Qui frappe à ma porte ?

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La plupart des gens préfèrent l'été ou le printemps aux autres saisons plus froides de l'année. Mais ce n'est pas le cas d'Aya qui trempe ses lèvres, rendues rosées par le froid qui commence à s'installer sur Tokyo en ce début de mois d'octobre, dans son matcha au lait. Elle contemple ce ciel d'automne décliner dans des tons roses en se fondant avec les couleurs sanguines du soleil couchant, son cahier d'Anglais ouvert devant elle. Elle avait fermement l'intention d'étudier correctement après ses cours, mais la tournure prise par cette délicieuse soirée rend les choses différentes, comme si un nouveau monde s'ouvrait à elle. Un univers magique en lequel elle croit depuis qu'elle est enfant, peuplé de lutins et d'êtres fantasmagoriques. Elle ne sait plus depuis quand elle y croit, depuis quand elle pense qu'ils se cachent lors des saisons chaudes mais qui, une fois l'automne et l'hiver venus, font briller son quotidien. Parfois, elle a la sensation, en regardant ce genre de coucher de soleil, qu'un portail s'ouvre et connecte son monde à celui des féeries auxquelles elle croit dur comme fer. Et nul ne pourra lui enlever ses rêveries. De toutes les manières, elle n'est qu'une fille, son avenir n'est certainement pas brillant, alors pourquoi étudierait-elle ? Pourquoi perdrait-elle son temps à faire des exposés, à organiser sa pensée, à apprendre à réfléchir par elle-même, puisqu'elle connait déjà la suite de son histoire ? Un jour, elle devra se marier et avoir des enfants, tout en attendant sagement son mari qui rentrera tard. Peut-être trouvera-t-elle un boulot en sortant de l'université, mais qui ne lui plaira pas du tout, et qui n'aura aucun rapport avec son domaine d'études - les langues -, jusqu'à ce qu'elle rencontre un homme qui s'occupera bien d'elle et de leurs futurs enfants. Elle souhaiterait pouvoir continuer à résister à ce triste destin mais, combien de temps parviendra-t-elle encore à donner le change ? Elle pensait se protéger en s'inscrivant dans une école pour filles. D'ailleurs, tout y était parfait, ou presque. Assise dos à la salle, elle se retourne pour contempler la cafétéria de son université qui, en cette fin de journée, est calme et lui offre ainsi une atmosphère reposante, relaxante. La lumière orangée du soleil couchant entre par de grandes fenêtres qui donnent sur un petit jardin japonais et une maisonnette, construite selon le modèle traditionnel d'une époque pas complètement révolue, où se réunissent les membres du club de la cérémonie du thé. Les rayons solaires viennent danser sur les larges tables blanches et en bois, ainsi que sur le comptoir contenant un bon paquet de friandises. Aya raffole particulièrement des sandwichs aux beignets de poulet mais, malheureusement, à cette heure-ci, ladite corbeille est vide. Quelques étudiantes discutent dans le calme à l'autre bout de la pièce, assises sur des banquettes moelleuses en cuir beige tout en dégustant une glace aux marrons. L'atmosphère est idéale, il n'y a aucun garçon pour la détourner du droit chemin des études en l'importunant ou en lui faisant tourner la tête. Cependant, en cette période si spéciale pour elle, avec l'approche des fêtes de fin d'année telles qu'Halloween, Noël et le Nouvel An, elle ressent le besoin de pimenter sa vie. Peut-être serait-il temps qu'elle se trouve quelqu'un ? Mais ne risquerait-elle pas alors de devenir cette idiote sans cervelle qui s'abrutit lors d'un rendez-vous amoureux simplement pour pouvoir afficher un éventuel copain en public ? N'est-ce pas contraire à ses valeurs et à la vision des choses qu'elle adopte depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne ? Pourquoi change-t-elle subitement d'avis ? Peut-être à cause des romans et des séries à l'eau de rose qu'elle s'enfile à longueur de journée, qui lui font croire que la vraie vie peut devenir merveilleuse, presque magique, grâce à l'amour ? Pouvoir penser à la même personne pendant toute la journée suffit-il réellement à rendre une femme heureuse ? Ne serait-ce pas là une chose affreuse que de réduire une femme à un homme ?

Son œil est soudainement attiré par l'écran de son portable qui s'allume, interrompant ainsi ses réflexions. Son amie Moeka lui prévient que son entraînement de tennis risque de durer plus longtemps que prévu. Tout à coup, une tristesse étrange enchevêtre le cœur d'Aya, un sentiment qu'elle ne peut expliquer, qui n'est pas réellement due au message qu'elle vient alors de recevoir sur LINE. Elle quitte le bâtiment numéro onze pour se trouver face à un grand arbre à la fois solide et solitaire, entouré de bancs. Les courts de tennis se trouvent en arrière-plan. Au loin, elle distingue certaines jeunes filles qu'elle connaît, en plus de Moeka, s'entraîner durement. Elle les envie d'avoir des talents, et la force de les exploiter pour atteindre leurs objectifs. Elle quitte la large cour pour emprunter le chemin de pierre qui ondule en s'enfonçant dans un parc rempli d'arbres aux noms étranges écrits sur des plaques. Des proverbes en Français et en Anglais y sont quelques fois inscrits. Elle n'y comprend pas grand-chose, ce qui ne l'aide pas à se sentir mieux. En effet, en tant qu'étudiante en langues, elle devrait maîtriser ces deux langues à la perfection. Ce qui est loin d'être son cas. Elle tente de se remonter le moral en se laissant à nouveau aller à diverses rêveries. Tout à coup, elles pensent apercevoir des petits êtres jouer près du lac entre les roseaux et ses yeux s'illuminent. Un sourire se dessine sur son visage. Cette petite crise de nostalgie est certainement tout ce qu'il y a de plus normal. La reprise scolaire ne l'enchante ni ne la désole. Elle s'ennuie, voilà tout. Heureusement, l'approche de sa fête préférée l'empêche de sombrer dans la monotonie déprimante de son quotidien. L'architecture de son université, créée autrefois par des nonnes françaises, lui permet d'ailleurs bien des rêveries avec sa chapelle et la statue de la vierge Marie qui trône à l'entrée du bâtiment principal, entourée de hauts arbres qui accueillent parfaitement la lumière pourpre de l'automne.

Ne suis-je qu'une poupée ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant