Brûlez là!

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Texte écrit dans le cadre du concours de Noël de la WPAcademy :

Quand on naît dans la plus belle hêtraie de la région, on en tire nécessairement un certain orgueil. Après tout j'étais un arbre de haute futaie, de la bonne graine ! C'est pourquoi je m'étais toujours imaginé une fin glorieuse : une ultime danse avec le vent après une centaine d'années de règne, une abdication lente et majestueuse dans la forêt silencieuse. Ma chute aurait-elle fait du bruit alors qu'aucune âme n'aurait été là pour l'entendre ? Oui, je comptais répondre à une grande question philosophique dans mon ultime souffle.

Du haut de mes trente mètres je dominais le monde des hommes et je peux vous dire qu'en cinquante ans d'existence j'en avais vu des choses !

Mais laissez-moi vous comptez mon histoire. Rassurez-vous pas celle de mes années d'arbre mais celle de mon entrée au tombeau.

Un jour que j'étendais mes branches vers les rayons nourriciers de l'astre solaire et tentait de rechauffer le givre qui me couvrait, je vis entrer dans mon domaine un groupe de bipèdes hirsutes. filtrée par l'entrelacs de mes bras, la lumière miroitait sur le métal de leur objets de mort.

Ils s'arrêtèrent auprès de moi, je retins mon souffle : la moindre brindille qui me composait se figea dans l'attente de ma sentence.

Je les avais déjà vu à l'oeuvre ses tortionnaires du végétal : juges, jurés et bourreaux, ils surpassaient la camarde en diligence et exécutaient leurs sanctions sur place. J'en avais vu de plus robustes et anciens que moi passer de vie à trépas en quelques coups de haches bien placées.

Il me sembla que le temps se dilatait, il passa outre le flux linéaire qui était normalement le sien et paraissait se jouer de mes déboires. Ainsi leur délibération s'étira à l'infini alors que ma décapitation ne dura que le temps d'un battement de cœur. Pour le seul crime d'avoir été un exutoire à leur soif de sang, je mourrais.

Et sous la douce brise d'Éole, je m'inclinais, le vacarme de mon anéantissement fut assourdissant. Autant pour mes interrogations métaphysiques.

Avant même que je puisse vraiment en prendre conscience mon tronc reposait à coté de ma souche et de mes racines à présent inutiles.

C'est alors que la réalité me rattrapa : Comment diable pouvais-je encore penser ? 

Mon esprit n'aurait-il pas du être soufflé, réclamé comme son dû par la faucheuse ?

Dieu, que cette sensation était singulière ! 

Mon corps fut débité en épais tronçons et bientôt toute mon essence se concentra en une unique bûche.

Réduit à ma plus simple expression je fus emmené loin de ma terre natale.

On me mit avec mes restes et je cahotais tout le long du chemin me heurtant de temps à autre à un de mes bras.

Il faisait encore humide malgré ce pâle soleil d'hiver et privé de ma sève tiède, je sentais le frimas s'insinuer dans ma chair.

On jeta ensuite mon corps morcelé et moi-même dans le coin d'une pièce au sol de pierres irrégulières. J'étouffais littéralement sous la masse de mes membres, j'étais à présent privé de lumière et de la vue, le poids de mon être reposait métaphoriquement sur mes épaules.

Mais, fort à propos, un de mes tortionnaires percuta l'édifice instable de ma dépouille. j'étais de nouveau spectateur de la comédie humaine, je me trouvais donc dans un espace circulaire, tout autour se trouvait les hommes de la forêt et au milieu, un autre plus chétif en position de prières.

Il me tournait le dos mais je voyais sa nuque rasé et ses cheveux coupés hauts autour de son crâne. Il marmonnait quelques litanies incompréhensibles et semblait répondre à quelques injectives invisibles. Les Bûcherons semblaient perdre patience. 

Un d'eux plus robustes encore que ses congénères attrapa sans sommation le col de sa chemise : il eructa un ordre et la pauvre créature se laissa choir sur le sol. Avec une semblable brusquer brusquerie il arracha son gippon, ses braies et sa chemise, je constatait alors, non sans étonnement, qu'il s'agissait d'une femme. Un rire de gorge accueillit le défrocage de la travestie.  La capacité de l'homme à faire souffrir ses congénères me laissait pantois, rien de pareil n'avait cours dans le règne végétal.
Un large tissus de chanvre brun fut jeté tel un soufflet à la face de la jeune femme qui pleurait à chaudes larmes.
Si je n'avais déjà ressenti un froid glacial dans tout mon être, j'aurais frissonné devant ce spectacle si pathétique.

La mascarade durant des jours, peut-être des mois. Diverses rongeurs établirent leur habitations au sein de mes os. Leurs déjections et la rigueur de la saison morte accélérait mon délitement.

De ce point de vue j'étais au diapason de ma co-détenue, sa peau diaphane était marquée de teintes violines, la faim et les rudoiements quotidiens de nos geôliers l'avait amaigri et son ossature saillait en angle aigu sur tout son corps.

J'avais une profonde admiration pour cet être humain, fait notable qui n'avait connu qu'un seul précédent de mémoire d'hêtre et ce bien avant ma venue sur terre : il s'agissait
d'un homme qui lui aussi conversait avec quelques fantômes, il était en quête d'un calice et ne séjourna que très brièvement en notre domaine, son passage, cependant, fit grande impression et chaque génération d'arbre relayait sa légende. Il se murmurait même qu'il était accompagné d'un être doté de magie qui savait comprendre notre langage.

Cette jeune personne, forçait donc le respect de part sa sérénité et sa pugnacité : face aux brimades elle ne répondait que peu, se bornait à répéter qu'elle parlait à Dieu et qu'il lui répondait. Elle pleurait parfois en silence mais jamais ne se rebellait contre ce destin contraire. Le reste du temps elle priait, le regard tourné vers les cieux, appelant à son chevet une divinité qui lui montrait bien peu de commisération.

Enfin les jours se firent plus cléments sans que cela ne modifie en rien le calvaire qui était le nôtre.  Puis un jour moultes personnages en robe firent leur apparition, ils entourèrent la femme et la sommèrent d'abjurer quelques pêchés dont elle se serait rendu coupable. Le temps se déroulait comme un fleuve paresseux, Saturne pouvait se montrer scélérat et en ce jour, il abandonnait la captive.

Au bout de ses forces, elle s'écroula finalement tel un feu de paille, à demi-mot elle se parjura, admis tous ce qu'ils lui conjuraient d'avouer.

Satisfait, ils quittèrent la cellule dans un valet de tissus de soie pourpre et rouge.
Plus tard ce fut mon tour : mon corps fut transporté puis, tel un Horus guérit par Iris, on me rassembla, on disposa mes attributs avec amour et précision. L'air vif et tiède dilata mon être. Après des mois de confinement, l'air avait le doux fumet de la liberté. 

Je fus déposé au sommet de la construction, comme s'il l'on avait deviné que dans cette bûche siégeait mon âme.
La dernière nuit passa comme un songe, la course séculaire des constellations m'accompagna jusqu'au petit matin.

Dès poltron minet, une foule compacte se pressa à mes abords immédiats, elle vibrait d'inquiétude mais également de quelques excitation malsaine.

Puis une autre silhouette fit son apparition malgré la mitre qui recouvre ses traits je devinais aisément l'identité de la condamnée.

On saisit ses poignets frêles pour les
enserrer par des liens de chanvre. Elle trônait maintenant au dessus de moi.
Un homme muni d'une torche se plaça à sa droite. D'abord je sentis une douce atmosphère me réchauffer puis bientôt la morsure du feu se fit sentir, elle déchira ma chair et me consuma. Nos âmes toujours à l'unisson la conjurée hurla. Comme elle était injuste la fin ignominieuse qui s'annonçait pour nous deux. Que j'en sois l'instrument tison tison naîtront coeur plus sûrement que le bûcher lui même. 

- Pardonne-moi Jeanne. Pensais-Je dans un dernier sursaut de lucidité.

Ma lente agonie dura encore plusieurs heure mais dans l'ultime rougeoiment de mes cendres, j'aperçus son coeur, intacte.




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