Le procès de Calypso

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Dédié à Emaneth

Apocalypse : grec Calypso ce qui est caché et du préfixe privatif Apo. Littéralement " Ce qui est découvert".

Je crois que mes parents ne manquait pas d'humour quand il m'ont appelé Calypso. Cachée, je l'ai été toute ma vie.

Je suis née bien après l'apocalypse qui a plongé notre monde dans l'anarchie. Un dictateur fou et le jeu d'alliance ancestrale ont réussi a précipité notre Terre dans la guerre totale. Sur les ruines des sociétés, les anarchistes ont bâtis le nouvel ordre : " La seule règle c'est qu'il n'y en a aucune ".

Mais ce souffle de liberté nous a enfermé dans un carcan de répressions bien plus serrés que nous ne l'avions imaginé.
Car qui dit interdire les règles dit que toute loi, tout dogme, tou axiome fondateur de l'humanité devient illégale. Et ainsi dans un effet paradoxal, la justice de la règle unique devint dictature.

On peut être arrêté pour la moindre incartade : laisser passer un piéton : une loi impie de l'époque des gouvernements capitaliste. Ne serait-ce que rouler sur la route sans incursion sur les trottoirs, est la preuve d'un esprit réactionnaire et doit être puni.

Un conflit qui ne se termine pas en pugilat était considéré comme une tentative de conciliation et donc une imposition de règles tacites, parfaitement illégale.

Mais la repression la plus forte concerne les religions : une croix, un bouddha de décoration sont considérés comme une tentative de résurrection des idoles religieux, l'opium du peuple. Ce genre de crime est passible de mort.

C'est d'ailleurs pour cela que je vais mourir.

J'ai été arrêté dans la grande rafle des idolâtres. Les miliciens sont apparus en pleine cérémonie nocturne et ont emmené sans ménagement notre petite communauté. Pour faire bonne mesure ils ont assassinés froidement deux ou trois hommes sur place puis ils nous ont trimballés dans des camions jusqu'à notre prison. Autour de moi j'entends les pleurs des enfants et les spasmodies en sourdine des hommes et des femmes. Nous savons que nous allons mourir. Nous ne sommes ici que pour participer à un simulacre de procès que les cadres des anarchistes organisent lors des grandes purges pour rappeler à tous qu'on ne plaisante pas avec la règle unique. Nous serons ensuite jetés d'une falaise, fusillés, pendus, brûlés en fonction de la fantaisie de nos jurés.

Ils nous emmènent quatre par quatre et bientôt je fais partie du convoi :

La clarté des torches m'éblouie et les cris de la foule m'assourdissent. Je reçois des détritus de toutes sortes, l'odeur de putréfaction me prend à la gorge tandis qu'un liquide dont je préfère ignorer l'origine descend le long de mon dos.

Il fait chaud et moite et cinq hommes mal rasés et sales nous toi sent du haut d'une estrade improvisée.
Des rires gras me parviennent de toutes parts puis le plus hirsutes de nos juges lèvent la main et le silence se fait.

- Vermines réactionnaires vous êtes accusées d'idolâtrie et d'endoctrinement, qu'avec vous a dire pour votre défense ?

Un petit homme replet, cravate autour de la tête appuie le canon d'un revolver sur la tête de l'homme à ma droite.

- Alors quelque chose à dire ?

Des hurlements de bête résonnent alors que l'homme secoue la tête de façon négative.

- C'est bien ce que je pensais. Au suivant !

La même imposture se répète chez mes trois compagnons d'infortune.

Quand le métal froid touche ma tempe moite je prends une profonde inspiration, je vais mourir c'est une certitude, la seule qui me reste en cet instant.

- Quelque chose à dire ?

- Oui. Ma voix est rauque et je ne la reconnais pas.

Le petit homme rajuste sa cravate et enclenche la gâchette, un concert de sifflements accueille son geste.

- Tu disais ?

Il est content de son effet, fier de la peur qu'il instille.

Je racle ma gorge pour me donner de l'assurance :

- J'ai une déclaration à faire et si vous m'empêcher de parler comme les autres alors je serais la quatrième et alors vous en ferez UNE RÈGLE.

J'ai mis une majuscule sur ce dernier mot, consciente de ce que cela implique et ne suis pas déçue. Un brouhaha remplie l'assistance, chacun hurle à qui mieux mieux pendant que le petit homme me regarde l'air indécis.

Le chef des juges lève les mains et faute d'obtenir satisfaction il tire trois coups en l'air.

Tout le monde se tait, attentifs.

Heureux, le géant barbu essuie une trace grasse sur sa joue, ce qui a pour effet de l'étaler davantage.

- La petite idolâtre ne manque pas de cran, ce n'est pas comme si cela allait changer quelque chose nous t'écoutons.

Je ferme les yeux et plonge en moi-même je essaie de faire abstraction de la crasse, de la moiteur, de la peur et de la puanteur. Au sein de son eglise je suis celle qui fait les sermonts et aujourd'hui je ne faillirais à ma réputation. Si c'est mon dernier discours je dois finir en beauté.

- J'affirme que nous avons respecté la règle unique en l'enfreignant.

Je laisse sa phrase en suspens quelques instants avant de reprendre.

- Car si la règle unique interdit le culte alors elle crée une nouvelle loi et se contredit elle-même. "La seule règle c'est qu'il n'y en a aucune ". Mais cette règle peut elle jamais s'appliquer ? Le fait même de la mettre en oeuvre ne la fait-elle pas mourir ? Et en ce cas pour rétablir l'équilibre et respecter la règle unique n'est-il pas de notre devoir d'enfreindre la loi nouvellement établi ? A la vérité je vous le dit il n'y a pas dans cette société de personnes plus anarchistes que les religieux ! Nous bravons l'interdit et sommes les plus fidèles aux idées fondatrices de l'anarchie puisqu'il est interdit d'interdire ! Pensez à cela, ne sommes nous pas des héros de l'anarchisme ? Les détenteurs du vrai esprit du dogme ?
Quand nous nous sommes arrachés du carcan réactionnaires ne souhaitenions nous pas la liberté ? La liberté d'agir et de réagir ? La liberté d'aimer et d'haïr ? La liberté d'expression ? La liberté de culte ?
Où est-elle la liberté aujourd'hui ? Si je ne manque pas d'écraser un piéton ou deux, je suis montré au doigt ? Où est ma liberté de respecter autrui ? Si ma liberté se trouve dans l'harmonie et non le chaos ne suis-je pas en droit de l'exercer ? Et si ma seule liberté est dans la violence et la folie, En quoi ai-je le choix ? Ne m'impose-t-on pas une nouvelle règle ? Encore une fois la loi unique se meurt victime de ses propres paradoxes.

Alors en ce jour ne pensez-vous pas que notre place n'est pas sur le b1nc des accusés ? Que notre clandestinité est l'hymne le plus pur des idéaux que vous prétendez défendre ? Nous condamnerez-vous pour avoir suivi la règle unique ?

J'achève les bras tendus et le front haut, mon oratoire reste silencieux. Puis soudainement le tonnerre éclaté je ne sais s'ils me huent ou s'ils m'acclament. Je fixe mon bourreau et sa trace noire qui s'étend de sa tempe à son menton.

Il se gratte le front :

- Théorie intéressante ... puis soudain une détonation suivie d'une grande douleur, je regarde incrédule une fleur écarlate grandir sur mon T-shirt.

- Mais je n'aime pas du tout ce ton.
Je m'affaisse lentement sous le regard incrédule de mes compagnons.
Le géant barbu s'adresse à eux :

- Mais qu'est ce que vous foutez ? Vous êtes libres, vous pouvez la remercier !

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 09, 2017 ⏰

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