Nutella Girl [En Pause]

9. SAV des têtes à claques

Vendredi 1er juillet 2016 (matin)

Petites, la plupart des filles jouent à la princesse. Moi, c'était à l'infirmière-mécanicienne. Au moins, je sauvais des vies ! Enfin, des voitures.

Quand je venais au garage, je restais dans les pattes de mon père. Il me parlait de mécanique et je lui passais des outils. J'imaginais qu'on était dans un hôpital pour voitures et que j'étais l'assistante du chirurgien. Quand mon père lançait : « oh p****n, regarde-moi cette huile je suis sûr que l'injecteur est bouché. Il faut qu'on vidange ! Vite une clé à douille !! », j'avais autant d'adrénaline que s'il m'avait dit « mince, il nous fait un pneumothorax. Il faut qu'on l'intube ! Vite, un scalpel !! »

Mais aujourd'hui, je suis la « dame de l'accueil ». Je dois accueillir les gens, les renseigner, leur faire remplir des formulaires, les conseiller, les empêcher de négocier les prix, les écouter se plaindre, les encaisser et, le tout, avec le sourire et un air professionnel, s'il vous plait, merci bien, ça sera tout ?

C'est carrément plus épuisant que je ne l'imaginais. Surtout quand tu tombes sur des clients relou. D'ailleurs, il y en a un qui m'a vraiment saoulé. Je lui explique que sa voiture pourrait être prête à 17 heures et Môsieur n'est pas content.

— Attends, il est 10h, là. Tu vas pas me faire croire qu'il vous faut sept heures pour faire la révision de ma bagnole ?

(Vas-y tutoie-moi, je te dirai rien)

— Non, non. Mais c'est qu'il y a cinq autres véhicules avant le vôtre.
— Ah... Et tu peux pas me faire passer devant quelqu'un ?
— Heu... C'est-à-dire que... Ça ne serait pas correct. On s'est engagé sur un horaire et...
— Et moi, comment je fais ? Je me suis engagé sur des horaires, aussi. Sur plein d'horaires, même ! À 17h, faut que je récupère le gosse au centre aéré ; à 20h, ma femme rentre de son service et faut que je lui aie préparé à manger ; et je te parle même pas des valises à remplir et des courses que j'ai à acheter. Tu sais où je vais, demain ? Je vais en Espagne. Sept heures de route. Alors j'ai besoin qu'elle soit "secure", la bagnole, tu comprends ?
— Heu... Oui...
— Écoute, la stagiaire, je suis pressé. Va chercher monsieur Fontaineau, que je discute avec lui.

Si on était dans Street Fighter et que j'étais Chun-Li, je lui aurais bien balancé un Lightning Kick.
PAF ! PAF ! PAF!  Dix coups dans sa tronche.

Au lieu de ça, j'ai ruminé intérieurement, incapable de sortir la moindre punchline cinglante. Mais où est donc mon nouveau Moi agressif quand on a besoin de lui ?! Sûrement en train de se marrer avec Ornicar.

D'un autre côté, tant mieux que je ne sois pas Chun-li, sinon :

1. J'aurais fait perdre un client à mon père.
2. J'aurais des cuisses aussi grosses que celles d'un bœuf. Et, sérieux, va trouver un pantalon à ta taille avec ça ! C'est pas pour rien qu'elle est toujours en jupe, la chinoise !

Mon père a dû entendre que quelque chose clochait car il nous a rejoints de lui-même. Il a salué le client comme si c'était un vieux pote et l'a écouté attentivement.

— Je comprends... C'est dommage que vous ne soyez pas venu plus tôt dans la semaine pour votre révision. Aujourd'hui, vous vous êtes tous donnés le mot, on dirait. Ha Ha ! Mais je sais ce qu'on va faire ! La voiture de courtoisie est disponible. Je vais vous la prêter pour la journée et vous la rapporterez en venant chercher la vôtre. Qu'en dites-vous ?
— Hum... C'est quoi comme modèle ?
— Une clio 4. Neuve.
— Je vois... J'imagine que je n'ai pas trop le choix, de toute manière...
— Parfait ! Alice, va me chercher le formulaire de prêt de voiture. Et n'oublie pas le papier pour l'assurance aussi.

Le gars, il échange une voiture neuve contre sa veille poubelle et il ose dire qu'il « n'a pas trop le choix » ?

Enfin bref, je lui ai fait signer le formulaire de dépôt, le formulaire de prêt de voiture de courtoisie, le formulaire de l'assurance, et à nouveau le formulaire de dépôt parce qu'il s'était trompé dans son numéro d'immatriculation. Le tout, avec le sourire, bien sûr !

— Et le formulaire de lèche-cul, je le signe avant ou après lui avoir rayé sa caisse ? je lance à mon père, une fois le plouc disparu au volant de la Clio.
— Bienvenue dans le monde des affaires ! Il est chiant, mais c'est un client fidèle... Alors faut le chouchouter un peu, tu comprends ? Y en a des bien pires que lui...
— Tu me rassures pas des masses, là, tu sais ? Comment tu fais pour les gérer tous ?
— J'applique la tactique d'un grand sage : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ».

Je l'ai regardé avec des yeux ronds :

— Genre Yoda ou Dumbledore ?
— Non, mais pas loin. Sun Zutsu... Tsuzu... Un truc comme ça... L'auteur de « l'Art de la Guerre », quoi.
— Tas lu ce bouquin, Pa' ? je demande, impressionnée.
— Noooon, c'était une citation dans un manuel d'entrepreneuriat. La seule que j'ai retenue, d'ailleurs. En gros, si tu connais ton offre et si tu connais les besoins de tes clients, alors tu sauras toujours comment les amadouer et leur vendre tes services. Ça marche aussi pour te sortir des embrouilles.
— Ah ouais... Je crois que la vente, c'est vraiment pas fait pour moi, ai-je soupiré.
— Ah ah ! ça viendra, ma fifille ! Allez, allume-moi un peu la radio ! Ça va te rebooster, tu vas voir !

Là, j'ai cru que j'allais vraiment péter un câble.

Car qui dit radio, dit Chérie FM. Et Chérie FM, on est d'accord, c'est toujours les mêmes chansons qui passent depuis des lustres. À chaque fois que je viens au garage, j'ai l'impression d'entendre la même chose. J'imagine trop le gars qui a inventé le concept de cette station :

« Hey, les gars, j'ai une idée du tonnerre ! Notre truc à nous, ça sera l'intemporel, comme Lagarfield. On va faire une radio normale, c'est-à-dire qu'on va passer en boucle la même programmation musicale, tous les jours. MAIIIIIIS ! Au lieu d'avoir un turn over d'un mois sur les titres, nous, ça sera la décennie. Que dis-je, le siècle ! En chansons vedettes, on aura tout le répertoire de Cabrel et Balavoine, « Les poèmes de Michelle », « Sweet Dreams » et « L'Aziza ». Ils vont tous kiffer sa race ! »

Bref, mon père est retourné faire de la mécanique dans l'atelier et j'ai repensé à son truc de la guerre. J'ai ouvert un navigateur sur le PC de la boutique et j'ai tapé l'URL de Facebook.

Le tout, c'est de garder l'air professionnel.

Et aussi de retrouver mon mot de passe.

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Je dédie ce chapitre à tous les traumatisés de Chérie FM !!

Mais au fond, on l'aime bien cette radio... :)