Prologue

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7 juillet 2016.

Elle arrêta l'ordinateur, un sourire satisfait se dessinant sur son visage fin. Le message était envoyé, elle ne pouvait plus revenir en arrière, c'était certain, mais au fond, elle n'avait plus envie de reculer. Elle avait déjà trop attendu. Bien trop longtemps à son goût. Maintenant, les dés étaient lancés. Elle n'avait plus qu'à patienter. Elle était presque certaine que son message serait lu dans quelques heures. Elle avait enquêté sur son emploi du temps, et elle savait que bientôt, elle serait chez elle. Seule. Comme chaque soir, ou presque. Et bien entendu, elle jetterait un coup d'œil sur son réseau social préféré et elle trouverait son message. Elle ne savait pas comment elle réagirait, si elle y accorderait vraiment du crédit ou pas, mais elle espérait que la curiosité la pousserait à vouloir en savoir plus et à lui répondre. Et enfin, les choses sérieuses pourraient commencer. Elle se leva et quitta le siège confortable du bureau situé dans le salon. Pas un bruit ne se faisait entendre dans la maison, si ce n'est le vent qui venait souffler dans la toiture. Au début, lorsqu'elle s'était installée ici, elle se rappelait qu'elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, à cause du vent. Elle qui n'avait connu que les grandes villes, avec leurs bruits de circulations, les klaxons, les sirènes, elle s'était retrouvée chaque nuit, à redouter le silence que seul le vent venait troubler, comme un fantôme qui se baladait dans les combles. Et puis, après quelques mois, elle s'était surprise à s'être habituée à ce bruit, à l'attendre même, comme elle attendait, plus jeune, les chansons que celle qu'elle avait considéré comme sa mère lui chantait pour l'endormir.

Elle traversa le salon pour se rendre dans le vestibule et elle attrapa sa doudoune noire, accrochée au portemanteau de l'entrée, avant de l'enfiler. Il fallait qu'elle se dépêche. Personne ne devait savoir qu'elle avait passé toute la journée ici. Comme chaque soir depuis quelques semaines, elle rentrerait, après les autres, et partagerait avec eux un dîner réconfortant, en riant aux éclats autour de quelques verres de vin. Et puis, elle leur raconterait le détail de sa journée, leur parlant de cours auxquels elle n'allait jamais, de personnes qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam et d'un petit boulot qui lui permettait de payer son loyer auquel elle n'avait même jamais postulé. Voilà à quoi ressemblait sa vie en ce moment. Des mensonges, encore plus de mensonges. Et elle n'imaginait pas autre chose pour l'instant. La porte claqua derrière elle et elle inspira longuement, savourant chaque goulée d'air aux relents salés de l'océan. Habiter près de la mer était une chance, elle n'aurait jamais cru apprécier ça autant. Elle passa sa main dans ses cheveux roux, tentant de les garder en ordre tandis que le vent s'évertuait à la décoiffer, et elle se hâta de quitter la demeure avant que ses colocataires ne rentrent. Comme chaque soir depuis quelques semaines, elle allait faire le tour de la maison et s'éloigner à travers le chemin côtier, à l'opposé de la route qui ramenait ses colocataires de l'université de Galway. Elle appréciait cette balade et elle avait même trouvé un banc, à l'écart, planqué sous un saule pleureur où elle se réfugiait pour faire passer le temps. Elle s'installait là et elle regardait l'océan venir et s'en aller, les vagues se fracasser contre les falaises rocheuses. C'était un spectacle qui la fascinait et devant lequel elle pouvait rester sans se lasser, des heures durant.

Et puis, lorsque son téléphone lui indiquait par une alarme qui résonnait chaque soir qu'il était temps pour elle de rentrer, elle se levait et rebroussait chemin. Elle ne rencontrait quasiment personne sur ce chemin. Parfois, quelques joggeurs courageux, quelques promeneurs de chiens, mais c'était rare. Et puis, elle accélérait lorsqu'elle arrivait derrière la maison, longeant presque la grille pour se dissimuler derrière les haies pour être sûre que personne dans la maison ne la surprenne. Elle n'était pas censée rentrer par là. Elle ouvrait ensuite la porte et s'exclamait chaleureusement : « - Hey, je suis là ! ». Et puis, le bal des mensonges pouvait commencer.

Mais ce soir, ce fut différent. Ce soir, elle ne rebroussa pas chemin. Ce soir, elle ne poussa pas la porte du manoir comme tous les autres soirs. Ce soir, elle avait décidé de ne plus rentrer.

Liars, Liars Où les histoires vivent. Découvrez maintenant