel. J'avais compris le message : « pas de conneries ou vous finirez par écrire une dissertation toute pétée à côté d'un énergumène débordant d'inventivité pour rendre votre vie misérable ».
-Carl, tu me connais, je peux me montrer exaspérant hein ? dit soudainement Castiel.
Le surveillant ne répondit pas mais son regard en disait long sur le fond de sa pensée.
-Je l'ai juste poussé à bout, c'est tout. Je me fais chier sévère ici... C'est la quinzième fois que tu donnes la même dissertation.
-Bon, vous me fatiguez ! Tout le monde, dehors ! Je veux plus vous voir !
-Et... Et pour mon heure de colle ? insistai-je avec hésitation.
-J'ai dit que je voulais plus voir dans le coin ! gronda le surveillant en désignant la sortie.
Je ne me fis pas prier pour déguerpir, les autres non plus d'ailleurs. Chacun posa à son tour sa dissertation dans la main tendue du surveillant. Seul Castiel prit tout son temps, en affichant son éternel sourire en coin, et se permit même de lâcher un « à la semaine prochaine » avant de quitter la salle. Le surveillant ne tenta pas de savoir ce qu'il avait fait de sa « dissertation », c'était cause perdue.
Je décidai d'attendre Castiel dehors, voulant comprendre sa soudaine intervention en ma faveur.
-Tu m'expliques pourquoi tu m'as défendu ? m'enquis-je une fois qu'il passa à son tour la porte. C'est ta bonne action de l'année ?
-Va pas t'imaginer des trucs Mélodie, je voulais juste mettre Carl en rogne. Point barre.
Ca, en langage de Castiel, ça voulait dire : « pas la peine d'insister, tu peux toujours courir pour que je te réponde ». Je laissai alors tomber, peu désireuse de continuer ma conversation avec lui, et pris la direction de ma maison en marchant à un pas rapide. J'avais vraiment hâte de me vautrer dans mon canapé, des biscuits dans une main et la télécommande dans l'autre. Peut-être que Lysandre avait eu la brillante idée de m'enregistrer mon émission ? Qui sait, il a peut-être reçu un message du Saint-Esprit du style : « n'oublie pas de faire plaisir à ta demi-sœur » ?
La possibilité la plus probable était qu'il avait sans doute passé encore tout son après-midi à chercher son foutu carnet dans la maison.
***
-T'as passé toute ta retenue avec Castiel ? répéta Alexy avec un air ahuri.
-Non, pas vraiment. Disons qu'il a plutôt passé toute sa retenue à me taper sur le système.
-La chance... Il est devenu vachement sexy en vieillissant, tu trouves pas ? continua Alexy en posant sa tête sur son coude d'un air rêveur.
-Attends, attends. Castiel, c'est ton style ? m'indignai-je plus que surprise.
-Non, Kentin, c'est mon style, rectifia-t-il en plantant sa fourchette dans son steak. Castiel est plus... un fantasme.
Contente de le savoir.
Alexy ne se cachait jamais de son homosexualité, et je l'admirais d'avoir affronté le jugement des autres en se déclarant ouvertement attiré par les garçons. Cela lui valait parfois des moqueries, mais il paraissait s'en foutre comme de l'an 40. Ce mec est génial.
Je jetai malgré moi un regard vers la table de Lysandre et ses amis. Castiel était en train d'engloutir son hamburger et s'était fichu de la sauce tomate partout autour de la bouche. Il avait posé négligemment ses éternelles rangers marrons même pas lacées sur la chaise voisine.
Lui ? Un fantasme ? Sérieusement ? Ce type qui n'est pas foutu de manger correctement, qui passe son temps à râler et qui a le merveilleux talent de prendre des heures de colle à une vitesse plus élevée que celle de la lumière (c'est-à-dire 299 792 458 m/s) ?
-Mél', tu m'écoutes ? brailla Iris en secouant sa main devant mes yeux.
-Oui, oui pardon.
-J'ai réfléchi au plan parfait pour me rapprocher de Lysandre, annonça-t-elle fièrement.
-J'ai hâte d'entendre ça, assurai-je amusée.
-Moi aussi ! ironisa Armin en levant les yeux au ciel.
-Je vais organiser un pique-nique dans le parc ce samedi ! s'exclama-t-elle en ignorant les railleries du jumeau d'Alexy.
-J'vois pas le rapport, fit remarquer Kim la bouche pleine. Tu penses qu'il va te tomber dans les bras parce que tu lui auras concocté un petit sandwich aux crudités ?
-Mais non idiote ! Pour que mon plan machiavélique soit parfait, j'ai besoin de la complicité de Mélodie.
Super. Ca sent pas bon pour moi. Et je parle pas des brocolis dans mon assiette.
-Les garçons font leur répétition le samedi matin, c'est bien ça Mél' ?
-Ca, je peux t'assurer que je ne risque pas de l'oublier. Tu ne sais pas ce que c'est qu'un réveil brutal tant que tu n'as pas été tiré de ton sommeil par la chanson « Highway to hell » d'ACDC.
-Parfait ! s'enthousiasma-t-elle en tapant des mains. J'apporterai toute la nourriture à ta maison le matin discrètement. Ensuite, t'as juste à faire ta jouvencelle en détresse et te plaindre devant Lysandre que t'arriveras jamais à porter tout ça. Il se porte volontaire, ramène-le tout, on lui propose de rester et je finis la nuit avec lui !
-Non mais t'es au courant qu'il y aura Matt et Castiel ? l'informai-je.
-Qu'ils viennent aussi ! Comme ça Armin aura de la compagnie masculine pour une fois !
-T'es en train de dire que je ne suis pas une compagnie masculine ? s'offusqua Alexy.
-Une compagnie masculine autre que son frangin, rectifia Iris en souriant. T'es partante Mélodie ? Je t'ai réservé une surprise en plus...
-Ah oui ? m'étonnai-je en plaçant dans ma bouche, non sans me boucher le nez, un morceau de brocoli.
-J'ai invité Nathaniel ! Comme ça j'étais sûre que tu ne pourrais pas refuser ! conclut-elle fière d'elle.
Je manquai de recracher mon légume vert sur la tête d'Alexy, qui eût instinctivement un mouvement de recul. Kim dut me taper le dos (un peu plus fort que nécessaire) pour m'aider à retrouver une respiration régulière.
Qu'est-ce qui cloche chez ma meilleure amie ? Je lui ai pourtant expliqué ce qui s'était passé avec le délégué !
-Ce sera le parfait moment pour te rapprocher de lui, me chuchota-t-elle discrètement. Tu vas quand même pas laisser Sue te piquer ton mec pas vrai ?
Je dus reconnaître qu'elle n'avait pas entièrement tort. J'avais baissé les bras un peu trop facilement. Sue était là depuis seulement une semaine, je craquais sur lui depuis mes huit ans (c'est carrément désespérant quand j'y pense) ! Je l'avais vu la première et je comptais bien faire exercer mon droit.
Il fallait qu'il sache ce que je ressentais pour lui, quitte à détruire notre amitié. Je ne pouvais plus attendre patiemment qu'il décide à se bouger les fesses ou que Sue réussisse à mettre le grappin dessus, ce n'était pas digne de la Mélodie que j'aspirais secrètement devenir. Ou que j'étais peut-être déjà mais que je n'osais pas encore sortir du placard ?
C'est décidé, je vais parler à Nathaniel de mes sentiments. Au diable Sue, au diable cette peur qui me tiraille l'estomac, au diable les conséquences.
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Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipi
FanficMélodie est une adolescente pleine de complexe, trop sérieuse et obéissante. Rien d'étonnant quand on accepte des attentes toujours plus importantes et insurmontables. Tout dans sa vie semble programmé : la réussite, les études, un petit ami délégué...