Mon tueur fait jouer sa lame dans la lumière blafarde des néons, dans son esprit tordu je suis sûre qu'elle brille de milles feux mais, en réalité, elle peine à réfléchir une petite lueur sur ses sourcils fournis.
J'aurais aimé savoir pourquoi je meurs, quelle est ma faute et reconnaître mon assassin, mais je n'aurais pas cette chance. Non, je vais mourir de la main d'un inconnu, pour le seul crime d'avoir été là et d'avoir attiré l'attention d'un psychopathe.
Les pieds de sa chaise en métal crissent sur le sol de lino quand il la rapproche de moi. Il me domine de toute sa stature et mon coeur s'accélère, je sens l'afflux d'adrénaline fourmiller dans mes extrémités.
Je recule mais je me heurte contre le mur. Une douleur vive irradie le long de ma cuisse, Je comprend mieux pourquoi je ne me suis pas enfuie en courant. Le contrefort en aluminium de mon box écorche ma peau à travers mon chemisier.Il me semble que ce n'est pas juste, que j'oublie quelque chose d'important, une idée primordiale qui jetterai un éclairage neuf sur ma situation. Mais déjà cette pensée m'échappe et la terreur paralyse ma conscience.
Une liquide chaud descend le long de ma jambe nue et souille le lino sans âme. Voilà qu'au moment ultime mes sphincters me lâchent, dernière estocade à ma dignité déjà bien amochée.
Le tueur sourit de ma détresse, il se délecte de son emprise sur mon pauvre corps à présent à sa merci.
- Là, jolie biche ... Chut, tout sera bientôt terminé.
Sa voix est doucereuse, presque paternelle. Il chuchote comme pour bercer un nouveau-né. Son haleine me prend à la gorge : un mélange de reste de repas, de café, d'alcool.
La bile me remonte à la bouche quand il approche sa main pour recueillir une larme sur ma joue. Il lèche son doigt avec délectation.
Je ne sais pas pourquoi je retiens ma nausée derrière mes dents serrées, un réflexe ridicule, une rumination acide de mes derniers instants.Je me serais attendue à accueillir la mort avec soulagement, mon unique moyen de mettre fin à cette torture. Cependant à l'heure fatidique où mon tueur pose sa lame froide sur mon cou, je suis prise de sanglots hystériques, le dernier espoir de survie se brise en moi.
J'halète, Je supplie, j'accroche mon regard aux yeux marrons de mon bourreau.
Pourtant je savais que j'allais mourir, à l'instant même où il m'a cassé la jambe d'un coup d'extincteur bien placée. Mais dans ma tête, un espoir fou avait voulu persister coûte que coûte : un rebondissement inattendu, l'arrivée du héros en armure ou de la police. Mais aussi sûrement qu'il est sur le point de trancher mes chairs, le couteau à couper le dernier espoir ténu qui me raccrochait à la vie. C'est lui que je pleure, mon ultime déception.Maintenant je me tais, la crise est passée, j'ai accepté mon destin. J'avais imaginé tant de choses sur ma mort : des cheveux gris sur un oreiller de flanelle, une main ridée sur la mienne, des sourires d'enfants derrière les larmes, le crépuscule serein de ma vie. Puis revoir le film à l'envers, dans un vieux diaporama aux odeurs de pains chaud et de poussière. Un clignement de paupière et une fin paisible. Une fin de livre, de compte de fée.
Et à présent me voici et ses secondes imbéciles qui s'étirent à n'en plus pouvoir.Bizarrement ma dernière réflexion est que mourir au travail est vraiment une mort minable. J'ai toujours imaginé que mon ultime pensée serait pour mes proches.
Comme quoi, on est jamais aussi altruiste qu'on veut bien se le faire croire.C'est à peine si je sens le fil entailler mon cou, puis soudain un liquide épais et chaud envahit mon trachée, je suffoque. Une multitude de mouches noires colonisent mon champ de vision et des éclairs parcourent mes membres de secousses anarchiques. Le sourire sardonique de mon assassin s'efface peu à peu. J'ai froid. Puis plus rien.
Au loin un bruit de métronome me parvient comme entouré de coton ouaté.C'est étrange, il me semble bien être mort pourtant. Encore une fois une idée vient tarauder mon esprit mais si je l'approche, elle m'échappe. Et puis ce tic-tac infernal ...
Puis aussi vite que je suis mort, je renais. Je reprends possession de mon corps. Enfin un corps, car je n'ai plus mal, et je suis ... oui je crois bien que je suis un homme.
Je saisis mon cou : pas de trace de plaie. Je me relève, je panique : Où suis-je ? Je manque de tomber de mon fauteuil incliné.
Une personne se precipite à mon chevet :
- C'est bon, Arnaud. Tu viens de revenir, tu es en sécurité. Tout va bien.
Revenir ? Ça y est ! La pensée qui se défilait s'impose à moi comme une évidence : Je suis Arnaud Testier, enquêteur de la police criminelle de Paris. Je fais partie de la nouvelle unité de neuro-souvenir. Je suis ce qu'on appelle un voyageur de mémoire. Je suis la nouvelle arme fatale du système judiciaire moderne.
Mon métier est de revivre la dernière minute d'une victime pour pouvoir arrêter son meurtrier.
Je détache de mon bras l'aiguille qui me relie à la machine complexe à ma droite.
Celle-là même qui permet d'extraire du système temporo-frontale les dernières soixante secondes vécues par la personne.
L'exercice est toujours éprouvant, une fois connectés, nous sommes totalement absorbés par le souvenir, jusqu'à devenir la personne et revivre sa mort, souvent violente.
Le retour à la réalité est rude.
je secoue la tête dans une tentative absurde de remettre mes idées en place, comme si elles étaient une pile de cubes mal rangés.- C'est bon, tu es prêt ?
Je hoche la tête. Mon superviseur m'apporte un trombinoscope.
- Tu le reconnais ?
Je détaille les six visages, soudain les sourcils fournis et le sourire sardonique me contemple, une bouffée de son haleine fétide me revient en mémoire et mon pouls s'accélère.
Je désigne sa photo.
- Sûr ?
Nouveau hochement de tête affirmatif.
- Super, Arnaud. Bon boulot. Je sais que tu en as beaucoup fait aujourd'hui, mais Bruno ... Sa femme vient d'accoucher ... Et il y a ce mec là ... On l'a retrouvé brûlé vif ... Si tu pouvais.
Je soupire :
- Bon, d'accord mais c'est le dernier ! Je suis à dix minutes supplémentaires cette semaine !
- Promis !
Mon superviseur, prépare la machine et repose la perfusion sur mon bras gauche.
Il lance une musique qui sert de compte à rebours : " dernière minute ". C'est une chanson du siècle dernier, imprimée sur un support dont on ne connaît plus que le nom : un CD.
Je crois qu'à l'époque de la République, la chanteuse a joué un rôle quelconque au côté d'un homme politique dont l'Histoire a depuis longtemps oublié le nom.
Je n'ai jamais été très doué en histoire pré-moderne.
La voix aigrelette et vintage supplie la mort de lui laisser une minute de plus : " soixante petites secondes pour ma dernière minute " chante-t-elle.
Je souris, c'est un genre de blague entre nous, les voyageurs de mémoire, cette chanson c'est l'exacte opposé de ce que nous demanderions à la mort.A vrai dire si j'avais le choix pour mon dernier souffle je préférerai manquer cette dernière minute. J'en ai déjà vécu mon comptant : trois cents quarante pour être exacte.
La musique me berce vers l'inconscience : tic-tac, tic-tac chuchote la chanteuse.
Je me réveille le corps trempé d'essence, l'odeur me brûle les poumons; devant moi, une femme, en tailleur sévère, craque une allumette.
La flamme vacillante éclaire ses yeux verts.
Il ne me reste que soixante secondes à vivre. Pourtant il me semble que j'ai oublié quelque chose ...
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Concours Et Défi
Historia CortaRecueils des nouvelles et des textes écrits dans le cadre de concours ou défi.