Ils disent que les plus grands artistes, ils ont su transcender la douleur. Pour en faire un quelque chose. Plus la douleur est forte, ils disent, plus l'art est beau.
Je ne comprends pas bien de quelle douleur ils parlent. La mienne, de douleur, elle prend mes mots, elle prend mes crayonnées, elle prend ma voix, elle prend mon corps tout entier. Elle le prend, elle le prend par le fond. Elle m'enterre. Elle n'est pas transcendante.
Je me demande quel genre de douleur j'ai, pour que ce ne soit pas celle de l'art beau. J'ai la triste vanité de croire, convaincue de l'extraordinaire de mon malheur, que, s'ils avaient raison, si j'avais raison, mon art serait à l'apothéose du génie.
Un hurlement artificier qui explose dans des gerbes de feu.
Un quelque chose de beau, de solennel, d'universel, de puissant. Un quelque chose qui donne du sens. De la légitimité.
Mais alors, j'ai compris.
Je ne mérite pas de vivre. C'est ça ma douleur. Je ne mérite pas de vivre. Je ne suis pas légitime. Cette douleur est celle de la stérilité. Celle de la respiration prise et reprise en vain. Celle de la vie volée.Mais alors, je ne comprends pas. Je regarde tout autour. Est-ce que mériter a un sens, des conséquences, ici-bas ? Je vois ces créatures étranges et hostiles qui s'élèvent dans un confort absolu, sur les ossements de ceux qui avaient un quelque chose à offrir ; un quelque chose de beau, de solennel, d'universel, de puissant. Cela n'a pas de sens. Ils sont illégitimes. Ils ne méritent pas. Et pourtant, ils ont. Tout. Moi, je ne mérite pas non plus. Et je n'ai. Rien.
Ce monde n'est pas une méritocratie.
Ou n'ai-je simplement pas assimilé les véritables attributs du mérite?