Chapitre 9

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Je m'écarte d'Erebus le plus vite possible, avant de me tourner vers ma mère. Elle se tient dans l'encadrement de la porte, les mains sur les hanches. Ses yeux lancent des éclairs, je crois que je ne l'ai jamais vu l'air aussi furieuse. Elle ne bouge pas, immobile et impérieuse comme une de ces statues grecques, prête à faire tomber la justice divine sur ma tête si je ne trouve pas une bonne excuse très vite.

"Est-ce que tu as la moindre idée du sang d'encre que je me suis fait ?"

J'ouvre la bouche pour répondre mais un froncement de sourcils furieux me la fait refermer aussitôt. Erebus continue de sourire, l'air de s'amuser comme un petit fou.

"Impossible de te joindre ! Aucun appel ! Aucun texto ! Katia qui ne sait pas où tu es !"

Je ne peux m'empêcher de grimacer. Je ne me vois pas trop lui expliquer que, visiblement, le réseau est très mauvais quand on est dans l'Heure Floue. Ni lui expliquer ce qu'est l'Heure Floue, je crois que je ne réalise pas bien moi-même. De toutes façons, elle n'a clairement pas l'air disposée à m'écouter.

"J'étais sur le point d'appeler la police, Ambre !

- Je suis désolée mais je...

- Pardonnez-moi de me mêler de votre conversation mesdames, mais..."

Je jette un regard désespéré à Erebus, essayant de lui faire comprendre qu'il vaut mieux qu'il reste en dehors de ça, mais il m'ignore et poursuit :

"Votre fille est en retard par ma faute..."

Le visage de ma mère se durcit encore davantage. Elle le fixe d'un air suspicieux, ses yeux passant sur son catogan impeccable, son pardessus noir aux boutons de cuivre, son pantalon à pinces, ses chaussures cirées... Je peux clairement voir dans son regard qu'elle le trouve trop élégant pour être honnête. Elle fait un pas en avant, le menton pointé vers lui, je recule malgré moi. Je devrais me sentir un peu désolée pour Erebus, mais je me sens bien trop soulagée qu'elle m'oublie pour ça.

"J'espère que vous avez une très bonne raison pour ça.

- En effet, madame. Voyez-vous, je suis tombée en panne au bord de la route et Ambre a très généreusement accepté de me prêter son téléphone pour que je puisse trouver l'adresse d'un garage et appeler une dépanneuse... Et j'ai bien peur que ma recherche et mes appels n'aient vidés la batterie. Comme les rues ne sont pas toujours très sûres à cette heure, une fois ma voiture déposée chez le garagiste, j'ai décidé de raccompagner votre fille jusque chez vous. J'espère que vous ne lui en tiendrez pas trop rigueur, son retard est entièrement ma faute."

Pendant une seconde, j'ai l'impression de voir ses yeux noirs s'illuminer de bleu. Le temps d'un battement de coeur, et la lumière a disparue... Je suis presque sûre que je ne l'ai pas imaginé. Presque.

Ma mère continue de le fixer en silence, ce qui est inhabituel. Elle se met rarement en colère, mais quand elle le fait, impossible de raisonner avec elle. Il ne reste qu'à se taire et d'attendre que ça passe. Mais là, non. Elle écoute sans un mot, son expression un peu... vide ? Et puis elle hoche la tête lentement, calmement.

"Je ne lui en tiendrais pas rigueur..."

Sa voix est molle, presque rêveuse... D'accord, ça ça n'est VRAIMENT pas normal.

"J'aimerais pouvoir vous inviter toutes les deux à dîner dans un futur proche... A la fois pour remercier Ambre de son aide et m'excuser auprès de vous de l'avoir retardée."

Elle hoche la tête à nouveau, puis tourne les talons et rentre dans la maison, ses gestes lents et mécaniques comme ceux d'un pantin, ou d'un somnambule. Arrivée sur le seuil, elle pivote et se tourne à nouveau vers nous, le regard dans le vague.

l'Étreinte des TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant