2. Mademoiselle Double-Face

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27 juin 2016 (bis)

Je crois qu'écrire une seule page dans le journal n'est pas suffisant pour se sentir mieux parce que je n'arrête pas d'y penser. J'ai besoin de comprendre ce qu'il m'arrive, de trouver une explication rationnelle à mon comportement.

Peut-être que je m'en fais pour rien. Que je n'ai eu qu'une crise passagère, une bouffée d'hormones ou juste un coup de chaleur. N'empêche, se rendre compte qu'on perd les pédales au point d'agir de manière inconsciente (et risquée !) en insultant des gens (probablement mafieux, dangereux et, qui sait, armé ?) a de quoi rendre parano, non ?

Ça m'a vraiment fait bizarre. Je pense que j'ai dû vivre ce que doit ressentir Harvey Dent lorsque c'est Double-Face, le méchant schizophrène dans Batman, qui prend le dessus. Je me voyais agir de l'intérieur, mais je ne pouvais rien faire. J'entendais des phrases sortir de ma bouche et une petite partie de moi se disait « OH mon dieu ! Mais qu'est-ce que je raconte ?! », tandis que l'autre se sentait juste bien (il y avait aussi une troisième voix qui disait « j'ai vraiment une voix nasillarde » mais c'est sans importance. Enfin... je crois).

Peut-être que si je reviens sur ma journée, je trouverai un détail qui pourra m'aider à comprendre.

La journée avait plutôt bien commencé, si on excepte la chaleur accablante. C'était mon premier jour des vacances, Léa avait encore des cours, mon père travaillait au garage et ma mère avait un stage de yoga toute la journée. Du coup, j'avais l'appart pour moi toute seule et je jubilais à l'idée de tout ce que j'allais pouvoir faire. J'ai donc commencé par m'affaler dans le canapé, puis j'ai bien rigolé devant cinq épisodes de Big Bang Theory (j'adore cette série !).

A 16h, je n'avais mangé qu'un bol de muesli avec -50% de matière grasse. Ce qui restait dans les placards à moitié vide ne m'inspirait pas grand-chose (j'espère VRAIMENT que maman fera les courses après son yoga...), alors quand Gabriel m'a envoyé un SMS, j'ai sauté sur l'occasion :

Gabriel
Vient faut que je te montre un truc !!

Moi
Je C pas... G faim...

Gabriel
J'ai du pain et un pot de Nutella à peine entamé.

Moi
Ok j'arrive tout de suite !

Si l'on se base uniquement sur cet échange, on pourrait croire que j'adore le Nutella. Or il n'en est rien ! Ou, pour être plus précise, il n'en ÉTAIT ENCORE rien. En fait, en 16 ans d'existence, je n'y avais juste jamais goûté ! Je ne sais pas s'il faut en être fière ou condamner mes parents ingrats adeptes des produits bio... Toujours est-il qu'aujourd'hui, c'était ma première fois de Nutella.

Je me souviens que j'étais normale lorsque je suis arrivée chez Gab. Il habite juste devant l'arrêt de tram de Saint Bruno. J'aime pas trop ce coin, d'ailleurs, parce qu'à chaque fois, je reste un moment devant sa porte à attendre qu'il vienne m'ouvrir. Je me sens bête d'attendre comme une idiote qui se fait bousculer par les vieilles arabes avec leur cabas ou les femmes avec leur poussette qui croient que le trottoir leur appartient.

Je vous rassure, je n'ai aucune tendance raciste. C'est juste qu'on est à Saint Bruno et que, statistiquement parlant, je me fais davantage secouer par des vieilles arabes à cabas ici. En centre-ville, je vous critiquerais les reines du shopping sur-maquillées et ultra-parfumées qui me cognent avec leur sac Vuitton.

Bref, j'ai sonné et j'ai attendu. Je me suis tordu les mains, je les ai mis dans ma poche puis je me suis retournée et une femme m'est rentrée dedans (qu'est-ce que je vous disais !) et j'ai bafouillé un « excusez-moi » qu'elle n'a même pas entendu. Pas de doute, c'est mon comportement normal en cas de « choc de personne ».

Nutella Girl [En Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant