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Participant: A.

Œuvre choisie pour la réécriture: Divergent

Point de vue selon le personnage de: Tobias Eaton

Message du participant: Rendre hommage en remerciant ces livres qui m'ont tant appris; saluer des personnages avec qui j'ai parcouru un bon bout de chemin, en amis.




Lauren avait raison: tous les natifs se plaisaient à mimer la surprise devant l'abîme se dévoilant sous eux ; pourtant tous sautaient les premiers, sachant pertinemment qu'un filet les y attendait. Aussi, lorsque le sifflement du vent nous indiqua l'arrivé d'un premier courageux- ou fou, tout n'étant qu'une question de point de vue ; je m'apprêtais à reconnaître l'étoffe noire de la tenue audacieuse, aussi noire que mes pensées ces derniers temps. Mais quand l'impact de la chute arriva, je ne savais si c'était le tressaillement du filet ou celui de mon propre corps qui fut le plus démonstratif devant cette découverte. Car comment ne pas frémir face à cette vision ? Entouré d'un voile grisâtre un fantôme de mon passé, que j'aurai tant souhaité voir s'enfouir sous la poussière du temps qui passe, se dégagea au milieu de l'enchevêtrement de cordes.

La première chose que je vis, ce fut deux grands yeux ouverts, bleus pâles : une mer déchainée non pas par la peur mais bien par une détermination sans faille ; une teinte où je menaçais de me noyer à chaque instant.

Elle releva la tête, plongeant ce si beau regard inquisiteur dans mes pupilles élargies par l'étonnement. Toutefois, en personne plus habituée à remarquer qu'à parler, je n'eus aucun mal à reconnaître au tic nerveux de sa mâchoire que, malgré la contenance qu'elle arborait, elle abhorrait se jeter dans le vide ; et la peur accélérait encore le tempo effréné de son cœur en sa mince enveloppe charnelle.

La réalité s'immisça en moi, une fois la stupeur de cette apparition dépassée ; les mots voulaient s'écouler librement en un flot de tumultueuses questions, aspirant à faire céder le barrage de la raison : Est ce qu'on t'a poussée ? Poussée dans le vidé, poussée à changer de factions ? Poussée à bouts ?

Mais le regard de Lauren, aussi perçant que les couteaux que je savais si habilement manier, m'aiguillonna à l'interroger, comme il est de coutume avec tous les novices. La question inlassable, d'un ton -forcé- indifférent :

- Comment t'appelles-tu ?

Comme moi, il y a cela semblait il bien longtemps, elle ne répondit pas immédiatement. Comme moi, elle a changé de faction visiblement pour changer de personnalité. Comme moi... Si la ressemblance allait jusque dans ma nature refoulée ? Si, comme moi, nulle case ne pouvait la définir ? Si elle n'était pas Audacieuse, ni pète sec ; si elle était bien plus que cela ? Inconsciemment, je remarquais que mon dos s'était raidi. J'imaginais sans mal les balafres, vestiges d'un devoir paternel trop développé, s'enrouler autours de l'œuvre d'art recouvrant mon dos, en un secret indissociable à mon esprit, secret qui me collait littéralement à la peau.

Brusquement, l'envie de tout dévoiler, corps et âme, m'épris : peut être que la vue de tous les symboles entremêlés, preuve que l'homme ne pouvait être défini par une seule aptitude, aviverait en ce regard azur une flamme si brillante qu'elle ne pourrait s'éteindre, la flamme d'un combat -celui des Divergents ? Je sentis le rouge me monter aux joues en un élan de pudeur, preuve que l'on échappe jamais à son passé-pète sec un jour, pète sec toujours !

Et bien! Voila que vois une jolie fille -quoiqu'au nez légèrement trop retroussé à mon gout-, et je m'imagine déjà lui dévoilant mon torse à nu, tout comme mon âme ! Heureusement, la jeune fille ne remarqua pas les troubles qui m'agitaient : elle était bien trop occupée à se mordiller la lèvre, réfléchissant à toute vitesse. Soudain empli d'un élan de compassion, je lui octroyais la chance d'un nouveau départ – car c'était ce qu'avait été pour moi mon arrivée ici : une nouvelle vie.

- Tu sais, tu as le droit de changer de nom.... Mais choisi bien ! Tu ne pourras plus le modifier par la suite.

Un seul choix peut vous définir, vous détruire; vous transformer.

J'avais prononcé ces paroles avec le plus de chaleur possible-soit avec moins de froideur qu'à l'accoutumée : cela ne lui avait pas échappé. Une lueur éclatante, aussi lumineuse que ses longs cheveux d'or, dansa follement sur le sourire qu'elle me rendit lorsqu'elle répondit d'un ton décidé :

- Tris.

Je n'eus pas le temps de répondre que déjà Lauren enchérissait :

- Tris ; fais l'annonce, Quatre !

Alors que ce surnom m'enlisait que plus dans ma nouvelle vie, c'est d'une voix vibrante d'un passé que je retrouvais, emplie de fierté pour la faction qui m'avait vu grandir, que je tonitruais la célèbre sentence :

- Premier saut : Tris !

Quand même ! La Pète sec avait sauté la première !

Alors que les acclamations débutaient dans le traditionnel vacarme audacieux que j'avais appris à aimer, je remarquais que Tris -me confierait elle un jour son vrai nom?- n'avait pas osé descendre du filet. Elle était trop obnubilée par ce qui l'entourait, peu habituée à être autant le centre de l'attention. Souriant, je la cueillis au creux des bras et la soulevait en l'air, bien plus légère que tous les secrets lourdement ancrés en loi. L'espace d'une seconde, j'eus l'envie folle de tournoyer avec elle, de danser secrètement pour une victoire qui se répétait, celle de la liberté d'écrire sa propre histoire, celle de pouvoir reconstruire sa vie. Ce n'était plus un fantôme empaqueté de gris ; c'était une colombe au ramage blanc très foncé, immaculé. Pur.

Je la reposais à terre, plongeant mon regard dans le sien ; un regard reconnaissant.

Nous restâmes ainsi, un long moment semblait il : une seconde, une minute, un siècle ? Un clignement d'œil très certainement ; un avant goût d'éternité pour ma part. Voyant que je n'avais rien à dire, elle s'éloigna finalement vers l'escalier et le tintamarre. Déçue ? Je craignais tellement de voir s'éteindre en ses yeux la volonté qui y brillait que je la rappelais :

- Tris !

Elle se retourna avec empressement-me faisais je des idées, ou souriait elle plus que de coutume ?

- Bienvenue parmi les Audacieux !

Sa réponse fut plus un couinement qu'une voix assurée ; mais qu'importe ! Ici, elle allait vite devenir plus forte.

- Merci !

Et elle disparut, aussi vivement qu'elle était apparue dans ma vie.

Subitement, je comprenais qu'il y avait de quoi se battre en ce monde. Une nouvelle lueur d'espoir brillait en elle, la même qui m'avait permis de me guider hors des noirceurs lorsque j'avais eu son âge. J'allais être son instructeur- et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire briller plus intensément cette flamme.

Car on vient du même endroit, car elle me ressemble -ou bien pour autre chose ?

Je tressaille.

Cette fille, Tris, est, malgré elle, une part de mon passé.

Qui sait si elle ne sera pas aussi mon futur ?

Les Lecteurs sont des HérosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant