NY - Brooklyn, 1er janvier 9999.
Au sommet d'une ruine d'acier bringuebalante, une jeune fille de 16 ans se tient debout, le regard fixé au loin. Cette jeune fille, c'est December. Son regard bleu est glacial, pénétrant... impitoyable. Il transperce les gens avec une froideur coupante. Sa chevelure noire comme la nuit et lisse comme une lame de couteau balaie sa nuque, ses épaules et son dos jusqu'à sa taille. Elle n'a rien de chaleureux ni de bienveillant, tellement qu'on évite de croiser son regard dès qu'on la croise. Son regard pourrait geler l'enfer, dit-on dans Brooklyn. Elle n'est pas méchante. Mais elle est fière, arrogante, glaciale et intransigeante. Elle a l'âme d'une battante. Née le 31 décembre, elle porte bien son nom : elle est aussi froide et tranchante que le mois d'où elle tient son nom.
Mais à l'intérieur d'elle un feu de rage : son cœur ne rêve que d'action, de rébellion, de bataille. Elle brûle des braises de la vengeance, de la haine contre l'Homme. Mais au plus profond d'elle-même, au milieu de tout cette guerre entre la glace et la flamme, une lumière brille : l'espoir d'un monde meilleur.
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"December !"
L'adolescente détache ses yeux de l'horizon en soupirant. Elle descend de son perchoir avec des gestes rapides et sûrs. Personne n'oserait descendre aussi vite, même avec des gestes précautionneux. Mais pas elle. Elle vient ici tous les jours pour observer le... paysage ? Peut-on appeler cette zone désertique jonchée de cadavres de gratte-ciels et de constructions métalliques, un paysage ? Non. Plusieurs milliers d'années de guerres et de ravages, comme la grande guerre nucléaire, l'escadrille de l'an 3560, les attentats du 21ème au 26ème siècle, la malaria, les Grippes B, C, et Z, la maladie Ebola, et bien plus encore...
Alors que hier ressemble tant à aujourd'hui, nul ne sait ce qui arrivera demain.
Ce qui était autrefois l'un des quartiers les plus célèbres sur Terre, a été réduit à l'état de débris en l'espace de 10 millénaires. 10 millénaires... comme le temps passe vite. On a réussi à construire une deuxième civilisation sur Mars, puis une autre sur la Lune. Voyager dans l'espace est maintenant si simple, si routinier comparé à autrefois. On a découvert de nombreux vaccins, inventé des machines incroyables, ... mais ces belles promesses d'un futur meilleur se sont effacées des mémoires à cause de toutes les horreurs qui s'étaient produites. De toutes les mémoires, même de celles des ordinateurs. Ce qu'on racontait dans les livres d'histoire s'est oublié aussi vite que l'espoir n'est devenu qu'un rêve pour les idéalistes.
Mais December, elle, y croit encore.
Mais comment pourrait-on imaginer que cette jeune fille plus froide que l'hiver était la seule à encore croire en l'avenir ?
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December est assise sur une dalle, contre un mur recouvert d'un graffiti dont les couleurs se sont éteintes avec le temps. La tête renversée en arrière, elle contemple le ciel d'un noir charbonneux à cause des vapeurs toxiques et de l'atmosphère gorgée de résidus chimiques dus à la pollution.
Etta, la mère de la jeune fille, est accroupie près d'un feu de camp trônant au beau milieu de la salle en ruines. Elle tente vainement de se réchauffer, mais le cœur n'y est pas. Dans ce froid si intense, entre ces murs métalliques, est-il vraiment encore permis de croire au bonheur ?
"Les Dieux nous ont abandonnés, se dit-elle."
Les Dieux... Au bout de plusieurs millénaires d'ignorance et de croyance en des dieux divers, on avait enfin découvert la présence des Dieux. Pas des personnes réelles, mais des présences surpuissantes programmées, qui veillent sur l'humanité depuis le commencement.
Mais peut-on vraiment leur faire confiance ? Pourquoi ne font-ils rien contre la misère dans laquelle est plongé la Terre ? Nul ne sait.
Etta se recroqueville sur le sol glacé. Qu'allait leur réserver le lendemain ?-
Minuit pile. December ne dort pas. Elle regarde le ciel, obscurci par des nuages radioactifs. Au milieu de cette immensité, il y a les étoiles. Au 8ème millénaire, il s'était avéré que les étoiles n'étaient en réalité que des objets métalliques contenant l'âme de chaque mort. Rien de naturel, mais on racontait aussi qu'au bout d'un certain temps, en fonction du chagrin des proches, les Dieux ressuscitaient le défunt. L'adolescente ferme les yeux : petite, sa mère lui disait que son père était parmi ces étoiles. Mais cela faisait longtemps qu'elle n'y croyait plus. Elle n'avait jamais aimé cette légende. Mais pourtant, au fond d'elle-même, il restait encore une once d'espoir : l'espoir de revoir un jour son père, ressuscité des étoiles.
5h30 du matin. Un soleil rouge et froid se lève au dessus de Brooklyn. Les enfants se réveillent, suivis par leurs parents. Chacun a une tâche à accomplir, comme tous les jours. Mais comme toujours, la journée sera monotone, sans aucune péripétie, et avec sur le cœur l'impression que ce qu'on avait fait la veille s'était évaporé pendant la nuit. On mange si on peut, on se lave avec le peu d'eau qu'on a, souvent remplie de déchets toxiques. Soudain, on entend un hurlement de douleur, perdu dans le brouillard. Sûrement quelqu'un qui tombe dans le vide, de plusieurs centaines d'étages car le sol s'est écroulé sous ses pieds. Ou qui agonise d'une maladie causée par l'air presque radioactif, ou à cause du mode de vie si insalubre. Ou quelqu'un qui s'est fait attaquer par les rats de buildings. On appelle ces derniers comme ça car ils habitent dans les minuscules trous entre les débris de murs, qu'on ne pouvait pas dégager. Gros comme une chaussure, durs comme l'acier et sauvages comme la tornade, ils étaient presque impossibles à tuer, mais en revanche eux étaient impitoyables.
Ce cri, chacun le savait, entraînerait à coup sûr une mort. Cela n'émeut personne : ce décès n'est que le premier d'une longue journée.
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Aujourd'hui, December ne va pas aux Ruines de Brooklyn, comme on les appelle communément. Aujourd'hui, elle a décidé d'aller en haut de The Trump Building, le plus haut gratte-ciel de New York.
"Un bâtiment ridiculement immense pour un homme ridiculement stupide, se dit l'adolescente, amère."
Mais il avait au moins un avantage : en montant au sommet, on a une vue d'ensemble sur toute la ville. Certains prétendaient même avoir aperçu de là-haut, l'ombre des Dieux dans le ciel. Mensonge ou vérité ? Bon ou mauvais présage ? Personne ne peut répondre, mais l'inquiétude et les grandes questions n'ont jamais leur place dans ce monde en ruines.
December scrute l'horizon. Des nuages de poussière semblent tout recouvrir. Encore un gratte-ciel qui s'est effondré, songe-t-elle. C'est bien trop loin pour qu'on puisse entendre et voir, mais elle sait pertinemment que des hurlements désespérés retentissent, et que du sang coule. Seuls les Dieux savent le nombre de gens qui ont été pris au piège.
N'importe quelle personne aurait détourné les yeux, dégoûtée. Mais pas la jeune fille. Dans ce qui reste de New York, plus rien ni personne ne croit encore à la vie. On attend juste que notre gratte-ciel tombe, et nous avec, pour mettre fin à notre morne vie.
December fixe le ciel blanc comme le lait, au dessus d'elle : elle semble défier les hauteurs, l'Univers, les Dieux. Un éclair vibre au fond de ses pupilles, elle sent la colère l'envahir. Brusquement elle se baisse, ramasse une énorme roche et la lance de toutes ses forces vers le ciel.
Remplie d'une rage et d'une frénésie infernale, elle attend que la pierre retombe sur elle et fracasse son crâne. Mais en vain. Interloquée, elle regarde le ciel, mais aucun signe de son projectile. December, complètement chamboulée, se retourne et s'enfuit en courant, sans jeter un coup d'œil en arrière.
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Dans la forteresse des Dieux, située au plus haut des cieux, Mô, le Dieu des émotions, ramasse abasourdi une roche qui vient d'atterrir à ses pieds. Sous le choc, il regarde sur la Terre quelle incroyable force a pu envoyer si haut ce cadeau inattendu. Ses yeux sont attirés par une minuscule créature, au sommet du Trump Building, qui court ventre à terre comme si sa vie en dépendait.
Mô ferme les yeux. Qui est donc cette petite impudente qui a osé défier les Dieux ? Mais il est à la fois effrayé : comment cette gamine a-t-elle pu atteindre Parxos ? Comment a-t-elle pu avoir autant de colère et d'assurance pour réussir à blesser sans même s'en rendre compte, le cœur d'un Dieu ?
Son nom est December, la Fille au regard de glace.
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La Destinée
Science FictionLorsque l'humanité est sur le point de disparaître, les Dieux décident de laisser une infime chance à la Terre. Mais d'opportunité à supercherie il n'y a qu'un pas... et si tout n'était qu'une vaste plaisanterie ? Et si finalement, rien n'était lais...