VIIJe sentis l'hiver approcher plus vite que les années précédentes. Les feuilles étaient presque toutes tombées. Les nuits se prolongeaient. Les lumières s'étalaient plus loin dans les grandes rues urbaines. Les décors d'Halloween s'effaçaient des devantures. Je la respirais à plein nez. La saison blanche arrivait. Et celle des flammes rougeoyantes s'en allait, ravie d'avoir accompli son travail. Les vacances étaient finies et j'avais repris les études et le travail depuis longtemps. La vie suivait son cours. Et je tentais d'apaiser l'espace vide, de le combler vainement.
Après une semaine éreintante à voguer entre amphithéâtre et bibliothèque, je me réveillai rudement. Je pensais à cet autre vendredi, annonçant la fin d'une autre semaine. M'éclairant à la lampe, divaguant dans le nuit, je débutai ma journée. J'enfilai des vêtements laineux, préparai mon café et finis mon chemin matinal devant la fenêtre. Les lampadaires luttaient encore contre le jour naissant. Quelques personnes resserraient leurs vieux manteaux, sortaient leur clé de voiture et se lançaient vers des heures de boulot trop bien connues. Quand le ciel d'un bleu profond se dégrada vers un concentré de gris et de jaune, j'enfourchai mon vélo. J'avais oublié de mettre mes gants et le vent fouettait ma peau, la griffant entre ses assauts. Les arbres défilaient et se penchaient pour me saluer tandis que descendais ma rue escarpée. Je souris à deux ou trois voisins devenus de vagues connaissances. J'entrelaçais les tournant et le grand fleuve. J'arrivai en ville, me rangeant sur les pistes cyclables. Au dessus de ma tête se suivaient déjà les guirlandes de Noël. Pourquoi fallait-il chasser l'Automne avec tant de précipitations ? Moi, je me réjouissais encore de ses vertus.
Faisant une halte au garage à vélo, je me retrouvai au campus pour la dernière fois de la semaine. L'endroit était vaste, les bâtiments modernes et la verdure riche. Les étendues d'herbe restaient tout de même gelées par la nuit à peine achevée. Les groupes d'étudiants, eux, s'avançaient sur le chemin de leur propre domaine d'étude. J'étais un point solitaire. Petit point content qui s'écartait de la masse. Je tirai sur mon bonnet pour recouvrir mes oreilles quand je pénétrai dans le grand hall et croisai des amis. J'avais plusieurs réels camarades à l'université. Des gens atypiques et sympathiques. De simples personnes qui ne se démarquaient pas forcément dans mes souvenirs. Pourtant c'est comme dans un rêve. On sait qu'elles sont là, on les ressent et on est content qu'elles le soient, même si leurs visages demeurent flous.La journée ne passa, ni lentement, ni rapidement, juste à cette vitesse qui nous fait dire qu'en prenant du recul, ce n'était pas si statique. Les minutes se mélangeaient derrière mes paupières fatiguées. Je percevais les chiffres et le vocabulaire de l'écran persister avec force à l'intérieur de mon crâne. Et pris dans un brouillard incertain je crus voir une bicyclette blanche. Illusion ou allusion anodine.
Le midi nous déjeunâmes joyeusement au self des petits prix, échangeant des prédictions sur nos examens à venir. Le soleil pointait ses rayons par moments furtifs, et l'eau du fleuve tout proche scintillait. Marchant à ses côtés, j'étais pris dans mon admiration naturelle. Alors je ne remarquai pas tous les signes autour de moi, tous ces signes m'indiquant l'événement étrange de ce jour.Nous passâmes l'après-midi à la bibliothèque, feuilletant des livres sur la géopolitique. Nous échangions des murmures amusés, blaguant sur les expériences des uns et des autres, nous dénigrant nous-même avec légèreté. On nous reprit plusieurs fois, quémandant le silence, et c'était sûrement cela qui nous faisait rire tout bas. Puis, le soir venant, je me retrouvai seul. Je voulais profiter des dernières heures de lumière, alors je m'emparai de mon vélo et longeai le fleuve pour m'approcher du centre.
D'autres avaient eu la même idée et soudainement les rues et les carrefours étaient devenus vivants. Tous ces gens nourrissaient le cœur de la ville comme le sang nourrit l'organe. Des jeunes et des vieux. Des filles et des gars. Et même les deux ensemble. Ils se fondaient en foule et tout le monde s'en trouvait satisfait. Je m'arrêtai à un café, m'installai à une table sous un chêne familier. Virevoltant entre les pages de mon livre, je ne vis pas le temps passer. Puis, relevant les yeux, je constatai les peintures orangées recouvrant tragiquement le ciel. Il était l'heure de partir. Peu enthousiaste, retenu par un désir inexplicable, je me baladai près du rebord, savourant ma vision. Les voitures allumaient leurs feux. Les gens se tassaient près des bouches de métro. Je m'arrêtai alors, coupant court au courant. Et redressant la tête sur l'autre rive, je vis l'univers.
Il y avait d'autres voitures et d'autres gens de ce côté-ci. Du goudron et des barrières, des boutiques et des arbres parfaitement identiques. Puis il y avait cette silhouette immobile, comme si je me contemplais à travers un miroir. Mais ce n'était pas moi ce garçon. Non. Ce garçon, c'était Kim Taehyung.
Clignant des yeux à maintes reprises, je détaillai l'homme, m'attendant à le voir disparaître tel un volute de fumée. Pourtant, il semblait bien là, me regardant avec des yeux que je devinais immenses. Mon cœur s'accéléra. La peau de mon visage se réchauffa. Je n'étais plus égaré dans le rêve et l'espoir. Puisqu'il était bien là. Puisque Taehyung était venu pour moi. Je compris d'une pulsation brusque qu'il m'envoyait un message. Qu'il me criait au creux des bruits du monde que si je ne venais pas à lui, il viendrait me chercher. Et c'est ce qu'il avait fait, il était là. Juste là. En face de moi, de l'autre côté d'un fleuve reflétant le brasier céleste.
Il était venu me chercher.
N'y tenant plus, mes jambes réagirent avant mon cerveau. Filant entre les enfants, les couples, les solitaires et insolites. Epanchant ma trachée d'une soif sans nom. Vrillant contre le vent. Défilant aux côtés des barreaux et des vaguelettes. Je courrai à toute vitesse. Lui aussi courait sur l'autre rive. Nous nous précipitons vers le pont le plus proche. Courant sans se soucier de rien. Courant à en bousculer les passants passionnés. Courant à en voler. Je le voyais se précipiter en face de moi. De plus en plus proche.
De plus en plus proche.
Et sans attendre une seconde de plus et sans penser à autre chose qu'à l'autre, nos corps se rencontrèrent, comme le temps qui se fixe à la Terre. Comme la feuille qui touche le sol. Je passai mes bras autour de lui, me libérant d'un fardeau incohérent. Il fit de même et je sentis sa chaleur se répandre en moi. Nos souffles emballés s'estompèrent dans le vent. Nos regards sombres se cherchèrent et se parlèrent sans mot. Et pour ne plus m'enrouler dans la prison du passé, je me fondis dans notre baiser.
Nos lèvres se cajolaient et se protégeaient, comme destinées les unes aux autres. Comme épuisées par toutes ces années éloignées. Les paupières closes, je revoyais les arbres et les collines. Les oreilles engourdies, je n'entendais plus que les violons de Vivaldi. Tout cela se trouvait en Taehyung. Pour la première fois et sans aucune parole, il me l'offrait pleinement. Il s'ouvrait à moi, dévoilait les branches et les beautés de sa vie. Et je fis de même. Je lui donnai tout.Nous nous embrassâmes longtemps sur ce pont. Nous nous serrions plus fort et plus courageusement à chaque coup de vent. Nous avions troqué nos discussions pour un silence vrai. Nos photos pour des regards honnêtes. Et nos âmes battantes, se rencontraient par delà nos corps.
Enfin, j'étais tombé avec les feuilles. J'étais tombé pour Taehyung et je m'étais envolé en amour. A présent peu importait la chute, car même elle en deviendrait belle.
Ce dernier vendredi d'automne, nos esprits d'enfant s'étaient envolés et nous avions appris à nous aimer, après ces dix tortueuses années.
Fin.
Coucou amical lecteur qui a lu cette histoire ( qui s'approche fortement de la nouvelle admettons ) en entier. Je te félicite ! Tu as gagné mes remerciements ;)
Je tenais simplement à dire merci ( en effet ) et ajouter que c'était mon tout premier Vkook, calme et court comme je l'avais imaginé. J'ai beaucoup aimé l'écrire. J'espère donc que vous l'avez apprécié !
Merci encore et à bientôt ! <3