Chapitre 2.

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Bizarrement, pour la première fois depuis bien longtemps, la journée de Shanleigh ne fut pas aussi abominable que les autres. Le message qu'elle avait trouvé sur Facebook la veille l'avait tellement perturbée qu'elle avait passé une bonne partie de la nuit à cogiter, incapable de trouver le sommeil. Si bien qu'à 4h du matin, abandonnant l'idée de dormir, elle s'était levée et elle avait fait le ménage intégral de son petit appartement avant de prendre un bon bain avec une tasse de chocolat chaud à la cannelle, son péché mignon. Du coup, la jeune femme avait passé la journée dans un état second, tantôt brumeuse, tantôt surexcitée par la caféine qu'elle avait absorbée tout au long de la journée, et elle était surtout restée complètement insensible aux piques de son boss. Chose qui n'arrivait quasiment jamais puisque la rouquine avait toujours du mal à garder les yeux secs quand il se montrait particulièrement cruel. Et devant le manque de réaction flagrant de son assistante, Graham Patterson avait finalement baissé les armes et s'était enfermé dans son bureau le reste de l'après-midi. Il n'avait daigné en sortir que pour lui réclamer un café, assorti d'un sourire presque naturel, et c'était tellement rare de voir sur son visage l'ébauche d'un sourire qu'elle avait failli tomber de sa chaise. Et lorsqu'à 17h30, il était venu la voir pour l'autoriser à sortir, lui qui avait plutôt l'habitude de la retenir tard, elle n'avait pas attendu qu'il se rende compte de l'humanité extraordinaire de laquelle il venait de faire preuve pour attraper ses affaires et filer en le remerciant d'un sourire ravi.

Car depuis ce matin, il fallait se l'avouer, elle n'avait pensé qu'à une chose : son rendez-vous de ce soir. Bien qu'elle continuait de se triturer la cervelle pour savoir si elle devait y aller ou pas, au fond, elle savait qu'elle ne raterait pas la chance de rencontrer sa jumelle. Peu de personnes avaient la chance de se voir soudain tomber du ciel une jumelle, et elle comptait bien en profiter. Elle avait tellement de questions à lui poser qu'elle ne savait même pas par où elle allait commencer. Et puis, elle était curieuse de savoir si elles se ressemblaient tant que ça. Leurs tâches de rousseur étaient-elles toutes similaires ? Leurs yeux avaient-ils la même couleur bleue tirant sur le gris avec quelques petits reflets mordorés entourant la pupille ? Tout comme elle, avait-elle un œil plus petit que l'autre ? Aimaient-elles les mêmes choses ou au contraire, étaient-elles totalement différentes ? C'est en se posant mille questions qu'elle finit par arriver à l'adresse que la jeune femme lui avait indiqué sur son message Facebook. Elle ne lui avait même pas répondu hier soir puisque de toute façon, elle aurait été incapable de dire si elle allait vraiment trouver le courage d'y aller.

Et pourtant, elle se retrouva finalement à l'adresse indiquée. Elle avait laissé son scooter à quelques rues d'ici puisque cette allée-là semblait être une impasse. Il n'y avait que cette maison qui trônait fièrement sur une falaise face à la mer, et rien que de la verdure, probablement de la bruyère, à perte de vue. Les autres maisons, plus contemporaines, elle les avait dépassées depuis un moment déjà puisqu'elle avait bien dû marcher plus d'un kilomètre pour atteindre l'adresse qu'elle avait noté précieusement sur un bout de papier. Elle resta un moment scotchée devant la grille en fer forgé noir rouillée qui protégeait la maison des regards indiscrets avec de grandes haies et puis, après avoir inspiré un bon coup, elle poussa finalement la porte qui grinça bruyamment. Elle avança dans l'allée où de mauvaises herbes se dessinaient à travers le chemin de cailloux négligemment tracé, sans refermer la grille, peu désireuse d'attirer l'attention. Elle sentait son estomac se contractait douloureusement et elle avait l'impression qu'elle allait vomir d'une minute à l'autre. Le manque de sommeil, le stress accumulé et le message de sa jumelle lui donnaient soudain l'impression de ne plus être vraiment connectée à la réalité. Et si tout ça n'était qu'un rêve ? Un bip sonore la tira brusquement de ses pensées : son téléphone. Elle attrapa le vieux portable qu'elle avait hérité de son grand frère, et elle fronça les sourcils en constatant qu'un numéro qu'elle ne connaissait pas venait de lui adresser un SMS. Tout comme le message Facebook d'hier, elle n'était pas habituée à ce que des personnes autres que son frère, son boss et ses quelques connaissances lui écrivent des messages. Elle déverrouilla le mobile et lança un coup d'œil au message.

De « Inconnu »

"Tu dois sûrement être presque arrivée ! Entre directement dans la maison, la porte est toujours ouverte. Je vais rentrer tard, alors laisse les croire que tu es moi, on va rire un peu comme ça. A très vite, j'ai hâte... Sio'"

La rouquine arqua les sourcils et une moue contrite se dessina sur son visage fin. Elle trouvait ça étrange que sa jumelle lui donne rendez-vous alors qu'elle n'était pas là, et pire qu'elle lui demande de s'amuser à prendre sa place. Comment diable pouvait-elle prendre sa place alors qu'elle ignorait tout d'elle ? Elle soupira doucement et elle tapota rapidement quelques mots qu'elle envoya à la jeune femme pour lui dire qu'elle allait donc pénétrer dans la maison pour l'attendre. La situation plus qu'inhabituelle la laissait perplexe, mais peut-être avait-elle été tout simplement retenue à son travail ? Si elle bossait bien sûr. Peut-être était-elle étudiante ? Elle rangea son téléphone au fond de son sac, et elle contempla finalement la maison qu'elle voyait mieux maintenant qu'elle avait pénétré dans le jardin de devant. C'était une maison de taille moyenne toute en pierre et sans doute assez vieille vu l'aspect usé de la toiture, du lierre qui grimpait un peu partout et des volets en bois bleu délavé. Elle aurait eu besoin d'un bon ravalement et d'un coup de neuf, mais bizarrement, Shanleigh lui trouva tout de suite un charme particulier. Une sorte d'attirance inexplicable pour cet endroit qui lui rappelait peut-être un peu la maison de ses grands-parents, le parfum de la tarte à la rhubarde de sa mamie et l'innocence de l'enfance, quand tout semblait facile. Elle esquissa un petit sourire et elle avança, arrivant finalement à la porte. Elle allait frapper par réflexe mais elle se rappela la demande de la jeune femme. Rentrer comme si elle était elle, comme si c'était chez elle. Elle attrapa la poignée ronde et la conserva un moment dans sa main, frissonnant au contact du métal froid. Elle tourna doucement, s'attendant presque à subir un blocage de la poignée qui indiquerait que la porte était en réalité fermée, mais non, c'était ouvert. Elle entrebâilla la porte, juste assez pour glisser une tête et savourer la chaleur qui semblait régner à l'intérieur. Après quelques secondes qui semblèrent durer des heures, elle poussa un bon coup, ouvrant totalement la porte et elle pénétra à l'intérieur, dans le hall. Des bruits de fond provenaient d'une pièce un peu plus loin, sur la droite, mais la porte était fermée donc elle ne parvenait qu'à entendre un semblant de discussions animées avec un fond sonore. De la musique celtique ? Du jazz ? Elle profita de ce dernier instant de répit pour jeter un coup d'œil curieux à l'intérieur de la maison, ou du moins à chaque coin qui s'offrait à son regard, curieuse de connaître l'environnement dans lequel vivait sa jumelle. La maison était chaleureuse, on le sentait de suite dès qu'on y pénétrait. Il y faisait bon à l'intérieur, une douche chaleur confortable qui lui donnait envie de se glisser dans un fauteuil moelleux et de bouquiner. Rien que ce détail suffisait à renforcer le sentiment qu'elle avait ressenti en apercevant cette maison, une sorte de bien-être qui l'avait envahie soudain. Les murs étaient décorés avec un papier peint clair parsemés de grosses roses colorées, sans doute aussi vieux que la maison elle-même. À gauche, un peu plus loin, une porte ouverte laissait entrevoir une cuisine qui semblait assez spacieuse, et une autre pièce à côté avait sa porte fermée. Et puis, il y avait sans doute le salon, là d'où venaient les bruits qu'elle distinguait. En face d'elle un escalier en bois sombre et en colimaçon grimpait à un étage au dessus, et juste à côté de l'escalier, il y avait un autre couloir assez étroit et sombre qui continuait au cœur de la maison. Peut être quelques chambres ou la salle de bains ? À côté d'elle, à ses pieds, un tapis multicolore immense trônait. C'était une sorte de patchwork composé de plusieurs morceaux de tissus de différentes couleurs et sur chaque morceaux, une empreinte de mains. Sans doute un truc qu'ils avaient fait ensemble. Qui étaient ces "ils" d'ailleurs ? Elle n'avait pas osé poser la question à sa jumelle, et elle le regrettait maintenant. Des amis ? Sa famille d'accueil ? Un mari, des enfants ? Elle lâcha un petit soupir en observant le porte manteau où plusieurs vestes étaient accrochées, comme si elle pouvait dégoter un indice dans cet amas de manteaux. Pas d'enfants en tout cas apparemment ... Pour le reste, elle n'aurait su dire. Aucune paire de chaussures ne traînait par terre dans l'entrée, et elle constata d'ailleurs que malgré son aspect un peu vieillot et usé, la maison était impeccable, propre. Un léger parfum de feu de cheminée flottait dans l'air, mélangé à une touche d'odeurs boisées. Elle finit par avancer un peu, hésitant entre enlever ses chaussures ou pas et enlever son manteau. Mais finalement, elle resta telle quelle, ne sachant pas vraiment comment les choses allaient se passer. Elle inspira un bon coup en s'approchant de la porte fermée et elle l'ouvrit doucement.

- Je suis là !!

Liars, Liars Où les histoires vivent. Découvrez maintenant